Chapitre 6 : Adieu

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  • Noway ! Ne reste pas là ! Viens avec moi !

L’aube pointait à peine à l’horizon. Noway, interloqué par l’urgence dans la voix de son grand-père, se leva aussitôt pour aller le rejoindre.

Il n’eut pas le temps de le questionner que ce dernier s’éloignait déjà en lui indiquant de le suivre d’un geste de la main.

Ils passèrent dans l’ombre de ruelles que Noway ne se rappelait pas avoir emprunté auparavant. Ash semblait fuir la moindre parcelle de terrain à découvert. Ils finirent leur trajet dans l’antre d’un immeuble de plusieurs étages dans lequel Ash s’engouffra sans hésiter. Derrière son grand-père, Noway prit de la hauteur pour se retrouver sur une terrasse dissimulée par différents gravats. Un trou aux formes irrégulières donnait à voir le ciel orangé des premières lueurs du jour. Toujours sans un mot, Ash s’assit et lui tendit une outre d’eau. Noway la saisit, sa bouche était plus sèche que le désert.

Ash observait les cieux, les sourcils froncés, paraissant attendre quelque chose. Au bout de quelques instants, deux engins volants passèrent au-dessus de leur abri. Le regard du vieil homme s’assombrit sans que Noway ne comprenne pourquoi. Ils connaissaient tous ce genre d’engins. C’était ainsi que les Bullites se déplaçaient, ils en avaient déjà vu des centaines.

  • Ash ? qu’est-ce qu’il y a ? demanda le jeune homme en chuchotant.
  • Tu n’as pas remarqué ? Il y en a tous les jours.
  • Et alors ?

Ce ne sont pas les mêmes que d’habitude. Ils sont plus furtifs. Il y en a trop !

  • D’accord, mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Pourquoi voulais-tu qu’on se cache ?
  • L’intuition !

Noway leva les yeux au ciel. La fameuse intuition d’Ash… Ces éclairs d'extralucidité qu'il attribuait à des réminiscences de sa vie d'avant le Clan.

  • Encore de vieux souvenirs qui refont surface ? demanda-t-il en soupirant.
  • Tu voulais partir ? éluda Ash en dardant un regard aiguisé sur son petit-fils. Pourquoi tu ne l’as pas fait ?

Noway s’absorba à son tour dans l’observation du ciel.

  • Je ne peux pas … finit-il par répondre d’une voix tendue.
  • Pourquoi ?
  • Arrête Ash ! Si tu as remarqué ces engins dans le ciel, tu n’as pas pu manqué les manigances des autres clans. Dès que la trève sera finie, une pluie de Duels va nous tomber dessus, quoiqu’en pense Caty et tous les autres ! Et qui se battra, dis-moi ?
  • Le conseil des Anciens choisira, répondit calmement Ash.
  • Ah oui ! Et qui ? s’énerva Noway. Qui reste-t-il ? À part moi ! Comment pourrais-je vous laisser toi et Kaly… J’ai déjà failli pour Léo et pour elle ! Comment pourrais-je vous abandonner ?... Je peux rêver d’une autre vie en regardant l’immensité du désert mais, c’est tout !
  • Tu n’es pas responsable de ce qui est arrivé, fils.

¾ Bien sûr que si ! Si je ne m’étais pas blessé lors de ce jeu stupide, Léo serait encore en vie ! Kaly serait encore Kaly ! tempêta-t-il.

  • Peut-être… ou pas. Dis-moi, pourquoi es-tu passé le premier lors de votre retour en enfance ?
  • Je ne sais pas ! On s’en fiche ! Qu’est-ce que ça peut faire ? Je suis le plus idiot des deux, voilà tout !
  • Depuis que vous êtes tout petits, c’est toujours toi qui passe devant, déclara pensivement Ash en ne faisant aucun cas de l’éclat de colère de son petit-fils. C’est toi qui t’es cassé le bras quand Kaly a trouvé intelligent de jouer les funambules sur de hauts murs branlants… C’est toi qui t’es brûlé quand vous avez décidé d’allumer votre premier feu tous les trois, toi qui a failli perdre un doigt quand vous avez voulu ouvrir votre premier piège sans ma permission. C’est aussi toi qui a cogné le premier quand de jeunes abrutis ont voulu faire du mal à ta sœur. Je me souviens combien Léo et Kaly étaient choqués de la violence que tu avais déployé. Tu as aussi été le seul à avoir été réprimandé. Te souviens-tu ce que tu as répondu lorsqu’on t’a demandé pourquoi ?

Noway s’en souvenait.

« J’espère que Kaly pourra se balader tranquille sans que je n’ai plus à cogner personne »

  • Noway, depuis que tes parents ne sont plus là, tu t’es donné pour mission de protéger, coûte que coûte, les personnes que tu aimes. Crois-moi, je suis bien placé pour savoir combien c’est douloureux de se rendre compte que ce n’est pas possible de toujours les préserver de tout. Tu as fait du mieux que tu as pu, tout comme moi. Pour le reste, cela ne t’appartient pas… Leur destinée, les choix qu’ils posent, cela t’échappera toujours ! Tu n’es pas coupable de la mort de Léo, ni de l’état de Kaly.

Noway n’aurait su dire si les paroles d’Ash le soulageaient ou le déchiraient.

  • Tout ça n’a aucun sens ! Cette vie n’a aucun sens ! Gémit-il, en se prenant la tête dans les mains.
  • C’est à toi d’en trouver un, pour toi, juste pour toi, fils, murmura Ash en posant sa main calleuse sur la tête du jeune homme. Si tu sens que tu dois partir, alors fais-le !
  • Je ne peux pas te laisser…

Partir voulait, sans aucun doute, dire : ne jamais revoir le vieil homme.

  • Mon garçon, je t’aime de tout mon cœur. Je vois bien que chaque jour, tu t’auto-détruis un peu plus. Dès que tu disparais de mon champ de vision, je m’inquiète du moment où on m’appellera pour m’annoncer que tu as fait quelque chose d’inéluctable. Et puis, je ne veux pas que tu restes pour te battre. Tu n’es pas prêt, encore moins pour défendre des choix qui ne sont pas les tiens. Pars, mon garçon, où que tu sois, je serai toujours avec toi.
  • Et Kaly ?
  • Elle suivra son propre chemin, déclara Ash d’une voix sans appel. Je te laisse, tu sauras retrouver le chemin jusqu’au clan. Réfléchis à tout ça et prends ta décision. Je t’attendrai au pied des dunes à la nuit tombée pour que tu m’en fasses part. À tout à l’heure.

Noway rentra sur le territoire de son Clan, la tête basse. Il chercha Kaly qu’il trouva assise dans l’ombre de la vieille masure qu’elle avait élu pour domicile. Il se joignit à elle. Les yeux-mi-clos, elle respirait paisiblement, totalement indifférente à la présence triste de son frère.

Ils restèrent là longtemps. Même quand la chaleur devint étouffante, aucun d’eux ne bougea. Noway observait, par instants, la jeune femme à la dérobée. Il guettait, malgré lui, le moindre signe d’un retour.

Il se mit à lui parler ou plutôt à monologuer.

  • Léo est parti, Toi aussi. Il ne reviendra pas… et toi ? Peut-être, je ne sais pas. Peut-être pas… Je ne peux plus t’attendre, Kaly. J’en peux plus !

Le dire, le crier presque lui révéla combien c’était vrai. Il était à bout, il devait reconnaître combien la beauté de son univers avait tenu à son ami défunt et à sa sœur désormais absente au reste du monde. Il devait s’avouer combien il lui était insupportable de croiser chaque jour, Caty et ses idéaux impossibles mais aussi les membres hypocrites des autres clans que chaque instant rapprochait de la décision de leur porter le coup de grâce. Ils avaient accepté une trève générale car ils avaient vu les dégâts que les monstres avaient causé, ils s’étaient penchés sur leur cadavres de tueurs sanguinaires. Ils avaient craint qu’il n’en vienne d’autres. Or, aucun ne s’étaient profilés à l’horizon depuis. Plus les jours passaient, moins cette trève devait leur paraître nécessaire.

Noway avait essayé de le dire à Caty et aux autres mais personne ne l’écoutait.

  • C’est mon tour, Kaly. Je vais partir… annonça-t-il lentement.

Il avait besoin de se l’entendre dire.

  • Je suis désolé… Je t’aime, petite sœur, je t’aimerai toujours.

Il pleurait quand il la serra dans ses bras.

Puis, il se leva et partit préparer ses affaires.

Il retrouva Ash à la lisière du désert. Il n’eut pas besoin de lui annoncer sa décision, son paquetage parlait pour lui. Un voile de tristesse passa dans les yeux de son grand-père. Il fut vite chassé par un sourire déterminé et une accolade chaleureuse de l’homme qui l’avait élevé.

  • Assieds-toi, mon grand. J’ai des choses à te dire avant que tu ne partes.

Noway obtempéra en silence pendant qu’Ash déployait une peau de cabri devant eux. Des lignes et des mots s’y trouvaient inscrits. Noway y reconnut les points cardinaux que son grand-père lui avait enseigné pour lui apprendre à se repérer.

  • Une carte… murmura-t-il.
  • Oui. Tu vois, nous sommes ici, répondit Ash posant son index, en bas à gauche de la carte. Au nord, le désert. À l’Ouest, il n’y a rien à trouver, si ce n’est la mort. Tu devras faire route vers le Nord-Est… C’est désertique mais tu trouveras des ruines d’anciennes cités pour t’abriter. Il faudra que tu continues jusqu’à ce que tu trouves une étendue d’eau. Elle était vaste, il y a longtemps, tu la reconnaîtras. Ne la traverse pas ! obliques vers le Nord et suis-là. Au bout tu trouveras un bras de mer. Tu pourras le traverser. Alors, tu auras changer de continent, suis la côte… Après, je ne sais plus… Mais, il y a de grandes chances que tu trouves d’autres Clans…

Noway regardait son grand-père avec circonspection.

  • Comment sais-tu tout ça ? Y’a-t-il d’autres choses que tu ne m’avais jamais dites ?
  • Ceux sont de très vieux souvenirs du temps où j’étais un Bullite… Ceux-là sont fiables. Les autres, je ne sais pas trop s’ils sont réels ou les fruits de délires de mon esprit fatigué alors, je préfère les garder pour moi. C’est à toi de découvrir le reste… avec tes yeux à toi.

Noway n’insista pas. Ash était robuste tant de corps que d’esprit, il restait un homme d’un grand âge qui venait de traverser, encore une fois, des moments très douloureux. Malgré les efforts qu’il déployait pour être fort pour le jeune homme, Noway percevait la fatigue et l’inquiétude qui se dessinaient sur son visage ridé.

  • Merci, dit-il doucement à ce dernier en enroulant délicatement la précieuse carte.

Les deux hommes se relevèrent. Noway rangea la carte dans son sac. Quand il se tourna vers Ash, celui-ci le saisit par les épaules pour planter son regard brillant et ému dans le sien.

  • Sache que je t’aime et que j’ai été heureux d’être à tes côtés depuis que j’ai vu ta petite frimousse canaille émerger des bras de ta mère. Mes pensées t’accompagneront à chaque pas de ton voyage, mon garçon.

La gorge nouée, Noway étreignit son grand-père. Il posa, une dernière fois, sa tête sur cette épaule qui l’avait soutenu sa vie durant. Il essaya de graver dans sa mémoire, son odeur, le rythme de sa respiration, le son de sa voix, tout…

  • Je t’aime Ash, aussi grand que le ciel, lui mumura-t-il, comme quand il était un enfant. Je t’aimerai toujours.

Ils se détachèrent.

  • Allez, va ! Avant que je n’essaye de te retenir… le poussa le vieil homme d’une voix fêlée.

Noway réussit à lui sourire une dernière fois avant de tourner les talons pour s’élancer seul, dans la nuit.

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