4 - We Were Heroes

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Je suis l’incarnation même du temps qui passe. De la gloire éphémère. D’une apogée oubliée. Dans le quartier, on me connait comme le Monsieur-Tout-Le-Monde lambda et personne ne se rappelle qui je fus autrefois. Qui le pourrait d’ailleurs ? Ils sont tous morts. Tous autant qu’ils sont. Ou presque.
Mon quotidien est une vieille routine que je n’arrive même plus à gripper par le goût de l’aventure ou du combat. Cette histoire immortelle me laisse désormais un goût amer, un sentiment de lassitude dont je n’arrive pas à me défaire. Tous les jours, la même rengaine, encore et encore. J’ai songé à faire dérailler la machine plus d’une fois vous savez ? A la place, j’ai fait dérailler un train... 
A ceux qui rêvent d’immortalité, je ne peux que leur rire au nez. Elle n’a rien d’une bénédiction. C’est même la pire des malédictions. Condamné à voir le monde s’effondrer, la vie des autres, de ceux qu’on aime aussi. Ne reste que la solitude et la lente déliquescence d’un univers. Mon univers.

Journal sous le bras, il est 10h47. Pas une seconde de plus, pas une de moins quand tinte la clochette. Derrière le comptoir de mon fournisseur en conserve en tout genre se trouve un homme que j’ai toujours connu. Fidèle au poste. Jamais malade. Jamais fermé, pas même pour les vacances. Seulement pour moi, il n’est qu’une ombre fugace comme toutes les autres. Je ne le vois même plus. Et la machine se grippe soudain...

« Bonjour Monsieur Alexandre ! Dit l’épicier avec un petit rictus, toujours la même chose ? 
— Toujours. Comme d’habitude. »

Je lui réponds d’une voix torve, le timbre éraillé par le fait de n’avoir prononcé un mot depuis longtemps. L’homme se détourne de moi pour voguer entre ses étals en remplissant un petit sachet de kraft de quelques fruits et légumes. Il reprend :

« Cela fait des années que vous venez ici Monsieur Alexandre et vous ne m’avez toujours pas reconnu. Je commence à désespérer alors pardonnez mon audace. »

Je relève la tête et lui adresse un regard d’incompréhension, le sourcil levé.

« Pardon ?
— Alors vous avez vraiment oublié ? L’épicier se montrerai presque désolé, l’affaire du Piège Infernal ? La Valette ? Malte ? Et puis bien d’autres d’ailleurs... Non ? »

Pour la première fois depuis des décennies, mon esprit se met à bouillonner, à chercher à se reconnecter avec sa vie passée et presque oubliée. Je me souviens par bribes de ces aventures aux énigmes retors. De ces combats homériques pour le bien d’une Humanité qui m’a délaissé depuis. Un visage, une voix et soudain... un nom !

« Docteur Faust ? J'hésite... c’était son alter-ego autrefois. »

Je vois que je fais mouche, l’autre sourit. Presque soulagé. Il s’approche d’un pas presque enthousiaste et nous nous serons chaleureusement la main. La scène serait presque absurde si l’on se trouvait en 1930.  Mon cœur s’emballe, je revis. Je ressens de nouveau non pas le poids de ma malédiction mais l’effervescence d’une vie délaissée.

Finalement, je n’ai quitté l’épicerie que des heures plus tard, avec des récits et des souvenirs plein la tête. Avec la promesse même... qu’on allait remettre le couvert ! 

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