Chapitre 30 : Conséquences

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La patience est vertu. Cerridwen suit du regard les ouvrières de l’atelier qui s’agitent et grouillent autour d’Antona. L’échéance du Carnaval s’approche à grand pas alors les commandes doivent à tout prix être livrée. Cerri aide un peu, secondée par Cadi de temps à autre. Elle s’occupe de la rédaction des cartes de remerciements, art qu’elle maîtrise à la perfection pour le pratiquer depuis des années dans le cadres des dîners mondains. Remercier pour une présence ou une commande est au final assez similaire, d’autant que les personnes à qui le mots est destinées sont les mêmes. Tous ces noms qui peuplent le carnet de commandes, elle les connaît, pour les avoir croiser et discuter au moins une fois lors des réceptions, des représentations de l’opéra ou de théâtre ou lors de dîners plus intimistes. Ils font parti de son monde et établir un carnet d’adresse en y maintenant les personnes en vue fait partie de sa charge de jeune fille de bonne famille. Ce n’est pas son père qui s'intéresserait à ce genre, il ne peut pas régenter complètement ce genre d’événements.

Un frisson lui parcoure l’échine et elle déglutit. Voilà trois jours qu’Antona lui offre gîte et couvert à elle et à sa dame de compagnie sans aucune contrepartie , ni qu’elle ait eu besoin de donner une quelconque explication. Heureusement d’ailleurs, parce que Cerridwen sait que son « plan » a fonctionné ». Peut on parler vraiment de plan, si on prend en considération le degrés d’impréparation de l’ensemble des actions qui l’ont constitué. En tout cas, depuis, il ne fait pas bon de partager le toit de Bedwyn Tyluanos. Plus que d’habitude en tout cas. Il comptait visiblement sur ces arrestations pour mettre en place une vaste opération de communication et ainsi ajouter un nouvel article laudatif à sa collection. Rien de tout cela finalement, pas même un article signalant à mots couvert l’échec d’une opération de milice, que ce soit dans la presse officielle ou dans celle un peu lue et distribuées sous le manteau qu’a pu lui trouver Cadi. Vraiment, la Censure a fait un excellent travail. Si Cerridwen n’avait pas sur détecter à temps les micro-signes dans le comportement de son père, elle n’en aurait rien su.

Elle avait eu une bonne idée , rétrospectivement, d’éloigner sa mère et Alys juste avant la date prévue de l’opération. Elle avait trouvé pour la première une retraite spirituelle chez les moniales de l’Architecte des Astres. Certes, cela ne promettait pas des moments des plus excitants mais au moins, elle serait suffisamment loin de la colère de son mari pour ne pas avoir à en subir les conséquences. Bedwyn n’avait pas été très compliqué à convaincre, sa côte auprès des religieux avait toujours été très fluctuante et bien souvent mitigé quoi qu’il puisse réaliser comme action. Alors, l’idée lui avait plu, il avait même marmonné qu’il aurait du y penser plus tôt. Alys, quant à elle, avait été invitée à deux semaines de révisions très intenses pendant les deux semaines de relâche scolaires autour du Carnaval par une camarade avec laquelle elle s’entend bien chez la grand mère de cette dernière qui avait posé ses valises quelques semaines plus tôt dans une villa de la périphérie pour se reposer de sa vie de mondanité. La vieille dame avait été au préalable noyée de gâteaux de grands pâtissiers et de thé précieux pour l’inciter fortement mais tout en douceur cette merveilleuse proposition, soufflée par la Dame du Destin à point nommée. Les rumeurs du carnet mondain étaient visiblement vraies et cette dame avait accepté sans sourciller.

Reste Cadi. Elle avait eu une once de culpabilité d’abandonner sans prévenir ses camarades de la domesticité à l’imminence de la tempête qui s’annonçait. Elle avait souspesé les causes et les conséquences dans son esprit pendant quelques jours et avait considéré que mettre au courant ses collègues l’aurait rendu suspecte, et sa maîtresse encore plus. Puis ils en avaient d’autres et jusqu’ici, rien de très grave n’avait été à déplorer. Ce cas de conscience était plus difficile du point de vue de la solidarité de corps mais si tout marchait comme prévu, alors l’impact serait bon pour eux aussi

Cerridwen soupire, tente de faire abstraction du bazar ambiant pour mieux se concentrer sur le petit mot à l’attention de Madame B., dont l’imposante robe d’arlequine trône accrochée à un paravent. Parait-il qu’elle n’est pas finie, qu’il manque un dernier détail qui fera toute la différence. Cerri claque de la langue? Outre ses carrés multicolores assemblés entre eux par un délicat passepoil d’or, des pierres précieuses ont été serties à des endroits stratégiques du costume, le rendant particulières tape à l’oeil. De mauvais goût avait même pensé Cerri. Visiblement, il y avait une réussite sociale à exhiber . Pourtant, Madame B. Est issue de la vieille noblesse d’Alphard, elle devrait savoir que ce genre de chose ne se font pas. Carnaval n’est pas un pretexte pour s’habiller le plus mal possible, juste endosser temporairement une autre identité.

« Cerridwen ? »

Elle sursaute. Antona l’interpelle les joues rouges, une dizaine de rubans posés autour de son cou.

« Pourrais-tu te rendre à l’entrée de service de l’atelier s’il te plait ? La douane vient appeler, ils ont enfin libéré mon dernier colis. Deux agents devraient être là dans dans moins de dix minutes pour nous le remettre. Il suffit de mettre un coup de tampon sur le reçu. »

Tampon encreur qu’Antona lui lance d’ailleurs au travers de la pièce et qui finit sa course dans un tas de chutes de tissus au pied de Cerridwen qui n’a pas réussi à la récupérer au vol. La jeune femme tend le bras sans moufter. Vraiment, elle ne panique plus du tout devant au désordre dans lequel Antona et ses équipes semblent se complaire. Elle n’en pense pas moins qu’il ne serait pas contreproductif de prendre une heure ou deux pour ranger ce qui jonche le sol. Le regard de Cerri balaie la pièce. Plutôt trois ou quatre heures en se débrouillant bien. On verra plus tard.

Elle zigzague tant bien que mal entre les piles de tissus et de patrons, esquivant outils et ouvrières pour rejoindre la porte de la pièce de travail, gagne un couloir qui semble bien calme par rapport au maelström digne des anneaux de Saturne qu’elle vient de quitter. L’ambiance y est reposante, accentuées par l’exposition des oeuvres de la collection d’Art d’Antona. Elle est férue de peinture, pour de vrai, pas comme ceux qui possède ou commande une toile d’un artiste en vogue ou mieux, un membre de l’académie Agorienne des Arts pour se faire bien voir. Sa collection est variée, les pièces achetées à des jeunes arrivant sur le marché et Cerri se surprendre à reconnaître ça et là la patte débutante d’artistes maintenant connus et reconnus par le petit monde artistiques d’Alphard. Elle a aussi appris avec le temps, à débusquer les toiles d’artistes anarchistes à la fois montrées et dissimulées à la vue de tous. Qui aurait le savoir et l’oeil suffisamment aiguisés pour les reconnaître au milieu de la profusion de toile.

Cerridwen atteint enfin l’entrée de service. Les miliciens ne sont pas encore là alors elle retourne à ses pensées pour patienter. Elle ressent comme un sentiment de fierté, qu’elle ne peut partager qu’avec Cadi. Elle est mal placée, cette fierté, elle n’a pas fait grand chose au final et pour des raisons qui sont futiles. C’est une grosse crise de rébellion à son échelle, qui a eu d’énorme conséquence de part sa place et son rang. C’était au final si simple. Si elle pouvait faire plus, elle pourrait aider d’autres personnes à moindre frais pour elle, Cadi ayant l’air d’avoir sous la main les connaissances adéquates pour exploiter les informations qu’elle peut obtenir. Le plus simple serait de déterminer ce dont ces gens pourraient avoir besoin

« Mademoiselle. »

Cerridwen sursaute, se raidit. Trois miliciens se tiennent devant elle au garde à vous, droitd ans leurs uniformes bien repassé. Elle ouvre la bouche mais sa voix est comme bloquée.

« Mademoiselle. , Répète le milicien le plus âgé, et le plus gradé en s’éclaircissant la gorge .

- Que puis-je … , réussi à articuler Cerri, presque tremblante mais l’homme ne semble pas s’en formaliser

-Est-ce vous qui réceptionnez la commandes des ateliers Oedhebog ? »

Cerridwen se détend d’un coup, ce type l’a coupé machinalement et continue son laïus comme un automate .

« Veuillez signer le reçu avec le tampon et nous vous remettons la malette. Vérifiez que les numéros d’identifications correspondent. »

Cerri lève un sourcil mais obéit, récupérant ladite malette des mains du second milicien et le manifeste du premier, le troisième sert visiblement à faire tapisserie. Puis la curieuse bande s’éclipse sans un au-revoir, la laissant seule un peu coite.

Elle regagne l’interieur, jette un oeil à la copie du manifeste, tique, relit une seconde fois, manque de s’étrangler; accélère le pas pour retourner dans la pièce de travail en effervence

« Antona ! Tu vas coudre des émeraudes sur la robe d’Arlequine ?!

- Oui, pourquoi ? Ce sont des émeraudes de Procyon, d’excellente qualité, celle de moindre qualité viennent généralement de Rigel.

- Tu ne vas pas coudre sur un déguisement qui va servir une seule et unique fois des pierres précieuses qui coutent quatre ans de salaire de ma dame de compagnie pièce ?! »

Antona esquisse un sourire retors

« Le client … en occurrence la cliente, est reine, chaton. Tant qu’elle paie le prix, je exécute. Le gens de notre rang s’ennuient, que veux tu. Toi par contre, tu progresse dans ta découvertes du vrai monde. »

Cerridwen claque de langue en grommelant, fixe le petit sachet d’émeraudes qu’elle tend à une ouvrière , tentant d’établir une liste de tout ce que Cadi pourrait s’offrir avec la valeurs de ces petits cailloux précieux.

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