Souvenirs

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7 novembre, au cœur de l'après-midi.

Chaperon se délasse, dans une demi-torpeur. Son poncho noir à capuche est remisé derrière une trappe, en compagnie de ses armes de poing. Ses yeux ont quitté l’expression sauvage qui les caractérise souvent. Plusieurs enveloppes décachetées, éparpillées sur le parquet, affichent le nom de A Laymge, en lettres capitales.

La femme paraît innocente, commune… Jean et sweater, jambe sur le bras du fauteuil, paquet de clopes sur la table basse. Qui pourrait reconnaître une tortionnaire dans ce corps alangui de post-adolescente débraillée ?

Son esprit voyage, loin, très loin des frimas européens, sous d’autres latitudes : une île paradisiaque… de gros bonshommes qui courent dans tous les sens en pure perte, la monture qu'elle aiguillonne lui donnant sur eux un avantage délicieux. Ils ne peuvent lui échapper. Un phacochère humain essaye d’éviter les coups de badine dont elle le zèbre avec ardeur. Il s'est vautré pitoyablement dans une sorte de tourbière. Elle lui écrase l’épaule de sa rangers. Le ver se débat vainement. Il a de la chance que la consigne soit de l'épargner. Elle doit se contenter de faire couiner la larve sous la pression de son pied droit. Maigre consolation.

Cet autre pécari cravaté trébuche dans les épineux, lacérant son costume hors de prix, portant sa bedaine comme un handicap fatal, tandis qu’elle projette de le faire déchiqueter par les mâtins dont elle contrôle les laisses. Elle se rappelle l'ordre cruel et jubilatoire qu'elle a lancé aux deux molosses, le cri, horrifié et revigorant, expulsé par le gibier au moment de sa chute...*2

Des pourceaux, justes bons à être piétinés ou éventrés, comme Bronstein, dont elle fouille sadiquement l'abdomen après l'avoir projeté au sol d'un coup de talon. La vermine n'a même pas la possibilité de ramper, passant de vie à trépas dès l' impact suivant.

Les souvenirs dérivent inévitablement vers feu Vera Omphale, combinaison pernicieuse d’Aphrodite et de Perséphone, de laquelle elle s’était éprise et pour qui elle avait inauguré sa carrière meurtrière. Des années qu’elle refoulait des pulsions criminelles qui la taraudaient sans répit, ne trouvant dans son parcours militaire qu’un exutoire insuffisant, malgré quelques brutalités gratuites fort plaisantes. Et soudain, voilà que la Vénus de PGTV1*1, qui avait lu en elle comme dans un livre béant, lui avait fourni l’occasion d’assouvir ses instincts barbares, jusqu’à l’irréparable...

La sous-directrice des programmes, aussi garce que déesse, avait détecté dès leur première rencontre, au casting de la traque, l’exécration de l’homme qui brûlait en elle et avait décidé de la faire fructifier. Elle lui avait en outre promis, par des attouchements aussi irrésistibles que ravageurs, les félicités lesbiennes après lesquelles elle soupirait, et dont elle ne lui verserait jamais le solde.

Le rêve se dissipe, la pensée s’éveille. Elle aurait pu faire chanter la belle quadragénaire, a posteriori. Mais comment ferrailler avec une femme d’un tel pouvoir et d'un tel entregent ? Surtout en considérant qu’un jury serait beaucoup plus indulgent envers le commanditaire d’un assassinat qu’envers le bras dispensateur de mort.

La menacer d’un mauvais sort ? Elle s’y était risquée et n’avait recueilli qu’un dédain amusé. Cette salope savait qu'elle aurait préféré se faire du mal à elle-même que plutôt de la profaner. Angel l’avait haïe de sa propre impuissance, à hurler.

Lorsqu'elle avait posé sa candidature pour l'émission de TV réalité suivante avec l'espoir de s'approcher de Vera, celle-ci l'avait évincée pour couper court à toute tentative de communication. Bien qu'ayant admis intellectuellement la prudence de la démarche, Angel avait été submergée par une nouvelle houle de détestation désespérée.

N’empêche , quand le mannequin sophistiqué s’était fait dessouder par son falot subordonné, elle en avait chialé. Dans quelle espèce de monde une telle hérésie était-elle possible ? Les œuvres d’art ne doivent jamais mourir, les divinités non plus.*3

Ensuquée, la tueuse soupire dans sa semi-conscience.

*1 Importante chaîne de télévision.

*2 Le faux miroir.

*3 Retour de flamme.

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