Nous étions assis, silencieux

2 minutes de lecture

  • Je l’ai toujours… Je l’ai toujours gardé près de moi.

 Je lui sortis le mouchoir brodé, rouge aux deux « L » entrecroisés dans un coin.

 Pas un mot.

  • Et toi, l’as-tu…

 Pas un mot.

 Mais cette fois, je fus coupé par un geste. À son tour, elle sortit un mouchoir bleu, tâché de peinture. Nous étions assis, silencieux.

 Elle l’avait gardé, elle aussi, mon bout de tissu. À l’époque il ne me quittait pas, pas plus qu’aujourd’hui je ne quitte celui qu’elle m’avait troqué. J’aimerais tant lui arracher un mot, un son… Mais je n’ai que son regard, froid, sans le moindre bonheur. Pourtant j’étais là, juste devant elle, pour elle, sur la banquette. Elle avait besoin de ma présence et moi de la sienne. Sa voix n’en resterait pas moins muette, au contraire de ses yeux.

 Des yeux émeraude, d’où s’échappaient des larmes qui perlaient ensuite le long des courbes de ses pommettes. Des courbes qui se retouvaient tout le long de son harmonieux corps, sur lequel on y décelait également, quelques uns de ses cheveux roux. Un brasier, où on aurait pu croire, que brûlaient quelques gousses de vanille. Son odeur imprégnait notre compartiment. Pourtant elle demeurait aussi glaciale que sa peau couleur neige.

 Cependant, cette odeur me réconfortait, elle m’était familière, comme ce train que j’avais pris tant de fois à ses côtés. J’aurais sans doute pu peindre l’ensemble de ce trajet, maintes et maintes fois repris, les yeux fermés, le regard éteint comme elle… C’est ce que j’entreprendrai demain songe un instant avant de me raviser.

 Nous étions déjà arrivés au niveau des champs dorées, la prairie devait être verdoyante en cette saison. J’aimais Paris, de tout mon coeur, mais la Grande ne pouvait pas m’offrir la quiétude de là où nous nous rendions. Elle ne me décrochait pas de son regard, pas un instant. Mais c'était son silence qui était toujours maître des lieux. Il n’y avait rien d’autre que sa tristesse, beaucoup de tristesse.

  • « Je t’aime »

 Ce n’était pas vrai, enfin je n’ai jamais su dire si je l’aimais vraiment. Bien qu’à mes côtés, elle était constamment hors de ma portée. J’étais Tantale, affamé de son être, elle, proche mais inaccessible. La désirer, était-ce l’aimer ? Peu m‘importait à ce moment. Réagirait-elle à ces doux mots, ces mots qui réchauffent même le cœur des plus fous de notre époque ? Et Dieu sait que ces derniers temps ils ne manquaient pas à l’appel. Hitler, Staline, Mussolini, Franco… Ceux de l’autre côte de l’Atlantique dont j’ai oublié les noms. Nous nous étions tous perdus. Une fois encore. C’était bien eux, que nous fuyions l’espace d’un instant, à bord de ce train.

 Pas un mot.

 Ce silence fit taire une fois de plus mes pensées et mes attentes. Nous arrivions déjà en gare...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 11 versions.

Vous aimez lire Bismuth Bi83 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0