Chapitre 7 : la fin du voyage

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  • Léa, cesse de traîner dans mes jambes, bon sang ! tempêta Téodime, exaspéré par sa petite sœur.

— Mais, je veux t’aider, moi aussi, j’ai appris à faire du feu !

— Le feu est déjà allumé ! Et, si tu veux manger quelque chose avant d’aller dormir, arrête de me tourner autour !

Un bon feu crépitait devant la porte de l’abri construit sur les ruines d’un bâtiment sans âge. Ugo, le frère de Téodime et Léa, étaient allés chercher de quoi l’allumer et l’alimenter. Ana, leur grand-mère, l’avait démarré. Téodime avait fait bonne chasse. Une fois rentré, il avait aidé sa mère malade, mourante à vrai dire, Isa, à sortir de son lit de fortune pour l’installer près du foyer.

Quelques mètres plus loin, d’autres feux brisaient l’obscurité. Dans ces cercles de lumière dansante, Noway apercevait les ombres des familles de Bart, Salomé et Mila.

Tous auraient de la chaleur et un bon repas, ce soir. Un moment doux et heureux sous les étoiles, ils étaient rares. Le grand jeune homme aux yeux d'acier observait attentivement chaque détail, scrutait chaque visage, chaque geste, humait les odeurs. Il savourait cet instant sous la voûte céleste.

— Léa, veux-tu que je raconte une histoire pendant que les autres préparent le repas ? interpella-t-il la petite fille.

— Mais Noway, tu dis que le repos, c’est quand on a fini toutes les corvées ! Je veux aider !

Les poings sur les hanches et les sourcils froncés, elle le dévisageait d’un regard noir pourtant, elle était fatiguée. Il lui sourit tout en gravant ce souvenir dans sa mémoire.

— Tu as largement fait ta part aujourd’hui, ma grande. Tu peux être fière de toi. Allez, viens t’asseoir.

Elle bougonna encore un peu mais le rejoignit pour s’installer sur ses genoux.

— Que veux-tu que je te raconte ?

— Raconte-moi quand t’étais petit…

— Encore ?

Elle hocha vigoureusement la tête avant de la caler au creux du cou de Noway. Elle n’imaginait qu’il puisse refuser. Il le savait. Sûrement parce qu’il avait toujours dit oui, comme Ash, son grand-père. Ce dernier disait qu’un souvenir partagé apprenait toujours beaucoup. Tout ce que le voyageur avait appris à Ana, Téodime, Ugo et Léa, la chasse, les pièges, le feu… le combat, mais aussi, la patience, la persévérance, le partage du savoir et des belles histoires, il le devait à Ash.

Alors, une ultime fois, il partagea ses souvenirs d’enfant avec Léa.

Il lui décrivit les lieux de sa naissance, les ruines d’une des deux cités à ciel ouvert avoisinants Bulle aux portes du désert Shara.

Enfant, il les voyaient comme de gigantesques royaumes à explorer, Il lui raconta les balades dans les rues avec Ash. Ils faisaient de nombreuses haltes pour observer les édifices, imaginer par quels procédés ingénieux leurs ancêtres avaient pu élever de si hautes tours aux formes défiant la gravité : combien d’hommes et de femmes avaient participé, quelles machines avaient été inventées. Ces promenades familiales étaient souvent l’occasion pour Ash de partager sa vision de l’humanité. Elle était bien singulière au sein des Clans : il mettait toujours en exergue le génie des Hommes.

— Dis comme lui, Noway, s’il te plaît … le supplièrent Léa et Ugo qui était venu les rejoindre.

Ils adoraient ce passage-là, Noway ne se fit pas prier. Il tenta de prendre la voix grave de son grand-père. Tandis qu’il l’imitait, la voix du vieil homme résonna dans sa tête.

— Regardez les enfants ! Ce que vous voyez là est d’abord né dans l’esprit d’un homme ou d’une femme puis a pris forme grâce à l’intelligence, à l’habileté et à la force de milliers d’autres. N’est-ce pas impressionnant ?

— Bah, euh oui, mais c’est tout cassé maintenant ! répondirent Léa et Ugo prenant le rôle de Kaly, la petite sœur du jeune homme et lui-même.

— Cela n’enlève rien au mérite de ceux qui l’ont construit, les enfants.

— Mais tu dis que c’est pas bien de casser les choses belles et utiles… Quand nous on le fait, t’es pas content !

Et comme l’enfant qu’il avait été, Léa et Ugo renchérirent :

— Eux, ils ont tout cassé, tout sali et après ils sont allés se cacher sous leur cloche ! C’est des gros nuls !

Comme Ash, Noway rit doucement en les regardant avec tendresse et conclut par une des phrases de son cru :

— Eux, Ils étaient comme nous, les enfants. Je suis sûr que ceux qui nous ont précédés, au moins certains d’entre eux, ont fait ce qu’ils pouvaient pour réparer. Mais, ça n’a pas marché. Du reste, les Bulles sont des édifices prodigieux, même si l’usage que nous en avons fait est discutable.

Le jeune homme soupira. Encore à ce jour, il avait du mal à partager la foi inébranlable de son grand-père, surtout depuis qu’il avait lu les fragments de la dernière lettre de Liam, un homme d’avant les Bulles. Il essayait de la leur transmettre quand même, car on a aussi besoin d’espoir pour survivre.

Ugo lui tira la manche, Léa s’agita. Ils attendaient la suite.

— Bien, vous vous rappelez, là d’où je viens, nous n’avions pas qu’une maison. Nous ne pouvions pas.

— Oui, vous deviez chercher de l’eau, tout le temps.

Sur cet autre continent, le climat se montrait plus clément alors l’eau était plus facile à trouver. La première fois qu’il leur avait parlé de l’importance que son Clan accordait à celle-ci, ils avaient trouvé cela étrange. Il avait quand même insisté. Ils avaient de l’eau, les Bullites leur fournissaient de quoi la filtrer, pour l’instant. Qui savait de quoi demain serait fait ?

— Oui, car sans eau, on peut mourir en quelques jours. Alors, tous ensemble, nous avons appris à la trouver. Certains la voyaient de très loin, d’autres, comme Léo, l’entendaient chanter. Il y avait aussi ceux qui, comme Kaly, percevaient son odeur à des kilomètres. Moi, je la sens vibrer sur ma peau, comme des petites vagues. En tout cas, il fallait beaucoup de patience et de courage pour apprendre à en trouver. Tout comme, il fallait être persévérant et endurant pour apprendre à fabriquer des pièges, chasser, faire la cueillette…

— Oui Noway ! On sait, c’était dur mais vous en étiez capables parce que vous n’abandonniez jamais. Nous aussi, on doit être courageux et persévérants quoiqu’il arrive… blablabla… on a compris, l’interrompit Ugo.

— Tant mieux, parce que je ne serai pas toujours là pour te le rappeler, lui rétorqua-t-il, avec un air faussement sévère.

Le cœur du jeune homme se serra tandis que le petit garçon lui tirait la langue.

— Allez, Noway, raconte-nous quand tu jouais plutôt, le relança Léa.

— D’accord. J’étais comme vous. Je râlais quand Ash me faisait la leçon. Moi, ce que je préférais, c’était jouer avec Kaly et Léo. Pourtant…

— Ooooh, râla Ugo.

Mais, ils ne couperaient pas à une dernière piqûre de rappel.

— Aux aurores, quand le soleil n’était encore qu’un rayonnement caressant, nous devions accomplir des tâches quotidiennes sous l’œil vigilant du général Ash : remplir les réserves d’eau, nettoyer et repriser les vêtements, s’occuper des cultures quand nous arrivions par miracle à faire pousser quelque chose. Nous faisions aussi la cueillette et la chasse dans la forêt.

Vers dix heures, on rentrait pour se reposer et se protéger. Jusqu’au crépuscule, il faisait trop chaud pour qu'on sorte.

Mais…

— Aaaah ! s’exclamèrent les enfants satisfaits.

— À la nuit tombée, on pouvait courir partout où on voulait, sur le territoire du clan bien sûr. On explorait toujours en recherche d’un endroit où construire d’immenses forteresses : des cabanes, des tours, des ponts et des tunnels fait de brics et de brocs. On se livrait des batailles terrifiantes où on affrontait des hordes de chasseurs bullites féroces et sanguinaires. On gagnait à chaque fois et on faisait de grandes fêtes pour célébrer ces victoires en poussant des hurlements sauvages sous le ciel piqué de milliers d’étoiles.

— À table, coupa Téodime.

— On pourra jouer à la bataille après manger ? demanda Ugo plein d’espoir.

Noway lança un coup d’œil à Ana, celle-ci sourit.

— Un peu, répondit Téodime, à sa place. Après, vous irez dormir.

— Youpi ! s’écrièrent les deux garnements.

Après le repas, comme promis, ils jouèrent et ils gagnèrent des tas de batailles. Puis, vint l’heure de se coucher pour les enfants et Isa. Ana aussi.

Il ne restait plus que Noway et Téodime, autour du feu. Celui-ci fixait le jeune homme avec insistance. Téodime, le chat sauvage, comme Noway l’avait surnommé.

— Je sais ce que tu comptes faire ! cracha-t-il, d’un ton furieux.

Dès leur première rencontre, Noway avait su qu’il s’attacherait à ce garçon. Entre écorchés vifs, on se comprend.

— Je sais que tu es allé te renseigner auprès des marchands d’HC ! Tu vas partir, tu vas nous abandonner !

— Je ne vous abandonne pas. Je vais me vendre pour sauver ta mère. Sans médicaments, elle va mourir, tu le sais. Vous avez besoin d’elle.

Téodime se lèva d’un bond pour tourner le dos. Il voulait sûrement cacher ses larmes.

—Tu lui as demandé ce qu’elle en pense, Noway ?

Ce dernier regarda les poings de Téodime se serrer, sans dire mot.

— Je vais te le dire, moi. Elle veut que tu restes quitte à mourir. Sans toi, on est tous morts !

Comme Noway persistait à ne rien répondre, il se retourna pour lui faire face.

— Et à moi, pourquoi tu me demandes pas ce que j’en pense ? Ça ne t’intéresse pas ?

— Téodime, on ne se connait que depuis quelques semaines… tu vas t’y faire, j’en suis sûr.

— Non ! Quand mon père est mort, j’ai d’abord eu terriblement peur…et puis j’ai fini par me faire une raison. Nous allions tous mourir à petit feu parce que les autres ne pouvaient pas nous aider, ni se résoudre à nous achever. J’ai même eu si faim ou été si las des gémissements de ma mère et des enfants que j’ai souhaité qu’ils meurent… ou que j’ai le courage d’abrèger leurs souffrances avant d’être emporté à mon tour ! Et puis, tu es entré dans nos vies…Tout a changé, on a plus froid, on a plus faim, on a même plus peur. Je crois bien qu’on n’avait jamais connu cela avant. Je ne veux pas que tu partes !

Sa voix vibrait de colère contenue. Noway aurait tellement voulu pouvoir lui offrir un peu plus de temps, de répit. Malgré sa tristesse, il tâcha de rester impassible, le garçon avait besoin de sa force, pas de ses regrets.

— Tu te souviens ce que j’ai demandé, lors de notre première rencontre ?

— Oui.

— Est-ce que tu es capable de subvenir aux besoins de ta famille, est-ce que tu sais chasser ? bricoler ? te battre ? La réponse est oui, aujourd’hui. Vous survivrez.

— À quoi bon ? lui jeta-t-il, Quand tu partiras, le gang reviendra. Ils nous prendront tout ou ils nous tueront tous.

Il avait raison. Comme si la misère ne suffisait pas, il y avait aussi ces meutes de charognards.

Noway se souvenait, comme si c’était hier, du jour où, il avait trouvé Téodime inconscient, couverts d’ecchymoses et le visage tuméfié, à l’entrée de notre abri. Celui-ci avait été saccagé et le garde-manger, pillé. Les quelques adultes qui vivaient presque comme un clan avec la famille de Téodime étaient tous allés se cacher. Seul Téodime les avaient affrontés. C’est ainsi que Noway avait appris l’existence du gang.

Cela l’avait plongé dans une colère noire et abyssale. Comment avaient-ils pu, tous sans exception, se montrer si lâches ? Pendant plusieurs jours, l’étranger s’était tenu loin de ces gens. La fureur qui l'habitait aurait pu l'amener à des actes qu’il aurait regretté, peut-être.

Il s’en était occupé, seul. Il avait tendu une embuscade au chef et à sa garde rapprochée. Il leur avait expliqué sa façon de voir les choses en utilisant leur propre langage. Cela semblait avoir fonctionné, ils n’étaient plus revenus depuis. Surtout, les hommes et les femmes qui avaient fui devant la menace, étaient venus le trouver pour apprendre à se défendre.

— Je sais, Téodime. Je vais me charger de ça, avant de partir. Cette nuit.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Ce qu’il y a à faire… fais-moi confiance.

— Tout seul ! Noway, ils vont te tuer !

Noway leva les yeux vers le ciel constellé d’étoiles. Il avait pourtant tout fait pour éviter de le mêler à ça.

— Non, pas tout seul… j’ai parlé avec Bart pour avoir des renseignements sur leur nombre, leur armement, leurs habitudes…Quand Bart a compris ce que je comptais faire, il a voulu en être. Il m’a aussi persuadé d’en parler à d’autres. Nous serons cinq.

— Vous allez faire quoi ? insista Téodime.

Noway le prit par les épaules pour trouver son regard affolé.

— Nous allons éliminer cette menace, Téodime. Ensuite, je partirai pour Bulle et vous aurez les médicaments pour ta mère et de quoi améliorer votre quotidien.

— Et si tu meurs en affrontant le gang ? Ou si tu meurs sous Bulle ?

— Cela n’arrivera pas, Téodime.

— Comment peux-tu en être sûr ?

— Crois-moi, j’ai tout essayé. La mort ne veut pas de moi.

Soudain, Téodime le prit dans ses bras et l’étreignit violemment. Là, contre la peau du guerrier, il étouffa un cri de douleur qui déchira le cœur de Noway. Il enlaça le garçon tremblant de peur qu’il s’effondre. Après de longues minutes, ce dernier se dégagea.

— Tu dois prévenir Ana, Ugo et Léa. Hors de question que tu disparaisses sans leur dire au revoir !

Noway détestait les adieux, il s’en serait bien passé. Pourtant, il abdiqua.

— D’accord.

— Et je veux venir, ce soir, ajouta Téodime, en essuyant ses larmes d’un geste rageur.

— Non, c’est trop dangereux. Ta famille aura besoin de toi…

— Un jour, ce gang-là se reformera, ou d’autres viendront. Il faudra éliminer la menace, comme tu dis. Je ne veux pas vivre ce premier véritable combat seul, j’ai besoin que tu sois avec moi. Alors, je viens aujourd’hui !

L’idée qu’il soit blessé ou pire brûla les tripes de Noway. L’espace d’un instant, il envisagea de l’assommer. Il y renonça presqu’aussitôt. Un jour, demain ou dans quelques mois, il faudrait que Téodime se batte. Le monde était ainsi.

— D’accord. Mais, tu restes à mes côtés et tu fais tout ce que je te dis, quoiqu’il arrive !

L’adolescent hocha la tête et sans un mot de plus, partit se préparer.

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