Chapitre 1 : un clan dans le désert

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Assis contre un reste de mur branlant, Noway dépité, tâchait de rester immobile pendant que son grand-père Ash finissait de lui bander la cheville. À quelques pas de là, Léo son meilleur ami, l’observait l’œil guoguenard. Il ne pouvait s’empêcher de sourire des grimaces contrariées qui échappaient à Noway. Ce dernier ne pouvait lui en vouloir. Il s’était blessé bêtement en cherchant à retrouver la joie absolue qu’il ressentait lors de leur jeu enfantin préféré : sauter de toits en toits. Léo l’avait suivi mais ni l’un, ni l’autre n’avait réalisé que leur poids avaient plus que légèrement augmenté. Noway était passé au travers d’un toit, une de ses chevilles n’avaient pas résisté à l’atterrissage. Léo lui, s’était arrêté juste à temps.

Quand Noway était revenu claudiquant et en sueur, sur le territoire de leur Clan, il avait été accueilli par Ash dont le sixième sens quant aux bêtises de son petit-fils ne s’était pas émoussé avec les années.

Le vieil homme n’avait rien demandé mais son expression et son regard s’étaient exprimés pour lui. Il avait, bien sûr, deviné leur idée brillante et sa conclusion. Il était allé cherché un onguent et des bandages en marmonnant quelque chose de tout à fait intelligilible concernant l’absence de jugeotte de certains jeunes hommes désoeuvrés. Comme toujours, Noway s’était senti si stupide et honteux qu’il aurait voulu creuser un trou dans le sable pour s’y enterrer.

Noway laissa échapper un grognement de douleur lorsque son grand-père acheva de serrer son bandage.

  • Estime-toi heureux de n’avoir rien de cassé. Si tu es raisonnable, tu guériras vite.
  • Dis-le, qu’on en finisse, s’agaça Noway.
  • Quoi donc ? rétorqua Ash en plantant ses yeux vifs dans ceux du jeune homme.
  • Que ce que j’ai fait est stupide ! Que je n’ai pas réfléchi une seule seconde aux conséquences de mes actes sur la vie du Clan, comme l’aurait fait un homme responsable ! Que je ne suis qu’un abruti puéril et égoïste !
  • Pourquoi me fatiguer ? répondit Ash en se relevant pour épousseter le sable sur son pantalon. Tu t’en charges très bien tout seul.

Sur ce, il se détourna et le planta là. Tandis que Noway ruminait, Léo s’approcha avec un petit sourire.

  • On a quand même bien rigolé… avant que tu t’écrases.

Noway lui lança un regard outré.

  • Ah, tu peux te marrer… Comme d’habitude, tout le monde va retenir que c’est moi, le fou dangereux, qui t’ait entrainé toi, si gentil qui ne m’a suivi que pour m’empêcher de faire plus de conneries, ou pour voler à mon secours … Alors que tu vaux pas mieux.
  • Qu’est-ce que j'y peux si mon visage rayonnant n’inspire qu’honnêteté et bienveillance ? plaisanta Léo en lui offrant son sourire le plus brillant.

La mauvaise humeur de Noway s’évanouit aussitôt. Léo n’y pouvait rien. Il était si solaire qu’il n’avait besoin de rien dire : les autres se chargeaient à sa place de lui donner le beau rôle. Léo était réellement l’être le plus bienveillant et empathique que connaissait Noway, excepté Ash.

Il était son meilleur ami, d'aussi loin qu'il se souvienne et, jamais le dernier pour inventer des jeux dangereux qui égayaient leur dur quotidien. Les deux amis se sourirent, se comprenant en silence. Il fallait que la vie vaille le coup d'être vécue sinon, où trouver la force de se battre jour après jour contre la faim, la soif, la chaleur... et ça encore, c'était quand tout allait bien.

  • N’empêche, c’était stupide… Je ne pourrai pas chasser, ni même porter de charges lourdes pendant plusieurs jours… En pleine saison sèche… Quant à me battre.
  • C’est vrai. Ceci dit, j’ai une révélation à te faire : ce Clan peut survivre sans toi ! Alors, respire un grand coup et détends-toi. Ensuite, je te prêterai mon épaule pour que nous allions manger un bout.
  • Merci mais je vois clair dans ton jeu, ironisa Noway. C’est encore pour soigner ta réputation d’homme parfait. Je peux très bien boîter tout seul jusqu’au sous-sol.

Léo leva ostensiblement les yeux au ciel avant de lui tendre la main. Noway la saisit et se releva. Il posa ensuite son pied au sol. L’appui lui arracha une grimace. L’air moqueur, Léo attendait.

  • La prochaine fois, c’est toi qui passes devant, grogna Noway en s’appuyant sur l’épaule de son ami.

Ils riaient de concert quand ils entamèrent le chemin qui les conduiraient aux sous-sols où tout le clan gardait les réserves de nourriture. Tout le monde s’y réunissait à la nuit tombée pour un bon repas avant d’aller chasser ou chercher de l’eau dans les ruines de la cité post-bulle.

Le soleil était à mi-course de sa descente vers les lointaines dunes du désert. Noway contempla quelques instants les morceaux de ciel aperçus entre les bâtiments délabrés. Le rose laiteux et lourd dont il se parait, annonçait d'ici quelques heures des vents chargés de poussières. Le jeune homme préférait encore voir cela que les distorsions étranges qu’infligeait au paysage, le dôme semi-circulaire de la Bulle qui jouxtait la ville fantôme. Les fondations de la gigantesque Bulle leur servaient parfois de refuges quand le climat devenait mortel. Ils y trouvaient aussi des denrées dont ne voulait plus les Bullites : des bouts de métal qu’ils réussisaient à transformer, des vêtements défraichis, du tissu. Ash avait le don pour y trouver de drôles de machines qu’il parvenait à force de patience et d’ingéniosité à faire fonctionner. Hélas, la gigantesque Bulle abritait surtout les Bullites, des humains qui comptaient parmi leurs pires cauchemars.

Noway ne put s’empêcher de frissonner : s’il prenait l’envie à ces humains étranges d’organiser une chasse à l’homme dans les prochains jours, il n’aurait aucune chance d’en réchapper.

  • Encore en train de ruminer des pensées joyeuses et pleine d’optimisme, le taquina Léo qui le connaissait par cœur.

Après quelques minutes de marche cahin-caha, ils arrivèrent enfin à l’entrée de leur garde-manger. De l’extérieur, il ne payait pas de mine : tout juste un tas de gravats à peine plus imposant que ses voisins. Une entrée avait été dégagée. En s’y engageant, on découvrait une courbe en pente douce qui débouchait sur un gigantesque espace. Ce dernier restait vide car en-dessous, deux autres sous-sols les attendaient. Ils se rendaient dans le suivant. Le plus profond était réservé aux nuits et aux siestes de l’après-midi car il était le plus frais.

Descendre les deux étages acheva les dernières forces et le peu de bonne humeur qui restait à Noway.

Lorqu’ils débouchèrent sur l’étage aménagé en cantine, presque tout le clan était déjà attablé.

Noway aurait bien voulu aller les rejoindre pour enfin se laisser tomber sur n’importe quel empilement de fortune ou vestiges de béton prêt à supporter son poids mais, c’était sans compter sur sa sœur Kaly, qui les attendait de pied ferme, les bras croisés et l’œil sardonique.

  • T’es content de toi ? l’apostropha-t-elle. Qu’est-ce qui t’as pris ? tu t’es dit : saison sèche, ouverture prochaine de la chasse à l’homme, probabilité maximale qu’un nouveau Duel nous tombe sur la gueule… Tiens donc, c’est le moment idéal pour faire un truc débile !

Le petit visage aux traits fins de sa sœur se teinta d’écarlate, ses mèches rappelant tant le pelage du renard des sables ondulèrent à vive allure : deux signes manifestes de sa grande contrariété. Cependant le jeune homme, qui s’était déjà reproché tout cela, n’était pas disposé à recevoir un autre sermon.

  • Kaly, je crois que Noway a son compte de reproches pour aujourd’hui, intervint Léo, certainement très au fait de l’état d’esprit de son ami.

Kaly se rapprocha tout près de ce dernier pour planter ses yeux furieux dans les siens.

  • J’en ai autant pour toi, lui susurra-t-elle. Je sais que tu es aussi stupide que l’autre décérébré qui me sert de frère. On me la fait pas, contrairement à ta mère. D’ailleurs, si elle n’était pas là, à te couver du regard, tu serais déjà par terre à pleurer ta cheville, histoire que cela te serve de leçon, à toi aussi !

Après cette tirade, Kaly se rapprocha de son frère qui la regardait avec tendresse. Il l’aimait tant, son incisive petite sœur si clairvoyante et si brave.

Elle vint se placer à son côté libre.

  • Moi aussi je t’aime, espèce de débris, lui murmura-t-elle avec un sourire en coin avant qu’ils se dirigent tous les quatre vers une table libre.

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