Chapitre 11: Le temps passe

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Siarl déglutit bruyamment devant la porte du bureau. Il ferme le yeux, inquiet, refait son catogan pour se donner un peu de courage. Deux mois ont passé depuis la décision du Patron d’ouvrir un bar. Depuis, beaucoup de choses ont changés. Du mobilier est venu peupler la salle et deux autres employés sont venus augmenter l’équipe de façade. Il ne sait pas trop où le barbu est allé les trouvés. Cependant, ces deux nouveaux compagnons, pourtant bien plus âgé que lui, n’ont rien objecté lorsque lui, le gamin, a été promu chef de salle. Il a été le seul à s’en offusquer . Peut être que ces deux bougres avaient été bien trop heureux de trouver ce travail où le salaire était, au bas mot, deux fois plus élevés que dans les établissements autour pour un travail bien plus exigence. En tout cas, cette promotion avait éclairé Siarl sur ces mystérieuses devinettes que lui posait régulièrement le Patron. Il y avait aussi ces calculs qu’il lâchait, comme ça, en pleine conversation et auquel il fallait répondre le plus vote possible sous peine de se retrouver de corvées de vaisselle. Il y avait aussi ces interminables heures passées à tenter d’ingurgiter ce savoir qui faisait résistance à son esprit. Quoi qu’il en soit, voilà maintenant un mois que le bar était ouvert et il s’était révélé plutôt doué à ce poste.


Il prend une nouvelle inspiration pour tenter d’emplir ses poumons et de se gonfler , comme un chat, pour se donner de l’importance. Consciencieux, le rouquin se remémore sa liste de tâches de la matinée. Il a passé le balai dans la salle du bas, nettoyé les verres à les en faire luire sous la lumière du plafonnier. Il a aussi réparé la chaise bancale qui traîne depuis trois soirs et étendus les torchons qu’il a préalablement lessivé. Les courses pour le déjeuner sont faites, ne manque à sa journée que la livraison d’alcool. Le fournisseur a appelé un peu plus tôt, signalant qu’il ne pourrait pas venir avant quatorze heure. C’est donc deux longues heures que Siarl a devant lui en comptant le déjeuner. Cela devrait le faire non ? Enfin, il se décide à toquer et à entrer.


Ses yeux remarquent d’abord l’aspect de l’endroit. Tout est impeccablement rangé, cela signifie que le Patron est dans un excellent jour. C’est donc bon signe pour sa demande. L’immense tableau tout en nuance de bleus trône en bonne place au dessus de la vieille cheminée de brique. Comme à chaque fois, Siarl croit y distinguer des êtres qui se meuvent et dansent devant ses yeux. La présence du jeune homme n’est pas tout de suite remarquée. Installée à son bureau, Geraint remplit, concentré, un carnet neuf d’une écriture tout en volute, la valise contenant l’engin étrange ouvert et posée dans un fauteuil. A ses pied dort Majorelle, la chatte aux longs poils sable nouvellement nommée, ronronnant de bonheur dans cette atmosphère calme et cosy. Le garçon s’étonne cependant de la présence de Seren, élégamment assise sur un fauteuil cabriolet en bois d’acajou et au tissus rayés de la même couleur que sa robe. Elle lit avec attention que Siarl identifie comme une revue de mode, avec de grandes planches de gravures colorées. Le regard de l’homme descend encore un peu, s’aperçoit des pieds mordillés du vieux fauteuil. Visiblement, Majorelle s’est attachée à marquer son territoire ici aussi. Après deux mois de cohabitations avec les humains, l’animal a révélé un amour inconditionnel pour le Patron, donnant lieu à des scènes de jalousies crachantes et des longs moments passés sur ses genoux. Siarl a eu aussi à pâtir d’un coup de griffe caractériel pour être venu troubler son moment privilégié pas plus tard qu’hier. Visiblement, la chatte a décrété que le barbu était à elle et à personne d’autre.


C’est Seren qui remarque sa présence, enfin, lui adressant un sourire amical.


«Bonjour Siarl. Que puis-je pour toi ?»


Le garçon sursaute, la fixe puis déporte son regard sur son Patron. Ses joues s’empourprent, il begaie, se balance d’un pied sur l’autre.


« Alors euh … Voilà, j’ai fait …. Tout ce que j’avais à faire. J’ai même préparé le déjeuner alors … je me demandais si … comme j’avais du temps libre ?

— Ce n’est ni le jour ni l’heure.»


La voix du Patron résonne, presque maternelle. Seren lève un sourcil, dubitative, surtout quand, chose parfaitement exceptionnelle, Siarl insiste.


«Mais … Je ne me suis pas fait arrêter par la Milice cette semaine. En plus, je ne me suis pas disputé avec Tesni.» Il se corrige assez vite quand la bouche de Geraint se tord, désapprobateur. « Enfin presque pas.

— Non. Je suis occupé. Débrouille toi.»


Siarl trépigne comme un enfant à qui on refuse une friandise. Ses mots tirent en longueurs , plaintif, il cherche la faille, le bon argument.


«La magicienne qui cloute, elle, elle peut travailler toute seule ! Moi, ça, je ne peux pas le faire sans aide.»


Sa voix devient encore plus doucereuse, conscient que s’opposer ne lui apportera pas le chose voulue.


«Juste un seul, un tout petit et après, promis, je ne demande plus rien. Je ferai même des heures supplémentaires sans râler…

— Siarl, tu m’as déjà vu revenir sur un «non» ?»


Le garçon grommelle, la moue déconfite. « Ce n’est pas juste» marmonna-t-il mais Geraint est déjà retourné à son carnet, l’ignorant ostensiblement. Ne reste que Seren qui regarde sans comprendre. Siarl hésite puis tourne les talons sans un mot. Avant de partir, il attrape un livre à la belle couverture rouge comme le velours. Il prend un air de défi puis claque la porte , imaginant mille et une façons de se venger pour ce refus. Pour la peine, il oubliera tous les bols de cacahuète ce soir. Pire, il se moquera de Tesni lorsqu’elle tentera de draguer un gars.


Seren pose son magazine dès lors que la porte se ferme, les yeux verts intrigués et surpris, la tête légèrement penchée. Elle n’est pas encore bien sûre d’avoir assisté à cette étrange scène.


«Mais … qu’est ce qu’il voulait ?»


Geraint soupire, il ne finira donc jamais cette page en paix. Cependant, un sourire apparaît, furtif, au coin de ses lèvres.


«Chaque dimanche soir, je lui lis trois pages des Maginobions. Avant-hier, je me suis arreté au moment où ma princesse Rhianon imagine un stratégème pour ne pas se marier avec Gwaint.»


Son sourire s’élargit un peu plus, il appuie son menton contre sa main, son coude planté sur le bord du bureau, goguenard.


«Depuis, il me réclame la suite.»

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