Hors des sentiers battus 67/

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À midi, il mangea sur le pouce, sans pouvoir s'empêcher de cuire son repas directement sur ses mains. Il laissa encore de douces petites flammèches danser sur ses couverts, son verre, la vaisselle.

Au fond, il sentait bien sa mana s'épuiser doucement. Mais c'était plus fort que lui. Et puis, il s'agissait de menus écarts sans conséquences. L'après-midi, il puisa dans ses réserves. Peu désireux de saboter son travail, il n'augmenta ni les temps de chauffes, ni les températures utilisées... Mais répandit son feu sur tous les objets lui tombant sous la main. Que n'aurait-il donné, pour se trouver dans une maison en pleine combustion ? Ou mieux encore, le temple de son rêve.

En manque, il ouvrit toutes les portes du foyer, au risque que des brandons s'égarent et dévorent la forge. Mais le besoin devenait toujours plus impérieux. Il lui fallait plus. Alors, au soir, après le repas, il frappa à la porte du maître ébéniste auprès duquel il se fournissait le plus souvent. Ce dernier ne put lui remettre que des chaises à bascules pour enfants.

Moins d'une heure plus tard, de retour au foyer, il n'en restait que des échantillons de charbons. Haletant, Adelin se prit la tête à deux mains. Que faire ? Son palliatif ne suffisait plus. Son corps le sommait de malaxer de nouvelles matières. Mais il allait devoir s'arrêter là. Respecter sa propre limite, se contenter de mobilier.

D'autant plus qu'il n'avait presque plus de magie. Le souvenir du froid, de la sensation de vide intérieurs le clouèrent sur place. Mieux valait dormir... Mais le besoin de se tenir au milieu du feu le paralysait. Ce serait si facile...

Déposer sa main enflammée au sol, en toute simplicité.

Non, Feufert ne méritait pas cela.

Observer la magnificence d'une torche lécher un tablier de cuir.

Non, pas les nécessaires de travail.

Mais il devait bien trouver quelque chose.

Un rat ?

Non, trop de risques d'impacter des innocents pendant ses tentatives de capture. Sans compter les puces et les maladies que ces immondices transportaient.

En sueur, Adelin émit un râle. Pourquoi cela devait-il être si compliqué ? Bon sang, pourrait-il être un jour... normal ? Juste normal ! Lui-même, mais sans cette passion impie !

Une impatience lui saisit les jambes, il en profita pour sortir, espérant un quelconque bienfait de l'air nocturne. Habitués à le voir dehors à cette heure, les gardes ne l'interpelèrent pas. Il appartenait au paysage.

Ses hallucinations lui offrirent bien des beautés. Une Lune de feu, des carcasses incandescentes... À son grand désarrois, rien de réel, rien d'applicable.

Tandis qu'il s'égarait, bien conscient de ne pouvoir marcher indéfiniment, une idée lui vint. Les guérisseurs acceptant des patients nocturnes. L'un d'entre eux s'avérérait bien capable de guérir son esprit ? Ou détiendrait de quoi l'assommer.

Pétri de doutes sur cette idée, il ne se dirigea pas moins vers la porte du plus proche auquel il pensa. Un druide qu'il ne connaissait pas encore. Entre deux visions dansantes, il distingua la bonne rue, puis le bon numéro de porte auquel frapper. En sueur, il attendit une réaction.

Une éternité plus tard, la tête enfiévrée, les jambes flageolantes, il réitéra et toqua de nouveau à la porte. Faute de meilleur plan, il insista, jusqu'à ce qu'un homme maigre, dans la cinquantaine, l'air aussi saint d'esprit que lui ouvrit.

  • Quoiquygnia ?

À son haleine, il consommait des produits douteux. Enfin, Adelin ne trouvait vraiment rien de mieux. Peut-être que les délires de cet olibrius pourraient prendre le pas sur les siens. Ne seraient-ce que quelques minutes...

  • J'ai des hallucinations envahissantes, cette nuit.

La réponse bavée fut couverte par des acouphènes, couplés aux doux craquements du bois s'effondrant sous la caresse du feu. L'Allumé aurait juré que le linteau de la masure venait de se briser et pendait en travers de sa route, devant ses yeux émerveillés. On le laissait entrer. L'odeur de chanvre à divers stades de combustion l'étourdit.

Le mobilier se limitait à diverses tables basses surnageant à travers un océan de poufs. Si son hôte y évoluait sans peine, le pyromane dut se raccrocher presque à chaque pas aux poutres basses et aux murs pour ne pas tomber. Certaines des tables se révélèrent être des coffres ou des armoires basses. Un nouveau baragouin s'adressa au jeune homme. Désireux de comprendre, il leva les yeux vers son hôte.

Ce dernier ne donnait pas l'impression de s'être véritablement adressé à quiconque. Dans le doute, Adelin ne répondit rien, se contenta de s'installer face au druide. Ce dernier s'empara un calumet, fit des ronds de fumée et attendit. Passé un temps, l'halluciné se pencha vers lui et demanda :

  • Pensez-vous... pouvoir m'aider ?
  • Quoiquy... Ah. Gnah, oui. J'vais t'lever l'maléfice qui t'touches, p'tit, deux pièces d'or et cinquante d'argent quand j'aurais finis. Ferme les yeux et laisse faire, cherche à pas résister, laisse tout couler.

Fronçant les sourcils, Adelin obtempéra. Il ne détenait pas la somme sur lui, mais une reconnaissance de dette pouvait faire patienter le mage face à lui. Ce dernier s'empara de son front. Ses doigts froids lui parcoururent le crâne, lui glacèrent les tempes, lui tapotèrent le crâne en des dessins aléatoires.

Des courants tièdes lui traversèrent la tête. De la magie opérait, assurément, sans qu'il ne soit bien certain de vouloir laisser cet inconnu lui tripoter l'esprit. Néanmoins, il avait parlé de malédiction... S'agirait-il véritablement de cela ? Cela expliquerait... Tout ! Peut-être alors pourrait-il reprendre son existence à Guarrèr, ou poursuivre le cœur léger la vie qu'il menait à Vert-Pont !

L'espoir lui offrit une pause salvatrice dans ses pulsions. Toutefois, le temps finit par lui paraître long. Nerveux, il ouvrit un œil. Le bon.

Le druide lui paraissait perdu. De longues minutes plus tard, les courants tièdes disparurent, l'inconnu lui lâcha la tête et se plongea dans d'intenses réflexions silencieuces.

  • Lumière divine, j'trouve pô.... reconnut finalement l'homme, dépassé.
  • Que se passerait-il... Si je n'étais pas maudit ?
  • J'trouv'rais p... Ben t'es pas con, toi. Merde. Donc tu m'dois pas d'thune. Mais écoute. C'soir, j'ai pas pris les bonnes herbes pour gérer d'l'esprit pur. Mais d'main... Non, pas demain. Euh... Tu bosses 'vec Tafio... Taflor, hein ?
  • Oui.
  • Y t'trouv'r'ra la bonne date, lui. Puis dégage, tu fais peur aux clients 'vec ta gueule...
  • Bonne nuitée, monsieur, conclut Adelin d'un ton glacial.

Toujours aux prises avec son mal, l'Allumé retrouva l'air froid de la nuit. Au moins cette parenthèse l'avait suffisamment épuisé pour qu'il soit certain de s'effondrer dans son lit sans penser.

Le lendemain, l'apprenti forgeron se maudit. Quel imbécile... Sortir dans son état, mais quelle sottise ! Avec toutes les tentations à l'extérieur ! Sans compter que désormais, quiconque l'ayant apperçu la veille ne pouvait plus ignorer son mal ! Et ce druide, que ferait-il désormais ? Non, décidément, il agissait en dernier des crétins. Et se flageller de la sorte ne ferait guère avancer les commandes reçues.

L'humeur sombre, il partit forger, s'acquitter de ses engagements. Un constat le rendit plus amer encore. La forge ne lui suffisait plus. Au hasard, il tenta de s'investir plus dans les expériences de son amie artificière.

Si cela satisfit sa curiosité et améliora sa culture scientifique, cela n'apaisa en rien ses envies. Qu'elle préfère maîtriser toute la partie théorique avant le moindre passage à l'action concrète l'agaçait, Toutefois, pour cette visite-ci cela le soumit à moins de tentations que ce qu'il craignait.

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