Nous étions seuls. Seuls à deux.

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 La gare était comme effacée par le temps : les couleurs semblaient s’y être évaporées et la foule l’avait abandonnée. Nous étions seuls. Seuls à deux. Ensemble. Je me souviens de ces trois mots, c’est elle qui me les avait offerts il y a bien des années. Contrairement à cette gare, ces mots restaient intacts malgré la folie de notre époque, qui nous eut séparés, elle et moi, il y a de ça une vingtaine d’années. Séparés était un bien grand mot. Il l’aurait blessée. Après tout, nous nous retrouvions régulièrement à cet endroit même.

 Toujours, sans un mot d'une main elle prit les miennes. Dans l’autre elle serrait mon bout de tissu. Je ne remarquais qu’à cet instant, qu’en plus de la peinture, il était aussi tâché de sang par endroits. Inquiet, je l’examinais. Elle n’avait rien. Elle fut gênée par mon regard interrogatif.

  • Je t’aime, lui soupirai-je.

 Peut-être que c’était vrai malgré tout, malgré moi. Je l’aimais. A ma façon. Désirer c’était aimer. Ça l’a toujours été. Elle en souffrait. En seule réponse elle intima la marche qui nous conduirait au vieu cabanon, dans le pré. Je n’insistais pas. Je lui souris et la suivis. Je voulais me faire pardonner. C’était moi le responsable. Le responsable de sa tristesse. Je ne savais pas pourquoi, mais cette terrible vérité sonnait au fond de moi, elle, et toute sa culpabilité.

 Nous descendions de la gare, l’air de la campagne était frais, la brise légère, sur des notes de rêveries, de Claude Debussy. Elle aimait la musique. Moi je ne fus jamais un grand mélomane, mais pour elle, j’avais appris ces notes qu’elle aimait tant. Une pure folie. Elle n’a jamais eu l’occasion de les entendre, mes notes. J’aimerais la surprendre un jour, peut-être serais-je récompenser par un mot ou du moins un sourire. Je me le demandais, je l’espérais. Mais où trouver un piano en pleine campagne ?

 Le cabanon n’était plus très loin. Nous n’étions jamais allé au-delà de sa silhouette, naissante à l’horizon. Elle faisait toujours demi-tour à ce moment, secrète, comme son silence. Mais ce jour-là, non, elle ne reculait pas.

  • Nous contiuons ? lui demandai-je d’une voix douce.

 Elle était toujours aussi gênée par mes questions. Mais bientôt sa gêne s’évanouit devant sa tristesse. Avant que même, cette habituelle tristesse ne s’efface aussi. Elle s’arrêta. On lisait l’inquiétude sur son visage.

 Je ne comprenais pas. Ce pré était loin de tout danger, loin des perdus. Pas de nazis, ni de communiste. Pas de collaborateurs, ni de terroristes. Personne n’y venait tuer. Ce petit bout de campagne, était l’un des derniers havres de paix, d’amour. Un endroit épargné par les Hommes. Il l’a toujours été. Il y régnait également un silence. Cependant, celui-ci était différent de celui de Lily. Ce silence là, était doux et profond. Il était plus fort que le sien. Il réchauffait son cœur et séchait même ses joues, creusés par des larmes trop souvent perdu.

 Je jalousais ce calme, je ne comprenais pas comment, put-il rendre un tant soit peu sereine ma belle Lily. Je le remerciais et lui en voulait à la fois. Si bien que je choisis de ne jamais le peindre.

  • C’est pour ça, le sang dit-elle, toute gênée et tremblante.

 Je n’en revenais pas, depuis tout ce temps je n’attendais qu’une seule chose et c’était enfin arrivée. Elle m’avait parlé. Lily était chancelante, je ne comprenais plus. Sa voix fébrile trahissait toutefois un mensonge. Elle pointa alors du doigt au devant. Sur le fil étendoir, tout juste à côté du cabanon, sa mère étendait quelques unes de ses côtes, avec le linge.

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