Chapitre 4 : Le réveil

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Noway essayait d’ouvrir les yeux. Sans comprendre pourquoi, il trouvait cela atrocement difficile. Ses paupières pesaient des tonnes. Il parvint finalement à ses fins.

À côté de lui, se trouvait un très vieil homme, le visage triste et parcheminé où quelques larmes avaient laissé leurs sillons. Son regard se perdait dans la contemplation d'une petite lucarne en face de lui. L’esprit embrumé du jeune homme mit quelques secondes à lui donner une identité : Ash. Il avait vieilli de plusieurs années pendant son absence. Il tenta de prononcer son nom. Il dut s’agiter un peu car les yeux de son grand-père vinrent se poser sur lui.

— Enfin… tu es réveillé, mon petit ! murmura-t-il d'une voix fatiguée.

Sa main chaude vint caresser la joue de son petit-fils.

Ce geste tendre d’affection réveilla les souvenirs de Noway. Ash avait eu le même pour le petit garçon de dix ans qu’il était lorsqu’il l’avait réveillé pour lui annoncer que le monde s’était écroulé. Ses parents étaient morts. Ils avaient tous les deux succombé à la terrible épidémie qui ravageait leur Clan.

À présent, la main de son grand-père posée sur la joue de l’homme qu’il était devenu, lui rappela que le monde s’était à nouveau écroulé.

  • Léo… articula péniblement Noway d’une voix éraillée qui lui déchira la gorge.
  • Nous avons célébré sa mort, il y a une semaine. Nous avons gardé ses cendres. Sa famille a dit qu’il aurait voulu que ce soit toi qui les donnes au vent du désert.

Noway acquiesça des yeux même s’il se sentait, pour l’instant, incapable d’accomplir cela.

Chaque fois que ses paupières battaient, ils revoyaient les combats, les siens qui tombaient.

  • Kaly ?
  • Elle est en vie, déclara Ash en détournant la tête.

Où était-elle ? Noway n’eut pas la force de le demander. Peut-être le tenait-elle pour responsable de la mort de Léo ? Il l’aurait compris. Lui, se sentait terriblement coupable. Il trouvait cela tellement injuste d’être encore vivant. Après une telle épreuve, leur Clan avait tellement plus besoin d’un ëtre lumineux et bienveillant comme l’était Léo, que de lui. Qui d’autre de valeur avaient-ils perdus ?

  • Combien ? demanda-t-il à Ash qui le veillait patiemment.
  • Trente-six.

Le nombre énoncé coupa le souffle de Noway. Ash qui devina son malaise, se pencha vers la petite table qui jouxtait son lit. Il y saisit une petite coupelle d’eau puis, l’aida à se redresser pour s’abreuver. Ce simple geste épuisa le jeune homme qui retomba tremblant sur son lit.

Quand sa respiration se calma, il voulut énoncer les questions qui se pressaient sur ses lèvres mais Ash l’arrêta. Il savait ce que voulait son petit-fils.

Il lui apprit qu’après la bataille, leur Clan avait sollicité un rassemblement de tous les Clans. Lors de cette assemblée, ils avaient appris que le Clan responsable de ce massacre avait aussi subi de lourdes pertes. Alors, malgré le lourd tribut payé, le Clan de Noway, sous l’impulsion de Caty, avait décidé de leur laisser l’accès à un puits.

La mère de Léo, depuis le décès de celui-ci, avait élevé les rêves de son fils au rang de Lois et elle s’était montrée assez convaincante pour que la majorité la suive. Elle avait obtenu une trêve de trois mois avec l’ensemble des autres clans. Ils avaient accepté de ne pas provoquer de Duels durant tout ce temps. Certains leur étaient même venus en aide, en faisant don de nourriture de de remèdes.

Noway comprenait Caty mais, il ne pouvait accepter que ces meurtriers s’en tirent à si bon compte. Il s’agita, tempêta jusqu’à ne plus avoir de forces.

  • Noway, je comprends ce que tu ressens. Cesse de t’agiter ainsi, tu es encore très faible ! le supplia son grand-père.

Son visage reflétait une angoisse que Noway ne lui avait jamais vu. Cela l’arrêta net.

  • D’accord, parvint-il à répondre. Je me calme.
  • Ce serait bien que tu manges un peu. Est-ce que tu t’en sens capable ?

Noway acquiesça : il ferait tout pour que l’ombre du chagrin quitte les yeux d’Ash. Ce dernier lui sourit enfin. Un pauvre sourire mais un sourire quand même.

  • Bien, je vais te chercher un peu de bouillon. J’en ai pas pour longtemps. Pas de bêtises en mon absence.

Ce fut au tour de Noway de grimacer un sourire. À part tomber du lit, il ne voyait pas bien ce qu’il pourrait faire de stupide.

Les jours passèrent ainsi. Durant la journée, Ash veilla sur Noway pendant qu’il se rétablissait doucement. La nuit, il passait le relais à Ely. Elle veillait sur lui et tous les autres survivants. Quelques amis vinrent ausssi lui tenir compagnie de temps en temps.

La mère de Léo passa le voir : transfigurée, elle l’assura de sa joie de le voir vivant. Elle était certaine que la mort de son fils n’avait pas été vaine, que c'était le sacrifice nécessaire à l’avènement d’une nouvelle ère plus bienveillante et solidaire entre les Clans. Elle encouragea le jeune homme à se réjouir de cela, persuadée que cela atténuerait sa peine. Noway l’avait écouté en hochant vaguement la tête de temps en temps tandis qu’un long hurlement intérieur lui déchirait le cœur.

Au bout d’une semaine, il put envisager de faire quelques pas. Pas assez pour pouvoir sortir à l’air libre. Il tourna alors comme un lion en cage. Durant tout ce temps, il n’avait pas revu Kaly. Plus le temps passait, plus cela le questionnait, l’inquiétait. Il en avait parlé à Ash mais ce dernier éludait, à chaque fois, le sujet.

Un matin, après un cauchemar particulièrement horrible concernant le sort de sa sœur, il décida de tenter seul l’ascension vers l’extérieur. Elle lui manquait douloureusement. Il était prêt à subir sa colère, ses invectives, sa tristesse, peu importe, il fallait qu’il la voie.

Lorsqu’il atteint enfin la sortie, il était à bout de forces. Il se laissa couler le long d’un mur pour sa laisser le temps de retrouver son souffle. Les yeux clos, il savoura cette première aube au grand air, depuis des lustres. La caresse chaude d’une légère brise sous son visage, les pas lourds des siens qui rentraient chargés et fatigués de leur expédition nocturne.

Soudain, une voix familière résonna à ses oreilles.

  • Allez Kaly, viens t’asseoir là. Je vais t’apporter à manger et à boire.

Noway se redressa un peu. De l’autre côté du chemin, il aperçut Ash qui émergeait de l’ouverture d’un petit bâtiment en conduisant Kaly par le bras. Il lui avança une chaise avant de la faire asseoir. Elle marchait avec fluidité, elle ne paraissait pas souffrir de blessures , cela rassura un peu le jeune homme. Étonné de ne pas l’entendre répondre à Ash, Noway l’observa attentivement. De son point de vue, elle se trouvait de profil, il ne pouvait saisir l’expression de son visage.

  • Je n’en ai pas pour longtemps. Reste-là, d’accord ! reprit Ash d’une voix anxieuse.

Toujours pas de réponse mais son grand-père n’y prêta pas attention. Le vieil homme se dirigea alors vers le bâtiment d’où Noway était sorti. Il se rendait sûrement au garde-manger.

Mû par une étrange sensation, Noway se dissimula dans l’ombre pour échapper à son attention. Quand ce dernier se fut engouffré dans les sous-sols, le jeune homme entreprit de traverser l’espace qui le séparait de sa sœur. Sa rapidité et sa discrétion laissaient à désirer pourtant, à aucun moment Kaly ne tourna le visage vers lui.

Quand enfin il fut auprès d’elle, elle contemplait toujours le vide devant elle.

  • Kaly, l’appela-t-il doucement.

Elle ne cilla même pas. Elle garda un air indifférent.

  • Kaly, reprit-il. S’il te plaît, arrêtes ça… quoique tu ressentes… même si tu m’en veux à mort. On peut en parler. Je t’en supplie, Kaly, dis quelque chose.

Il attendit quelques instants. Kaly ne bougea pas, ne le regarda pas, comme s’il avait été invisible.

Noway tremblait d’être resté si longtemps debout mais aussi de frustration contenue. Il ne méritait pas ça, pas que sa petite sœur avec qui il avait tout traversé, l’ignore ainsi.

Il se retint de la prendre par les épaules pour la forcer à le regarder, pour lui crier combien son attitude le blessait. Lui aussi, il avait mal à en crever.

Pourtant, il serra juste les poings et s’assit à même le sol juste à côté d’elle.

  • Très bien, j’attendrai le temps qu’il faudra, la prévint-il d’une voix blanche.

Peu de temps après, alors que Kaly n’avait toujours rien manifesté, Noway reconnut la silhouette familière d’Ash qui sortait des sous-sols, chargé de la nourriture promise.

  • Noway ! Est-ce que ça va ? l’appela son grand-père d’une voix soucieuse en le voyant ainsi assis à même le sol.
  • Oui, je vais bien, ne t’inquiète pas. J’attends juste que Kaly daigne m’accorder un peu d’attention.
  • Oh, soupira Ash d’un air las et triste. Je suis désolé, Noway…
  • De quoi ? Tu n’y es pour rien si elle est plus butée qu’un chameau sauvage.

Le vieil homme soupira à nouveau, sans rien répondre. Il rentra dans la petite masure où ils avaient apparemment dormi puis, revint avec une chaise et une petite table. Toujours en silence, il y installa ce qu’il avait ramené. À aucun moment, Kaly ne réagit.

Ash évitait, de toute évidence, le regard de Noway. Il s’assit, ouvrit un broc de lait de chamelle caillé dont il tira une cuillérée.

  • Allez, Kaly. C’est l’heure de manger, interpella-t-il la jeune femme en touchant délicatement ses lèvres du bout de la cuillère en bois. Ouvre la bouche, ma fille.

Hébété, Noway suivit le lent va et vient de la cuillère du pot à la bouche de Kaly. À chaque passage, l’ustensile laissait des marques blanches sur le visage de Kaly, la barbouillant comme un petit bébé. Ash finit par s’interrompre, pour nettoyer le visage de la jeune femme.

  • On va faire une pause, ma chérie, dit-il doucement. Ensuite, il faudra essayer de boire un peu.

Alors seulement, il se tourna vers son petit-fils qui lui, ne pouvait pas quitter des yeux des yeux sa sœur. Noway avait l’esprit vide, incapable de penser, d’expliquer ce à quoi il assistait.

  • Qu’est-ce qu’elle a ? finit-il par murmurer d’une voix sourde. Est-ce à cause d’une de ses blessures ?

Noway ne se rappelait de la bataille que par bribes éparses. Aucun de ses souvenirs ne montraient Kaly subissant de violents coups à la tête.

  • Non, répondit Ash. Nous avons tous été blessés mais c’est toi qui a été le plus gravement atteint … tu nous as protégé, Noway.

Noway n’avait aucune trace de ce que racontait Ash dans sa mémoire. Il se rappelait seulement de ce torrent violent et destructeur d’émotions qui l’habitaient : la peine, la haine l’avaient poussé en avant jusqu’à ce qu’il tombe certainement.

  • J’ai oublié…
  • Nous en avons tué trois… enfin, nous t’avons aidé à en tuer trois. J’ai été blessé aux bras et aux jambes. Kaly a récolté une vilaine entaille à l’abdomen et de multiples griffures. Toi, à la fin, tu n’étais plus qu’une silhouette écarlate qui tenait debout par on ne sait quel miracle. Nous sommes revenus sur notre territoire. Quand nous avons su que les zombies étaient tous morts, tu as perdu connaissance. Ton cœur s’est arrêté… Nous t’avons cru mort mais Ely est arrivé et elle a réussi à te ramener.

Noway écoutait mais, il se fichait de tout cela.

  • Kaly ? demanda-t-il abruptement.
  • Elle t’a soutenu jusqu’au camp. Elle t’a parlé tout le long pour t’encourager à rentrer. Quand tu es tombé, elle a poussé un long hurlement et s'est enfuie en courant. Elle n’était pas là quand Ely t’a réanimé. Je l’ai retrouvée le lendemain, blottie dans un coin du bâtiment où vous aviez l’habitude de jouer petits… tous les trois. Elle était prostrée… Elle a accepté de venir avec moi, sans un mot, avec ce regard vide… Depuis, elle est comme ça, acheva Ash d’une voix brisée par un sanglot.

Perdu, Noway leva la tête vers le ciel. Au creux de son ventre, une tristesse indicible cherchait à forcer le passage. Il la sentait s’agiter. Il aurait voulu, comme Kaly, quitter son corps, s’absenter de l’existence pour ne pas se confronter à cette souffrance qui menaçait de le consumer. Mais, le regard d’Ash et la présence invisible de son meilleur ami le lui interdisaient. Il n’avait pas le droit de les abandonner.

Alors, il plongea ses yeux dans ceux d'Ash. Des larmes perlèrent à ses paupières, de plus en plus nombreuses, douloureuses jusqu’à le courber en deux. Il sanglotait quand il sentit les deux bras noueux de son grand-père l’enlacer, le serrer comme pour l’empêcher de se désintégrer.

  • Mon petit… mon courageux petit… l’entendit-il murmurer. Je suis là…

Les deux hommes pleurèrent longtemps dans les bras l’un de l’autre. Quand la source fut tarie, ils restèrent assis l’un près de l’autre jusqu’à ce que la chaleur devint insupportable et les chassent à l’abri des sous-sols.

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