Chapitre 74

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     Le lendemain, le cerveau nettoyé au karcher, propre comme un sou neuf, son système d'exploitation reformaté tel qu'à sa sortie d'usine, en un mot blindé à mort contre toute agression extérieure, je me pointai devant la caserne Lamarque, lieu de l'instruction des élèves officiers de réserve du service de santé de l'armée française. Le bidasse athymhormique qui faisait office de planton m'indiqua le siège administratif où j'allai recevoir mes papiers d'incorporation et mon uniforme.


Une fois passé le porche je me retrouvai devant une cour immense avec au milieu le mât au sommet duquel flottant le drapeau tricolore, à sa base un vieux tank symbolisait notre puissance militaire conjuguée au passé. On m'a raconté par la suite qu'une nuit des petits malins l'avaient entièrement peint en rose. Des bâtiments, immenses, rectangulaires, mastocs, au style néo classique de la fin du XVIIIè siècle délimitaient la cour d'un côté et des espaces de verdure sur plusieurs hectares, un imposant champ de tir au fusil couché, de l'autre côté. La découverte de cet univers me laissait un sentiment trouble de désarroi en même temps que de suprotection, mon énergie tout entière se consacrait à mon adaptation à ce monde inconnu.


Mes papiers en poche, ma tenue basique, treillis, chemise, cravate, chaussettes, rangers, béret, sur les bras je devais me rendre dans le dortoir et occuper le lit qui m'était réservé.

- Mais je suis logé dans une chambre en ville.

- Ici vous avez quand-même votre hébergement, qui vous servira à ranger vos affaires et à vous reposer dans les moments d'inactivité.


Ainsi, je rejoignis le dortoir au premier étage de l'un des bâtiments, il comportait une douzaine de lits avec une armoire métallique accolée à chacun d'eux. Le mien se situait en quatrième position sur la rangée de droite en entrant. D'autres élèves officiers de réserve (EOR) occupaient les lieux et se changeaient pour endosser leur uniforme. Je fis comme eux. Heureusement qu'il n'y avait pas de miroir, il me suffisait de reluquer mes camarades pour avoir une idée de mon apparence. En tout cas je ne m'imaginais pas du tout en Steve Mac Queen engagé dans une filmographie sur la guerre de sécession.


Nous fîmes les présentations. Je fus le seul psy de la chambrée. Les gars se montrèrent plutôt sympas. Sauf un gros pourceau lèche-bottes de la pire espèce qui ne cessait pas de nous mettre la pression pour nous transformer en parfaits soldats bien disciplinés. Inutile de préciser que d'emblée je me suis pris de bec avec lui et l'ai envoyé se faire foutre, mais ce con visqueux eut la maladresse d'insister. Sans coup férir je l'ai saisi au colback et l'ai secoué comme un prunier, les autres nous ont séparés, m'ont raisonné et calmé. Finalement il ne se fit aucun ami dans le groupe et ne nous cassa plus les pieds, s'acharnant à potasser fébrilement ses notes dans son coin, pendant les temps de pause, dans l'espoir de gagner la place de major au concours de fin de séjour à Libourne. Je me suis dit qu'il devait sûrement être un brillant étudiant en médecine et que c'était bien triste.


La majorité de mes camarades n'en connaissait pas plus que moi sur les protocoles militaires. Nous étions nombreux à ne pas reconnaître un sergent d'un adjudant, à ignorer qu'il fallait se tenir au garde à vous au pied de notre lit, refait au carré, quand un officier entrait dans le dortoir. D'aucuns furent carrément incapables de marcher au pas et de répondre correctement aux ordres de déplacement.


Par chance, notre sergent instructeur était un vieux briscard au torse bombé, à la voix assurée et forte de quelqu'un habitué à commander, qui disait "ap-dou" au lieu de "une-deux", plus militaire que lui tu meurs. Il en avait vu des vertes et des pas mûres et possédait des qualités psychologiques surprenantes, en arrêtant par exemple systématiquement un exercice avant que toute la compagnie, fatiguée, ne commençât à manifester son ras le bol.


C'est un fait que l'armée savait parfaitement gérer l'arrivée de sept cents médecins, pharmaciens, dentistes, tous les deux mois. La nourriture le midi dans d'immenses réfectoires nous donnait entière satisfaction. Le spectacle de tous ces hurluberlus qui se ruaient, se bousculaient, se piétinaient, pour se situer en tête de la queue pour emplir leur panse, était affligeant. Pour ma part, avec quelques copains nous attendions tranquillement que la cohue se soit calmée avant de nous installer et n'avons cependant jamais manqué de boustifaille. Je ne me souviens plus si du vin se trouvait mis à disposition sur les tables mais c'était probable, car à l'époque les experts officiels en matière de santé considéraient qu'un homme normalement constitué pouvait boire sans dommages particuliers jusqu'à un demi-litre de vin par jour. Et bien que bourguignon, mais pas chauvin en ce domaine, j'ai pu apprécier le bordeaux, sinon à la caserne, du moins dans les caves de Saint Emilion.


Par contre, je me souviens à propos d'oralité, que les cigarettes, des gauloises « troupes » nous étaient offertes gracieusement et quasiment à volonté. Ce que j'appréciais évidemment en tant que fumeur impénitent.

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