Chapitre 5 : Se relever

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Le jour suivant, Noway refit l’ascension jusqu’à la petite terrasse où Ash installait Kaly aux premières lueurs du jour. À nouveau, il regarda son grand-père la nourrir comme un bébé puis, il les suivit dans l’ombre des sous-sols. Il convainquit le vieil homme d’aller se reposer pendant qu’il veillait sur Kaly.

Il tint la main de sa sœur de longues heures durant. Il lui parlait à voix basse, lui assurant qu’il était là, bien vivant à ses côtés. Il lui dit combien il avait besoin d’elle, de son affection, de son soutien. Il la supplia de revenir même si c’était pour le fusiller du regard ou l’accabler des remarques acerbes dont elle avait le secret. Il lui promit qu’ils pourraient se relever de ce terrible drame, être heureux à nouveau, qu’ils surmonteraient ça ensemble même si, au fond, il ignorait si cela était possible.

À bout de forces et de mots, devant l’attitude de statue de Kaly, il resta là tout près d’elle jusqu’à ce que son grand-père vienne le relever et lui enjoindre d’aller se reposer.

Les jours passèrent, semblables les uns aux autres. Noway perdait peu à l’espoir que sa sœur revienne.

Un soir, lorsqu’Ash le releva, il partit à l’aventure dans la cité fantôme. Il prit bien soin d’éviter les petits groupes en mission qui sillonnaient le territoire. Son Clan n’avait pas changé de philosophie : il entendit beaucoup de pas inconnus sur ce qui était sensé être leur territoire. Cela alluma une sourde angoisse au creux de son estomac. Il retrouva vite ses réflexes, appris depuis sa plus tendre enfance sous les ordres du général Ash. Il devint une ombre, un souffle de vent qui suivait les traces des petits animaux qui, eux aussi, ne sortaient qu’à la nuit tombée.

Sans presqu’y penser, il se retrouva avec, entre les mains, le nécessaire, pour poser quelques pièges. Il s’y attella, désolé de trouver ses mains tremblantes et ses doigts plus malhabiles qu’à ses débuts. À force de patience, il parvint à ses fins et put aller chercher un coin tranquille pour se reposer jusqu’à la fin de la nuit.

À l’aube, il alla relever ses pièges. Il constata avec satisfaction qu’il avait pris trois surrik, de petits mammifères à la chair tendre si on les consommait sur le champ, et facile à sécher pour plus tard. C’était surtout un des mets préférés de sa gourmande de sœur.

Malgré sa bouche sèche, son corps perclus de courbatures, il rentra heureux au camp. Il releva Ash, à qui il confia le soin d’apporter deux de ses proies au garde-manger. Il en garda une qu’il prépara avec application pour la griller au dessus d’un bon feu. Il s’occupa ensuite du brasier : ramasser les brindilles et le bois adéquat, allumer le feu, attendre la formation de braises en fabriquant le trépied et la broche et enfin surveillance de la cuisson.

Pendant que la viande finissait de cuire, il mit Kaly à l’abri. Il retourna au foyer qu’il avait placé à l’ombre de deux murs pour entreprendre de découper de beaux morceaux.

Quand il se retourna, il eut la surprise de trouver Kaly qui attendait, son écuelle à la main, sous le regard d’un Ash stupéfait, qui venait d’arriver.

Noway observa sa sœur. Il se retint de manifester la joie qui l’habitait de peur de tout gâcher. Elle était là mais son visage restait vide de toute expression, si ce n’est la faim peut-être.

  • C’est prêt, annonça-t-il de la voix la plus calme plus possible. Approche que je te serve.

Kaly approcha en tendant son plat. Il lui montra le morceau qu’il tenait sur son couteau.

  • Celui-ci, ça t’ira ? tenta-t-il.

Elle ne répondit rien, gardant juste ses bras tendus. Il y déposa la viande.

  • Un autre ? s’enquit-il alors qu’elle ne bougeait pas.

Sans réponse de sa part, il ajouta une autre part alors, sans un merci, ni un regard, elle le planta là pour retourner dans la masure qui leur servait d’abri.

  • J’aurais essayé, lança Noway dépité, à son grand-père qui avait observé la scène sans intervenir.
  • Ne sois pas déçu, fils, c’est la première fois qu’elle se déplace seule et qu’elle… demande quelque chose. C’est déjà beaucoup.
  • Ce n’est pas elle ! grogna Noway tout en découpant une part pour son grand-père.
  • Je sais, mon grand, accorda Ash en s’approchant pour poser une main réconfortante sur l’épaule du jeune homme. Mais, au moins, on sait qu’elle est là quelque part.

Les jours qui suivirent, Kaly commença à se déplacer seule, à venir demander à manger puis à se nourrir seule. Noway et Ash suivait chacun de ses mouvements avec un espoir et une patience infinie.

Pourtant, le visage de la jeune femme resta indifférent à ce qui se tramait autour d’elle et, sa bouche m’émit aucun son.

Tandis que le temps usait le beau rêve de Noway, il reprit ses marques, sa routine. Le jour, il le partageait entre le repos et Kaly, la nuit, il partait en expédition nocturne pour ramener de l’eau ou du gibier.

Petit à petit, il perdit pied. Il s’éloigna des autres, perdu dans les méandres cauchemardesques de son esprit brisé. Le poids de la culpabilité l’accablait. Il aurait mieux valu que Léo survive, il aurait mieux valu que Kaly reste. Pour tout le monde. Plus rien n’avait de sens. Rien ne pouvait être juste s’il était permis que des choses si terribles et absurdes arrivent.

Il se heurtait sans cesse à la disparition invisible de Kaly. Régulièrement, il laissait une phrase lui étant adressée en suspend, le regard vide du corps de celle qui fut sa sœur glissant indifféremment sur lui.

Lorsqu'il n'avait rien à faire, il errait, tel un spectre, tâchant d’éviter la mère de mon ami, son sourire illuminé de Sainte Martyre et ses discours appelant au Grand Pardon pour trouver la paix. Il devait aussi se tenir loin des membres du Clan assassin de son ami car les apercevoir réveillait en lui des images qu’il était incapable de supporter. Il les voyait graviter autour des siens tels des vautours attendant leur heure. Ils les entendaient s’entraîner au combat dans la pénombre de lointains immeubles alors que Caty et tous avec elle croyaient dur comme fer que l’époque des Duels était révolue.

Quand la trève des trois mois finirait, ils viendraient, il le savait, achever leur Clan moribond et trop idéaliste. Au début, il avait essayé d’avertir Ash mais, ce dernier avait coupé court à la discussion en lui enjoignant de se préoccuper de sa propre santé.

Chaque sommeil était peuplé de cauchemars sans fin. Chaque réveil s'avérait triste et douloureux.

Parfois, il craignait de devenir fou, un zombie à son tour. En proie à une violence intérieure incontrôlable, il quittait la cité. Il rejoignait la forêt d'arbres maigres et hirsutes pour hurler sa colère, déverser toute sa rage et sa rancune contre l’Univers, contre tous et toutes et, surtout, contre lui-même.

Il rêvait de voir les chenillards sortir de Bulle pour pouvoir se porter au-devant d’eux et enfin en finir.

Mais rien. La vie était accrochée à lui comme une tique.

Alors épuisé et résigné, il tenait en se disant qu'au moins, il serait là lorsqu’on viendrait les défier. Il expierait ses fautes, quoiqu’il en coûte.

Pourtant, un jour, las d’avoir si mal de toujours croiser les fantômes d’une vie à jamais perdue, il fit son paquetage et fonça droit vers le désert.

Il n’alla pas plus loin que les limites de la cité. Il gravit la première dune avant de s’y laisser tomber. Il ne pouvait se résoudre à laisser Ash et Kaly .

Il passa la nuit, là, telle une statue. Il contempla l’océan de dunes éclairé d’une lune pleine et blanche. Il ne compta pas les fois où il en vit émerger son ami qui marchait de son allure nonchalante vers lui. Combien de fois se planta-t-il devant lui, l’air ennuyé.

« Noway, tu n’as même pas pris le temps de disperser mes cendres dans le grand désert. Comment veux-tu que je te quittes, que mon âme puisse enfin chevaucher les nuées et dompter les vents rouges ? »

En effet, le pot en terre cuite contenant ce qui restait de l’existence de son ami n’avait pas bougé de sous le lit du jeune homme

« Je ne veux pas que tu me quittes. Ta place est ici. J’ai besoin de toi. Kaly plus encore ! » protestait Noway avec véhémence aux étoiles.

Léo disparaissait toujours au hasard d’un nuage cachant la lune.

Kaly, celle d’avant, l’effrontée, la piquante, vint le visiter aussi.

« Alors, on déprime, gros bêta ! On se rend compte qu’on est perdu sans nous ! Y fallait m’ demander avant, je t’aurais dit que le grand et beau Noway n’existait que parce qu’on était là pour faire semblant d’y croire ! Bougre d’idiot ! »

Noway riait et pleurait en retrouvant les éclats de voix de sa petite renarde des sables dans les courants d’air nocturnes.

Il aurait donné sa vie pour les entendre rire à nouveau tous les deux mais l’univers n’en voulait pas.

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