L'accord

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6 mois auparavant.

Angel pousse la porte d’un café situé en bas d'une colline, dans le secteur pavé. Des dorures éparses, des boiseries aux arabesques mouvantes que n’aurait pas reniées Louis Majorelle, des pommeaux de rampe translucides, très art nouveau. Au mur, une publicité d’époque pour la fée verte. Tout dans l’établissement respire son Toulouse-Lautrec ou son Émile Gallé. Peu de clients. Le milieu de matinée ne favorise pas la pratique.

Elle salue d’un signe de tête expéditif le mastroquet qui polit son zinc, et gagne, comme convenu, le fond du bar.

On l’y attend, dans un box à double banquette, éloigné de toute présence inopportune. On l’invite à s’asseoir d’un index pointé vers la verrière. Enfin, on l’entreprend :

— Bonjour Mme A, ou peut-on vous appeler Angel, ex-pilote d’hélicoptère sur Siremta ?

Pas un muscle facial ne se contracte.

— Souvenez-vous… l’infortuné M. Streegteen… un bien brave monsieur… fâcheux accident…

Angel demeure stoïque.

— Un vieux dossier qu’il ne ferait pas bon rouvrir, si vous voulez me permettre. Pauvre homme, traqué à mort par des molosses… Au fait, vous travaillez toujours dans une brigade cynophile ? … Ah non, c’est vrai… vous vous êtes fait jeter parce que vous faisiez brutaliser les suspects et les prévenus par vos bêtes.

Cette fois, la jeune femme fait mine de se lever.

— Sérieusement ? Vous oseriez prendre le risque ?

Angel reprend place sur la moleskine, dévisage la personne, de laquelle émane un calme irréel.

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Voilà qui est mieux. Rien que vous n'ayez déjà eu l’occasion d’accomplir : débarrasser la société d’individus gênants.

— Vous êtes dingue.

— J’ai l’air ?

— Gênants surtout pour vous, je présume.

— Vous présumez bien.

— Et qu’est-ce qui vous laisse penser que j’accepterai ?

La forme exhibe une main dont deux doigts se sont repliés.

— Trois choses. Un : vous avez le meurtre dans le sang, ça ne fait aucun doute. Deux : Vous n’avez aucune envie que vos exploits insulaires soient dévoilés. Je vous tiens par les couilles, si je me réfère à votre orientation sexuelle. Trois : pour la somme substantielle que vous rapporteront ces petits services et que je vous verserai au fur et à mesure.

— L’argent ne m’intéresse pas.

— Sottise ! Personne ne crache sur l’argent, et vous moins que quiconque. De toute façon, il vous en faudra pour fuir le pays, une fois votre boulot terminé. Si je voulais paraphraser Tony Wendice dans « Dial M for murder »*, je dirais qu’un âne qui voit devant lui une carotte et sent derrière lui un bâton avance et ne peut reculer. Vous avez-vu « Dial M for murder », bien sûr ?

— Tout le monde a vu « Dial M for murder ».

Un silence de plusieurs minutes s’agglutine dans le box.

— Vous avez pensé à tout.

— À tout.

— J’imagine que les preuves de ce que tu avances sont à l’abri en double exemplaire et que toutes les précautions ont été prises pour pallier ta disparition éventuelle ?

— En double exemplaire seulement ? Vous me mésestimez, ma chère. En toute objectivité, j'ai déjà eu l'occasion de voir mon reflet lors de périodes de fatigue intense : teint pâle, traits tirés, yeux vides. Franchement, je ne ferais pas un beau cadavre. C'est pourquoi j'ai décidé ne de ne pas vous exposer aux tentations.

— Par conséquent, pas moyen de me débarrasser d’une vermine dans ton genre, hein ?

— Vous êtes passée au tutoiement…

— Tu as remarqué ? Vu ce que nous allons commettre ensemble, je suppose que ça crée des liens.

* 'Le crime était presque parfait’ 1954

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