Chapitre 9 : Un Homme de Compagnie

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Maya parlait à tort et à travers, comme à l’accoutumée. Noway l’écoutait d’une oreille distraite pendant qu’il dessinait. Cette activité l’empêchait de devenir fou ou de mourir d’ennui. Par bonheur, cela plaîsait à sa maîtresse. Elle s’en servait même pour son travail de créations de vêtements.

D’ailleurs, toujours babillant, elle lui prit le Pad des mains.

— Je vais transférer quelques-unes de tes œuvres sur mon cloud, elles m’inspirent. Toi, va te préparer, ta séance est dans trente minutes.

Il la dévisagea sans comprendre.

— Oh, j’ai oublié de te prévenir…Je t’ai inscrit dans une salle de sport ! s’écria-t-elle, l’air ravie. Ainsi, tu vas sculpter ce corps déjà si beau. Mes amies vont être vertes de jalousie, poursuivit-elle, en me caressant le torse d’un air matois.

Il laissa ce frisson de dégoût, désormais si familier, lui parcourir les vertèbres avant de lui demander de quoi il s’agissait.

— Il s’agit d’activités physiques spécialement conçues pour les HC. Allez, dépêche-toi, j’ai déjà téléchargé l’itinéraire sur ton holobracelet, l'enjoignit-elle en le poussant vers la sortie.

***

Quelques minutes plus tard, il arpentait ce monde étrange en suivant les instructions.

Avant d’entrer, il avait imaginé que, sous Bulle, se cachait le paradis perdu. Il s’était persuadé qu’elles étaient des écrins protégeant des fragments du monde merveilleux que leurs ancêtres avaient détruit. Lors de son voyage, il avait crut en percevoir les échos quand il avait exploré des sous-bois regorgeant de formes de vies multiples ou contemplé un pic si colossal qu’il tutoie le ciel, ou encore quand la mer pourtant moribonde, se parait de couleurs chaleureuses pour accoucher de l’astre solaire.

Mais, sous Bulle, rien de tout cela, il s’était trompé. Sur toute la ligne.

Ici, tout était mort, sauf les humains. Jamais le vent ne vous ébouriffait les cheveux ou ne vous giflait le visage. Pas de pluie, pas d’orage, pas de jour de soleil doux ou écrasant, il n’y avait même pas de soleil, ni même d’étoiles. Juste un toit aux reflets verts et maladifs. Seule la clarté changeait.

Jamais de cailloux sous vos chaussures, ni de poussière des chemins sur vos vêtements, il n’y avait que des routes lisses et droites. Tout était carré, fonctionnel et si triste. Les bâtiments se disputaient l’entièreté des nuances de gris, toutes comme les voies de circulations dont seul le balisage jaune tranchait dans ce dégradé de mornes couleurs. Des formes cubiques aux angles acérées vertes et argentées parsemaient les différents quartiers, pour égayer le décor. Quelle blague !

Pas de courbes, pas d’espace en friche à découvrir, pas d’odeurs non plus. Les Bullites trouvaient cela joli, merveilleux et tellement bien pensé. Pas un jour ne passait sans qu’il entende l’un d’entre eux s’extasier du génie de MAGIE qui avait rendu leur monde sous cloche si parfait.

Au début, il n’avait pas compris comment les Bullites, des êtres de la même espèce que lui, pouvaient s’épanouir dans cet environnement, sans devenir fous à lier.

Et puis, Maya lui avait parlé de l’Optimem. Ce système infernal, instauré par MAGIE évidemment, qui avait fini de broyer les humains. Un bullite aurait dit « sauver »…

Alors qu’il tentait de se détacher de ces sombres réflexions, il pénétra dans le quart des loisirs où se trouvait la salle de sport. L'organisation était si simpliste que cela se révélait un jeu d'enfant de se repérer. Il ne pouvait que reconnaître que c’était parfait pour une population d’amnésiques. Mais lui, comme tous les autres HC, ne l’était pas.

Son holobracelet retentit. Il était arrivé à destination : un grand cube gris ceinturé d’énormes baies vitrées opaques. Deux portes coulissèrent silencieusement pour le laisser entrer. Devant lui, s’étala une gigantesque salle où des hommes s’exerçaient. Le nombre et la sophistication des machines mises à disposition le submergèrent. Avait-on réellement besoin de tous ces trucs pour être en forme physique ?

Alors qu’il déambulait entre les différents équipements, sans trop savoir par où commencer, une voix l’interpella :

— Bonjour, je suis Dan, le responsable de la salle. C’est la première fois que tu viens ici, n’est-ce pas ?

Il hocha la tête. En sueur et les muscles saillants, l’hôte vraisemblable des lieux le gratifia d'un sourire courtois.

— Alors, tu devrais essayer le tapis de remise en forme à programmation intuitive, ce serait un bon début.

Devant l’air interrogateur de Noway, il lui fit signe de le suivre. Il s’arrêta devant un carré noir de deux mètres sur deux qui n’avait vraiment rien d’extraordinaire.

— Ça ne paie pas de mine mais tu vas voir, c’est sympa, lui assura-t-il en l’invitant à se placer dessus.

Tandis que Dan lui souhaitait une bonne séance, un cube tout juste visible se déploya autour de lui.

  • Scanner corporel, annonça une voix d’une suavité lisse.

Un nombre phénoménal de données biologiques et physiques défilèrent sous le regard surpris du jeune homme. En une minute, cette machine sut plus de choses sur lui que n’importe qui… lui inclus : taille, poids, rythme cardiaque, tension, masse graisseuse et tout un tas d'autres paramètres dont il ne comprenait même pas la signification.

— Paramètres enregistrés, déclara la voix mielleuse. Veuillez choisir votre objectif. Vous pouvez en combiner plusieurs.

Des mots lumineux apparurent, accompagnés de petites illustrations animés expliquant chaque terme : endurance, résistance, force, souplesse, musculation, affinage de la silhouette…

Il choisit les quatre premiers. En quelques secondes, le cube élabora un programme et généra autour de lui tout l’environnement virtuel adéquat. Éberlué, Noway tendit les mains pour toucher les éléments autour de lui. Certains semblaient consistants, d’autres non. Il n’eut pas le temps d’approfondir sa recherche. Un compte-à-rebours se déclencha. À zéro, un homme virtuel, enfin le supposa-t-il, se matérialisa pour lui faire signe de le suivre. Sans plus se poser de questions, il s’élança derrière lui. Il le fit courir, grimper, sauter, à des vitesses différentes, sous des gravités modifiées, dans des paysages complètement fous... C’était hyper immersif ! À peine fini, il enchaina sur une seconde séance dont il ressortit complètement lessivé, essoré corps et âme. Incapable d’aligner deux pensées, il apprécia juste ce moment de répit.

Assis à côté du cube, dégoulinant de sueur, il ôta son t-shirt, qui tenait plus de la serpillière tant il était trempé, quand un jeune garçon s’approcha pour s’enquérir de son état.

— C’est votre première, n’est-ce pas ?

Il opina de la tête, encore trop essoufflé pour répondre. Il fit tout de même l’effort de se relever pour le saluer. Son vis-à-vis était plus petit que lui : une fois debout, sa tête ne dépassait pas sa ligne d’épaule.

— Moi c’est Noway, et toi ? se présenta-t-il, en lui tendant la main.

Les yeux du jeune inconnu s’écarquillèrent, il ouvrit et ferma la bouche comme s’il manquait d’air. Cela lui conférait une expression comique mais étrange.

— Ça va ?

— Oui, oui, pardon, c'est juste que j'avais jamais vu un pendentif pareil... On dirait des diamants, non ? Et t’as bien dit Noway, c’est ça ?

— Ouaip, c'est bien ça. Concernant le pendentif, je ne sais pas, je l'ai trouvé : la seule chose dont je sois sûr, c'est qu'il s'agit d'un papillon, mais j'ignore si c'est du diamant. Et toi, comment dois-je t’appeler ?

— Euh, Hélio. T’es nouveau, non ?

— Oui, je… suis HC d’une jeune femme depuis peu…

— Ah, ça va, t’es verni ! Moi, je suis HC dans une entreprise qui livre la bouffe. Y’a pire mais c’est pas transcendant comme occupation.

Il sautilla d’un pied sur l’autre semblant hésiter à continuer.

— Si tu veux, se lança-t-il, je pourrai te faire visiter… les endroits sympas pour nous ici.

— C’est-à-dire ?

— Ben, tu sais, les bars où on peut boire des coups, décompresser, discuter tranquillement entre nous. Par exemple, ce soir, je sors. Tu peux venir, si tu veux ?

L'idée était séduisante, mais Noway refusa. Jamais il n’accordait sa confiance à la première rencontre. Son excuse était toute trouvée. Ce soir, la meilleure amie de Maya venait pour dîner. Sa maîtresse avait été très claire : il devait être présent et à l’heure. Elle voulait le « montrer », avait-t-elle dit. Ìl sentait encore le goût acide que ces paroles avaient fait naître dans sa gorge.

Pourtant, il l’expliqua d’un air tranquille comme si cela allait de soi. Ce Hélio eut l’air déçu mais ne fit pas de commentaires.

— Dommage, une autre fois, peut-être ?

Noway opina vaguement de la tête pour ne pas trop se mouiller.

— Tu comptes revenir ici ? s’enquit sa nouvelle connaissance.

— Oui, ça m’a plu.

— Super, on se recroisera certainement, alors.

— Y’a des chances, en effet. Bon, je dois y aller.

— Oh, d’accord. Content d’avoir fait ta connaissance et peut-être à la prochaine, dit Hélio en tendant la main.

Noway la serra sans piper mot mais avec un sourire et prit le chemin de la sortie. Il était l’heure de rentrer même s’il n’en avait aucune envie. Dehors, Téodime et sa famille dépendait de sa capacité à endurer sa nouvelle condition d’HC.

***

Quand il franchit la porte de l’appartement, Maya et son amie étaient en pleine conversation, il passa discrètement afin d’aller prendre une douche. Maya avait insisté sur cela avant qu’il ne parte : elle voulait qu’il apparaisse sous son meilleur jour. Noway grimaça à l’idée de sa servilité mais il continua son chemin.

Une fois décrassé, il se rendit à la cuisine pour préparer le dîner. Rien de très compliqué à cuisiner, il devait réchauffer les plats que Maya avait commandé au restaurant préféré d’Alka. Pendant que le four faisait son office, il entra en silence dans le séjour pour dresser la table, elles étaient toujours en train de discuter et firent mine de ne lui prêter aucune attention.

Il remarqua cependant, le regard entendu que Maya jeta à son amie qui lui répondit d’un hochement de tête après l’avoir furtivement observé.

Sans broncher, il alla chercher les plats. À son retour, elles étaient déjà installées. Il les servit avant de s’asseoir à son tour.

Durant tout le dîner, elles bavardèrent. Cela n’empêcha pas Alka de lui couler des regards en coin. C’était très désagréable, cette impression d’être passé au crible. Alka avait une présence très « robotique ». D’ailleurs, elle parlait presque comme une IA.

Maya avait dit à Noway que son amie était dotée d’une intelligence supérieure et qu’il ne comprendrait pas tout ce qu’elle dirait, voire quasi-rien.

Piqué par cette affirmation, il avait écouté attentivement durant tout le dîner.

Il avait tout compris. Ce n’était pas complexe, c’était terrifiant. Cette jeune femme concevait des êtres humains destinés à diverses fonctions. Elle les paramètrait, selon ses propos, c’est-à-dire qu’elle définissait leur poids, leurs tailles, leur capacités intellectuelles en fonction de l’emploi auquel ils étaient destinés. Ensuite, ils étaient fabriqués en série, comme des objets, des outils mais … humains.

L’esprit en feu, Noway desservit la table, leur apporta leur infusion de thé jasmin puis reprit sa place pendant que Maya préparait la présentation holographique de ses prototypes de robes prévues pour son prochain défilé.

— D’où venez-vous, Noway ? lui demanda, de but en blanc, Alka.

Maya avait aussi informé le jeune homme que son amie étant en quelque sorte une experte en HC. Il susciterait certainement sa curiosité.

— De Dehors, lui dit-il laconiquement.

— Oui, ça, je l’avais vu. Mais d’où, pas des abords de B2 ?

— Si.

Seul un léger tressaillement de sourcil traduisit une émotion mais en était-ce vraiment une ? Elle pianota rapidement sur son Holobracelet. Un écran en jaillit. Il y apparut une liste qu’elle manipula à une vitesse folle.

— Oui, vous avez un contrat en faveur d’Isa B2260276889, sa progéniture et un de ses ascendants, c’est ça ?

Il acquiesça.

— Qui est-ce pour vous ? votre partenaire sexuelle ou, de la famille comme vous dites ?

Dans la bouche de cette froide Bullite, ces mots semblaient laids, ils parlaient pourtant d’amour, de tendresse, de plaisir aussi. Ils évoquaient la vie, la création, les liens qui unissaient les êtres vivants.

— C’est une amie, réussit-il à répondre platement.

Elle sembla à peine écouter la réponse.

— Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Ces questions indiscrètes posées par cet être sans cœur mirent les nerfs de l’HC novice à rude épreuve. Noway peinait de plus en plus à se retenir de l’envoyer voir ailleurs.

— Alka, ça suffit. Tu vois bien que tu le mets mal à l’aise, intervint, fort à propos, Maya.

— C’est juste que c’est étrange, il ne correspond pas aux morphotypes standard de B2, ni de…

— Qu’est-ce que ça peut faire qu’il vienne de la 2, la 3 ou la 4 ? Il est magnifique, c’est tout ce qui compte, n’est-ce pas ?

  • Je m’incline. Tu avais tout à fait raison. C’est un spécimen qui sort de l’ordinaire que tu as trouvé là, répondit-elle en souriant à son amie.

Noway fulminait intérieurement, il se jura de ne jamais s’habituer à être traité ainsi.

Malgré tout, il resta stoïque même s’il regrettait presque de ne pas avoir accepter l’invitation d’Hélio. Au pire, il l’aurait semé après qu’il l’ait conduit dans ces endroits où l’on se retrouve entre HC. Il allait avoir besoin de rencontrer des êtres sensibles et conscients sans quoi il perdrait la raison.

Mais Maya le laisserait-elle y aller ? Il décida de tenter sa chance, cela empêcherait peut-être Alka de reprendre son interrogatoire.

— Pardonnez-moi, maîtresse, de vous déranger mais j’ai quelque chose à vous demander. À la salle de sport, j’ai rencontré un autre HC, il m’a proposé d’aller boire un verre. Pour ce soir, j’ai refusé, bien sûr. Je me demandais si vous me donneriez-vous la permission d’y aller si l’occasion se présente à nouveau ?

Maya le fixa, les sourcils froncés.

— Je suis heureuse que tu aies des interactions avec tes congénères, c’est bénéfique pour ton équilibre psychique, débita-t-elle, d’un ton mécanique qu’il ne lui connaissait pas.

On dirait une leçon apprise par cœur, songea-t-il.

— Aussi, vais-je t’accorder l’autorisation. Cependant, il y a des conditions : interdit d’abuser de la boisson ou d’une quelconque drogue, interdit de fréquenter une maison des plaisirs et tu dois être rentrer et prêt à travailler avant que je sois levée, soit six heures. Si tu venais à outrepasser une de ses règles, toute sortie serait proscrite. Est-ce clair ?

— Oui, maitresse, lui affirma-t-il en baissant la tête, jouant à merveille, il l’espérait, le HC soumis qu’elle voulait qu’il soit.

— C’est entendu, alors.

— Merci maitresse. Je vois que vous allez présenter votre travail à votre amie. À moins que vous n’ayez encore besoin de moi, puis-je aller dormir ?

— Tu peux y aller.

— Merci. Bonne soirée et au revoir Madame Alka.

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