Chapitre 29 : Faiseurs d'Ombre

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Il parait que de la colère d’un homme peuvent naître la Révolution et l’Anarchie. Cerridwen ne sait plus trop où elle a lu ça. Probablement dans un livre de sociologie qu’elle avait du consulter lorsqu’elle suivait cette matière en deuxième année. A l’époque, elle avait trouvé cela idiot, sans vraiment de fondement. On lui avait toujours dit que la masse des gens sages atténuait la fureur individuelle et au besoin ostracisait tout ce qui mettait à mal le calme commun. Peut être n’avait-elle jamais expérimenté ce sentiment qui se diffuse insidieusement au creux de son esprit. La jeune femme remonte la large avenue qui est censée la ramener chez elle. C’est automatique, elle ne réfléchit pas vraiment. Ses yeux suivent l’asphalte du trottoir comme un fil d’Ariane, elle ne souhaite croiser le regard de personne pour ne pas se trahir. Il lui a fallu un peu de temps pour réaliser que l’affreux scénario qui s’était déroulé devant ses yeux n’avait pas été qu’une vaste farce mais bien quelque chose de réel, avec des conséquences. Elle se revoit prostrée dans le bureau du Professeur, les mains accrochée à une tasse de thé qui avait été sûrement chaude à un moment, comme on s’accroche à une balise de sauvetage, avec une question qui tourne en boucle. Pourquoi ? Pourquoi est ce que personne n’a réagit ? Tout le monde a pris la fuite ou s’est caché, elle la première. Enfin, on l’a forcé à se cacher pour ne pas qu’elle fasse quelque chose d’idiot. C’est ce que lui avait dit le professeur quand elle avait enfin daigné réagir. Qu’est ce qu’elle aurait pu faire de toute façon ? Son nom, son rang social lui permettait de sortir avec une facilité déconcertante des documents confidentiels des archives sans que personne ne trouve cela étrange mais pas de sauver deux de ses camarades qui avaient l’inconscience de s’adonner à l’art controversé de la satyre. D’accord, il y aurait probablement eu des conséquences sur sa réputation et l’espoir d’un jour trouver un bon partis. Mais le doyen ? N’est-ce pas son rôle de protéger ses ouailles et de faire de l’Université un lieu sanctifié ? Un lieu où la critique et les pensées divergentes pourraient s’exprimer, dans la mesure du possible et des lois ? Enfin, ses camarades n’avaient pas appelé à rejoindre un groupe anarchiste ou à poser une bombe dans le sanctuaire de l’Âme étoilée ?! Le doyen se devait d’être le défenseur de cette liberté de pensée pour que le Savoir , les Arts et les Sciences puissent se développer sans restriction. C’est ce qu’elle avait toujours pensé. L’Université devait être un ilot à la fois hors du monde et dans celui ci, un espace d’expérimentations et de construction de la pensée sans que que la Milice ne puisse venir y mettre son nez dedans. Et par extension, son père. Ce n’est pas la citation qui est idiote. C’est elle.

Cerridwen accélère le pas et rejoint le hall d’entrée de marbres de son immeuble. Elle jette un regard vers la loge du portier, hésite un moment. Elle sert contre elle son cartable et son si précieux contenu. La liste. Parce qu’elle est toujours, cette fichue liste, et qu’elle ne peut pas juste la brûler et l’oublier. Sa conscience ne le supporterait pas. Si elle fait ça, dans quelques jours, quatre inconnus et une ombre de son passé subiront le même sort que les deux étudiants. Sauf qu’eux n’auront pas une riche famille, de haute naissance, pour graisser les bonnes pattes et payer la caution dans l’objectif d’étouffer le scandale. La jeune femme souffle doucement. Que les choses soient claires, à par elle et l’archiviste inconscient peut être, personne ne sait qu’elle détient cette information. Et puis de toute façon, qu’est ce qu’elle pourrait y faire. C’est bien ça le problème. Le portier tourne le dos, probablement pour trier le courrier de la distribution du soir, elle en profite pour traverser le hall sur la pointe des pieds. C’est idiot, elle habite ici, qu’elle rentre chez elle est normal. C’est même l’inverse qui aurait été suspect. Pas ascenseur. Elle préfère l’escalier qui s’enroule en colimaçon autour. Pourtant, il n’y a que les domestiques qui prennent cet escalier et encore, seulement ceux rattaché au service direct, comme Cadi. Pour tous les autres, il y a un escalier de service. Elle ne sait pas où il se trouve. Ce serait une question à poser mine de rien. Avant, elle s’en fichait. Maintenant, ça la travaille et cela vient s’ajouter à une longue litanie de chose qui la questionne. Bon. La liste. Elle marque une pause à l’inter-étage, les joues rouges. Elle pourrait retourner voir Rozenn et son acolyte. Non. C’est idiot. Ce serait croire que tous les membres de la dernière caste ont un lien avec les groupes anarchistes ou autres associations ocultes. Pourtant, Rozenn avait l’air de dire que certains de ses enfants avaient été emprisonnés. En même temps, Cerridwen a un peu l’impression qu’on emprisonne pour tout et rien sur cette planète. Si seulement les anarchistes et les mafieux se promenaient tous en pardessus noir, avec un chapeau claque ou un gavroche élimé et se retrouvaient au coin d’une ruelle mal éclairée comme dans les films. Ou mieux, devant un autel dédié à l’Avaleur de Lune, persuadé que lui brûler une malédiction écrite sur un bout de papier ou de lui sacrifier un bébé pour espérer influencer la course du Monde. En même temps, ça lui aurait grandement facilité la tâche.

Elle reprend son ascension et sonne à la porte de l’appartement. C’est une jeune domestique en uniforme qui lui ouvre, les joues empourprées.

« Bonsoir … mademoiselle … Je suis tellement, tellement désolée, je ne vous ai pas entendu arriver avec ascenseur …

- Ce n’est pas grave…. » Que l’Architecte des Astres lui vienne en aide, comment est ce qu’elle s’appelle déjà … Mared ? Meinwen? « Ce n’est pas grave » finit par répéter Cerridwen, abandonnant l’idée de retrouver le prénom de son interlocutrice qui tremble de plus en plus et perds brusquement quelques teintes. « Est ce que tu peux demander à Cadi de m’apporter du thé, je te prie ? »

La petite s’incline prestement, trop contente de fuir . Cerri soupire, fixe un instant la porte close de la chambre de sa mère. Nonobstant tout le reste, il va falloir qu’elles aient une discussion, même si la perspective ne l’enchante guère. Nouveau soupirs discrets alors qu’elle se dirige dans ses appartement, échangeant sa robe de ville par une robe de chambre en soie bleu marine brocardée. Elle s’installe à son bureau et s’apprète à ouvrir une première enveloppe lorsqu’on toque. Cadi. Et le thé

« Bonsoir Mademoiselle. Votre journée s’est bien passée ? J’en pensais à aller vous rejoindre chez Madame Oedhebog, me disant que vous y’ s’riez p’têtre. »

Cerridwen offre un sourire à sa demoiselle de compagnie dont l’élocution et la grammaire s’améliore de jour en jour. Enfin presque. L’objectif n’est pas qu’elle parle comme une « dame du Monde » comme elle dit, plus de se faire comprendre de tous.

« Malheureusement, les événement font que mon retour aujourd’hui se devait d’être et que je ne pouvais y échapper, Cadi.

-Il s’est passé quelque chose de grave ? Retorque la domestique dont la voix s’envole vers des aigus inquiets. Elle s’approche et pose une tasse de thé fumante sur le bureau .

- C’est … si je t’en parle, je risquerais de te mettre en danger et je ne veux pas, tu comprends ?

- Genre, pire que vos discussions pas très nettes et anarchistes chez la dame couturière ? »

Bon. D’accord, Cadi marque un point. Elle a qui plus est démontrer à multiples reprises son intégrité, sa discrétion et sa fidélité sans faille. Le secret sera d’autant plus facile à porter à deux. Alors Cerridwen lui fait signe de s’assoir près d’elle sur un tabouret et commence son récit. Elle déverse ses mots pour créer l’histoire de ces derniers jours. L’archiviste. Le rapport dont elle édulcore un peu le contenu pour ne pas la choquer. La convocation chez son père. Sa colère . La liste à portée d’yeux sur la table. La réfléxion qui avait tant hanté ses nuits blanches. L’université. Et enfin, sa décision. Cadi hopine du chef à intervalle régulier et lorsque sa maîtresse met un point final à son récit, elle claque de la langue.

« Alors. J’ai pas tout tout compris, notamment le truc à l’université là. Mais la liste,là, je sais qui ça peut intéresser et qui pourrait la donner à des gens qui peuvent faire quelque chose. Si vous voulez bien me la donner

-Tu connais ? »

A Cadi de prendre le ton de la confidence.

«  Un de mes copains d’orphelinat. Il travaille pour un faiseur d’ombre

- Un … ?

-En gros, quand t’as fait vraiment trop de bétise et que ta peau est en jeu, si tu as de l’argent ou un truc qui les intéresse, tu peux faire appel à eux. Comme la planète est ronde, on peut pas trop fuir mais eux, il te font disparaître et te crée une nouvelle identité pour recommencer dans un autre quartier, loin. Y’a même certains qui peuvent t’envoyer sur une autre planète. »

Cerridwen lève un sourcil circonspect à la dernière affirmation mais Cadi balaie la remarque silencieuse d’un revers de la main.

« Tout ça pour dire que le Faiseur d’ombre, lui, la liste, il saura quoi faire avec. En plus, c’est un drole de type, son Patron. Il aide souvent les gens gratis, juste comme ça. »

Cerridwen se mord les lèvres mais finit par sortir la liste de son cartable

« Cadi ?

- Oui ?

- Ton ami. Tu es sûre qu’il est fiable. Si ça tombe entre de mauvaises mains, toi et moi sommes mortes.

- Absolument sûre. »

Cerridwen dodeline un peu encore mais cède finalement. Elle n’a pas trop d’autres options que de lui faire confiance de toute façon. Cadi attrape le morceau de papier, le roule et le calle solidement dans son corsage.

« Je m’occupe de tout, tout de suite. Ah et …

- Oui

-Tegan. Le nom de la fille qui vous a ouvert. Elle a dit que vous vouliez la tuer du regard, je me suis dis que vous aviez juste oublié son prénom. »

Oui, effectivement, elle n’y était pas du tout.

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