Chapitre 77

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    Mon cerveau émotionnel, qui est gravement handicapé question du goût pour les toilettes, la mode, les décorations des maisons de particuliers et des édifices publics ordinaires, ne permet pas à ma mémoire de retenir ce qu'il y avait comme mobilier dans cette chambre, ni de me souvenir où se trouvaient les douches. Qu'importe, c'était au rez-de-chaussée, il ne manquait rien, je m'y trouvais bien. De toute façon je n'y passais pas beaucoup de temps, n'ayant jamais eu un grand besoin de sommeil.


Au second étage logeaient les libyennes, au premier les infirmières élèves et diplômées, et leur satanée surveillante particulièrement revêche et mal embouchée. Une nuit, avec mes camarades fêtards impénitents, nous avons injecté pendant qu'elle roupillait un tube d'araldite dans la serrure de son appartement, et avons pu tranquillement répondre aux invitations enfiévrées de ses voisines, les jolies et amènes demoiselles soignantes célibataires et néanmoins en manque de soins.

Le milieu médical est un lieu magique pour qui aime la séduction, le palper, les caresses, les flirts, l'amour, le sexe et tutti quanti. Si les thérapeutes ne se soignent pas aussi bien qu'ils soignent leurs patients, ils ont l'opportunité d'explorer le domaine humain avec toute la curiosité personnelle et professionnelle dont font preuve les anthropologistes. Pour ma part un esprit avide de découvertes et de recherches a pu largement saisir cette opportunité.


Me pointer dans le service de neuro-psy à huit heures du matin, ni même à neuf heures, était hors de mes possibilités chrono biologiques. Donc, je commençais mes journées de travail à dix heures pétantes. La surveillante a semblé s'y habituer, mais pas mon colon qui au bout d'un certain temps, et timidement parce qu'il appréciait ma personne et reconnaissait mes compétences sur lesquelles il s'appuyait volontiers, me fit cette remarque en se montrant bien gêné :


- Euh... je voudrais vous dire que... euh... vous arrivez un peu tard dans le service... normalement c'est huit heures et nous tolérons que ce soit neuf heures... mais dix c'est un peu tard pour commencer votre journée de travail.

- Et vous pensez que je fais mal mon travail ?

- Ah mais non ! Assurément pas ! Au contraire !

- Vous pensez alors que les cas psychiatriques sont particuliers et que les entretiens nécessitent d'être effectués plus tôt pour être efficaces ?

- Ah mais non !

- Donc, si je viens à dix heures et si je pars à dix-huit au lieu de dix-sept, je suis tout aussi performant en réalité ?

- Mais oui... bien sûr !

- Mais alors où est le problème ?

-Euh... et mon colon s'est empressé de quitter les débats et de se carapater dans le couloir.


Finalement je n'ai rien changé à mes habitudes et l'on ne m'a plus jamais critiqué rapport à mes horaires. En outre j'ai décidé d'arborer un cache-nez rouge a rendre fous des taureaux camarguais, à ne pas aller chez le coiffeur pendant l'année entière. Et l'on ne m'a jamais rien dit.


On m'a aimablement dispensé de ma participation au défilé militaire le jour du quatorze juillet, où j'ai pu rester dans mon lit douillet.


Il y eut cependant un gag imprévu lors de l'inspection du service par un général. Oui... un vrai général avec son étoile et tout et tout. Grand branle-bas de combat si je puis dire. On imagine le chef, pas en trop bonne intelligence avec sa hiérarchie, dans tous ses états devant cette inspection à quelques mois de sa retraite. La surveillante m'a recommandé de venir à l'heure, propre comme un sou neuf, en uniforme, pas un pli sur le pantalon, le col de chemise impeccable et le nœud de cravate parfaitement symétrique.

Le jour J quand elle m'a vu arriver elle a poussé des hauts cris :
- Mais vous avez vu votre tenue ?!?

- Ben non... qu'est-ce qu'elle a ma tenue ?

- C'est la tenue d'hiver... et la tenue réglementaire est la tenue d'été !

J'éclatai de rire !

- Mais c'est pas drôle, vous risquez les arrêts de rigueur !

Là, je ne ris plus.

- Ben... je trouvais celle-là plus jolie... qu'elle m'allait mieux... bon !... je vais me changer...

- Mais non !... vous n'en avez plus le temps... les huiles sont déjà dans l'hôpital ! Vous allez vous planquer là-dedans.
Et j'ai passé la matinée dans un placard à balais.

La visite s'est parfaitement déroulée. On m'a raconté que le chef était liquéfié en accueillant son supérieur, trop supérieur... la main droite en salut militaire, les mots coincés dans la gorge : Bonjour mon coco...mon coco... mon général ! Mais tout s'était bien passé... la surveillante m'a libéré vers midi avec un large sourire... et moi affichant un air plutôt penaud que héros. Ma vie est un drôle de roman dont je suis l'anti héros.


Toutefois, au moment de partir, mon colon, avec qui je m'étais très bien entendu tout au long de notre collaboration, m'a fait un petit speech, non sans insister sur la finesse de mon intelligence, la richesse de mes connaissances en psychiatrie et la profondeur de mes qualités humaines qui, selon lui, feraient de moi un grand homme qui ira loin. Très loin. Certes, il en rajoutait un peu le bougre, car il tenait à la main le papier d'enquête sur lequel j'avais coché « non » à toutes les cases, telles que recevoir le bulletin des armées, participer à des périodes pour gravir les échelons d'officier de réserve, etc. Le bémol, c'était qu'il devait m'annoncer, à son grand regret, un reproche éminemment fondé :

- Mais pour ce qui est de l'esprit... militaire... on ne peut pas dire que vous l'avez vraiment...

En silence j'attendis la suite.

- Aussi... je ne peux pas vous mettre vingt à votre note de fin de service. Je vous ai mis dix-huit et j'en suis désolé.

- Il ne faut pas, car dix-huit c'est une très bonne note.

Nous nous sommes quittés bons amis sans qu'une ombre ne vienne entacher notre respect mutuel.

Cela ne m'a pas empêché, quand je me suis rendu au QG de Metz pour être démobilisé, de recevoir un « Certificat de bonne conduite » que j'ai conservé précieusement comme une distinction suprême digne de la légion d'honneur.


Maintenant, il me faut décrire un peu mon travail dans cet hôpital des armées.

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