Chapitre 16 — Ce qu’elle n’a jamais dit
(Point de vue de Sarah)
J’ai claqué la porte si fort que le cadre du salon a tremblé.
Ma mère est sortie de la cuisine, les sourcils froncés.
— Sarah ? Ça va pas ?
Elle tient un torchon dans les mains, encore tiède du plat qu’elle vient de sortir du four. Une scène normale. Trop normale.
Et ça me fout encore plus en rage.
— Tu m’as pas vue, hein ?
Elle cligne des yeux.
— Quoi ?
— T’étais pas là. Au concert.
Elle ouvre la bouche pour répondre, mais je l’interromps.
— Bien sûr que t’étais pas là. Comme d’habitude. T’étais occupée, ou fatiguée, ou… j’sais pas. Juste pas là.
Son visage se ferme.
— Sarah, c’est pas le moment…
— Non. C’est jamais le moment avec toi.
Ma voix tremble. Mes mains aussi. Mais je continue.
— Tu sais ce que j’ai chanté, ce soir ? Tu sais ce que ça m’a coûté ?
Silence.
— Non. T’en sais rien. Parce que t’as jamais posé la question. T’as jamais demandé pourquoi je faisais des cauchemars, pourquoi j’ai arrêté la natation, pourquoi j’ai arrêté de rire.
Elle veut répondre. Je ne lui en laisse pas le temps.
— J’avais treize ans. Et c’était mon meilleur ami. Et j’ai rien dit parce que j’avais peur. Et tu l’as jamais vu.
Elle blêmit.
Je la regarde, les yeux brûlants.
— J’ai crié dans ma tête pendant des années, et toi t’entendais rien.
Elle avance vers moi, lentement.
— Sarah… mon dieu…
— T’approche pas.
Ma voix se brise.
— T’as pas été là. Et maintenant je veux plus que tu fasses semblant.
Et sans attendre, je monte les escaliers à toute vitesse.
J’entends sa voix derrière moi. Des mots que je refuse d’écouter.
Je claque la porte de ma chambre, me laisse glisser contre le mur.
Et je pleure.
Pas des larmes silencieuses. Pas comme d’habitude.
Je pleure comme si je recrachais tout ce que j’ai avalé depuis trois ans.
Et pour la première fois…
Je ne m’en excuse pas.
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