L'après-midi au palais impérial.
Après la rencontre des grandes dames et de leurs fils et filles, Madame se joint à l’Empereur Alaric pour le déjeuner que nous partageons avec les siens qui sont au nombre de trois. Il y a mon demi-frère qui fait office d’échanson de sa Majesté, Tezcacoatl qui est son valet de chambre ainsi que le frère ainé d’Ameyalli et son intendant Nathaniel. Tous trois ont toute la confiance d’Alaric sinon jamais ils n’auraient des positions aussi bien placés et aussi près de lui et font partie des nobles les plus convoités par la gente féminine. Il faut avouer qu’Aryon ressemble trait pour trait à notre père quand il était jeune : les mêmes yeux bleu océan, les mêmes cheveux bruns légèrement bouclés et la même allure élancée.
-« Mon chère amie, vous êtes splendide aujourd’hui. » Dit-il en baisant sa main.
-« Vous me flattez, Altesse. »
-« Tout simplement parce que c’est la vérité. Il n’existe aucune femme sur Terre qui puisse vous égaler en termes de beauté. »
C’est cela, crachez bien votre doux venin tant que Madame est en vie alors que si cela se trouve, vous n’en pensez pas une syllabe et ces mots sont probablement destinées à votre belle-sœur. Comment son Altesse a bien pu aimer un homme pareil ?! S’il y a bien une chose que j’ai retenu que cela soit dans mon ancienne vie ou des leçons de tante Doris sur l’amour chez les hommes, c’est qu’il ne faut jamais se reposer sur leurs paroles mais sur leurs actes.
-« Ma chère, avez-vous réfléchi aux problèmes de surpopulation et de pauvreté de certains quartiers de la capitale ? »
-« Oui, des peuples étrangers viennent en masse à la suite des guerres de territoires. C’est malheureusement une conséquente prévisible et la capitale ne peut les garder indéfiniment entre nos murs. Nous parvenons tout juste à maintenir les quartiers plus défavorisés en état et il serait indécent de leur offrir l’hospitalité dans des conditions d’hygiène déplorables. Je pense qu’il vaudrait mieux les envoyer dans des royaumes plus accueillants où le travail ne manque pas. »
-« Certains ont fait un très long et éprouvant voyage jusqu’ici, ne serait-ce point risqué de compliquer davantage les choses en refusant contre notre volonté de leur offrir un toit ? »
-« Je le crains. Je vais continuer d’y réfléchir pour voir si une solution plus durable ne pourrait pas être plus adapté. »
-« Je vous remercie de prendre la question en considération. » Dit Alaric en mangeant le civet de lapin aux épices.
Ce serait inappropriée de ma part de suggérer un hospice au sein de la capitale durant ce repas. Mieux vaut attendre d’être seule avec Madame pour lancer le sujet. Les serviteurs apportent alors un délicieux comminée de volaille que nous savourons avec joie tandis qu’on discute tous entre nous de tout et de rien. J’en profite pour expliquer à Safiye la nature des liens entre le couple impérial ainsi que le trio masculin favorisés par Alaric. Hormis Blanche, j’avais de bonnes relations avec Ameyalli et Taiyo mais Safiye était autre chose, sans doute parce qu’on avait bien plus en commun. Avec elle, je pouvais confier toutes les peines de mon âme et me sentir écoutée mais maintenant, dans cette vie, je n’ose le faire concernant ce retour dans le passé où je risque de passer pour une folle puisque c’est impossible sans un niveau de magie élevé. J’ignore ce qui a déclenché ce sort mais il me permet de ne pas refaire les mêmes erreurs et de pouvoir intervenir dans la vie de personnes qui ne méritaient pas leurs fins… Safiye, Elaine, … Sûrement d’autres à qui je pourrais partager cette seconde chance.
-« Princesse, on vous demande pour un peu de danse. » M’interrompt Safiye.
-« Hein ? Oh, euh… Bien sûr. » Dis-je en me levant pour rejoindre Blanche, Taiyo, Ameyalli, Nathaniel, Aryon et Tezcacoatl.
Nous formons alors un cercle en nous tenant les mains et les musiciens se mettent à jouer pour qu’on danse une schiarazula marazula, une danse qui va crescendo au fil de la musique. Nos seigneurs semblent satisfaits de nous voir grandis, de futurs adultes accomplis, comme le serait des parents qui regardent leurs enfants. Il a bien évidemment fallu que je sois entre mon demi-frère et Blanche et autant que les comparaisons vont bon vent.
-« Blanche, vous avez la grâce d’un cygne et la délicatesse d’une rose quand vous dansez… Vos cavaliers doivent passer de bons moments avec vous qui êtes d’une beauté absolue. » Compliment Aryon.
-« Oh, vous me flattez, prince Aryon ! Pourtant, mes trois compagnes le sont autant. »
-« Si on devait choisir la moins jolie, laquelle ce serait ? » Demande Ameyalli, curieuse.
-« Attention, en faisant un tel choix, vous risquez de vous faire une ennemie. » Répond Taiyo, amusée.
-« Pour moi, il n’y en a pas une qui surpasse les autres. » Déclare Nathaniel.
-« Vous êtes trop aimable, Nathaniel. » Disent Blanche et Taiyo.
-« Je n’oserais jamais dire que ma sœur est laide, ce serait irrespectueux. » Annonce Tezcacoatl.
-« Et vous, prince Aryon ? Vous qui clamez que Blanche est la plus belle, laquelle de nous trois est laide ? » Demande Ameyalli.
-« Je n’ose me décider, mes chères. »
-« Cher frère, osez-vous ne pas vous prononcer parce qu’aucune femme ici présente n’est à votre goût ? » Dis-je.
-« Nous ne sommes pas assez jolies pour vous, quelle tristesse ! » S’exclame Taiyo avec une mine boudeuse.
-« Non, du tout. Dame Blanche est une perfection si difficile à atteindre que de choisir une dame qui est très loin de son niveau est une tache ardue. Certaines devraient prendre exemple sur elle pour avoir de l’allure et ne pas ressembler à une chèvre quand elle danse.» Dit-il en me fixant du coin de l’œil.
C’est cela, Blanche est la plus belle, la plus gracieuse, la plus aimable, intelligente… Et encore, sur ce dernier point, c’est discutable. A l’écouter, c’est elle la Fleur de Schinéar d’office qui aura tellement de prétendants à ses pieds qu’elle ne saurait choisir lequel lui conviendrait le mieux. Tu vas voir ce qu’elle te dit, la chèvre qui ne sait pas danser. Lorsque je dois faire un pas de côté vers Aryon, je lui marche dessus de sorte à le faire taire s’il ose continuer ses insinuations.
-« Oups, navré, mon sabot a glissée… Je n’ai que quatre pattes et non deux. » Dis-je pour me moquer, ce qui fait rire les filles.
-« Surveille tes manières, sœurette… Si je dois t’appeler ainsi. Je suis le prince héritier et toi une marchandise pour renforcer l’Atlantide. » Me chuchote-t-il avec son air arrogant.
-« Au moins, il n’y a pas d’erreur sur la marchandise avec moi, la couverture est à l’image de son contenu. »
On ne s’est jamais entendus malgré qu’on ait vécus ensemble depuis l’enfance, Aryon est destiné d’office à la succession tandis que je suis réservée au mariage politique et autant dire qu’il ne s’est jamais caché de la supériorité de son statut grâce à son sexe, a-t-il était manipulé pour me détester par ceux qui étaient favorables à sa défunte mère ? Je l’ignore encore aujourd’hui. Je n’étais qu’une moitié de sœur à ses yeux et non une véritable alors qu’autrefois, je n’avais cure que nous n’ayons que notre père en commun. J’avais maintes fois tenté de gagner au mieux son amitié à son affection fraternelle en vain et j’avais longtemps gardé espoir qu’un jour les liens du sang seraient importants quand on est dans le besoin.
C’était ce qui m’avait motivé à lui écrire pour lui faire part de la désastreuse vie maritale avec Thurian par le passé, non seulement je n’ai eu que le silence comme réponse et lors des funérailles de Madame où il était présent, il m’a ignoré quand je lui en ai parlé de vive voix dans l’espoir qu’il intervienne. Pire encore, il m’a dit de supporter jusqu’à ce que je sois enceinte parce que c’est mon rôle d’être la servante de mon époux, de lui obéir et de le satisfaire autant que possible alors que lui-même n’était ni marié ni lié à une quelconque femme. Tous mes espoirs se sont brisés à cette phrase, il faut croire que les liens du sang n’ont aucune valeur face à la soif de pouvoir. La musique prend fin tout comme la danse et nous retournons à notre place pour finir le repas.
-« Majesté, si vous le permettez, j’aimerais vous présenter les broderies de mes favorites pour que vous puissiez voir par vous-même leurs qualités d’épouse. »
-« Bien, faites-moi voir tout cela. »
Sur ce, Madame présente d’abord le travail d’Ameyalli à sa Majesté qui juge la qualité comme étant bonne et le traitement de l’amour particulier quoique très ingénieux de faire allusion à la littérature courtoise à la mode en ce moment. Vient alors celui de Taiyo qui reconnaît comme étant en accord avec sa personnalité joyeuse et vive par les couleurs, le chevalier aux services de sa dame est brodé avec une finesse à la hauteur de la fin'amor. Quand c’est au tour de la broderie de Blanche, je crois voir de la curiosité dans son regard ce qui me fait blêmir… Est-ce que mes soupçons avaient quelques fondements ? Songe-t-il déjà à elle en tant que femme au nez et à la barbe de Madame ? J’espère sincèrement me tromper et Safiye semble remarquer mon trouble puisqu’elle me sert à boire et masse ma main tout de suite après.
-« Tout va bien ? »
-« C-ce n’est rien, juste un peu de fatigue. »
Alaric semble enchanté par la broderie de mariage de sa belle-sœur, et ne tarit pas d’éloges sur ses qualités de brodeuses. Nul besoin d’être clairvoyant pour deviner qu’il porte beaucoup d’affection à Blanche parmi nous quatre, plusieurs fois je me suis demandé si Madame ne trouvait pas ces marques d’affections quelque peu ambigües. Les favoris de l’Empereur regardent à leur tour le travail de chacune et compliment la qualité des dessins.
-« Avez-vous un en particulier que vous préférez, ma mie ? »
-« Ils sont chacun authentiques et reflètent beaucoup leurs personnalités. Mais si je devais en choisir un parmi les quatre, je dirais que celui-ci est le plus captivant. » Répond-t-elle en montrant ma broderie.
Sa Majesté le regarde attentivement et admet que la qualité est toute aussi bonne, l’idée de reprendre à la fois le mythe du péché originel et celui de Psyché est intelligent et que cela présent l’amour sous un jour plus spirituel. En face de moi, Aryon ne semble pas ravi de voir que je suis capable de surpasser Blanche malgré l’emballement de ses compagnons, je me rappelle à présent… Dès que je faisais mieux que la sœur de Madame, je me faisais gronder par lui parce que j’aurais soi-disant insulté la famille de l’Impératrice en faisant preuve d’orgueil. En y repensant, je me rends compte que je n’ai jamais pu montrer ce que je valais réellement toute ma vie, jamais montrer ce que je savais faire, … J’ai toujours mis n’importe qui au-dessus de moi parce que je ne croyais pas être digné d’être félicitée et que beaucoup en ont profités pour me rabaisser en sachant pertinemment que je ne dirais rien.
-« Si Madame me le permets, j’aimerais me retirer. » Dis-je en me levant de table.
-« Quelque chose ne va pas ? »
-« J’ai des maux de ventre qui ne passent pas depuis ce matin. Sans doute un problème de digestion, avec un peu de repos, j’irais mieux. »
-« C’est ce qui arrive quand on passe sa vie loin de la capitale, surtout l’hiver… Pourtant, Byblos n’est pas une campagne. » Murmure Aryon.
-« Tu peux te retirer mais si rien ne s’améliore, appelle un mage. »
Je m’incline et quitte la salle pour la chapelle. Une fois seule dans le petit bâtiment, je m’approche de plusieurs autels où brûlent plusieurs bougies devant une effigie des grands dieux de chaque royaume ou empire existant. Je m’arrête devant la statue de mon lointain ancêtre divin, Poséidon, et fait allumer une bougie dans une coquille avant de me mettre à genoux pour joindre mes mains à la prière sur l’autel.
-« Puisse-tu offrir à mon père une vie longue et paisible, dans la richesse et la santé… Puisse-tu veiller sur tes enfants de la mer qui t’honore et te craigne chaque jour… Puisses-tu me donner la force et la volonté d’affronter l’adversité qui s’apprête à me submerger… » Pensai-je.
-« Princesse ? Je sais que vous… Tu voulais être seule et je le respecte… Mais je sens que quelque chose te pèse sur la conscience et ce n’est en rien la reine Laura qui en est la cause, du moins pas directement. »
-« C’est plus complexe que cela, Safiye. Il y a des choses qu’il vaut mieux que tu ignores pour le moment. »
-« Princes… Elda, nous avons passés toute notre nuit à parler pour nous découvrir. Au premier abord, vous semblez froide et avec un cœur de pierre mais je l’ai vu… Ce n’est qu’une apparence qui dissimule un trésor plus précieux encore. » Dit-elle en se joignant à mes côtés pour prier à son tour. « Tu m’as offert une opportunité d’honorer ma famille en faisant de moi ta demoiselle de compagnie, tu m’as accueillie chaleureusement et accordé toute ta confiance sans hésitation. Tu m’as surtout évité de commettre une grande erreur qui m’aurait valu l’exil, la pauvreté et la mort sans doute. Je ne remercierais jamais assez notre protecteur des mers pour avoir permis cette rencontre… »
-« Safiye… »
-« Je voulais t’adresser ses mots avant même notre rencontre… Quand ma mère a reçu et lu cette lettre de ta main, elle pleurait de joie et mon père était fier que je puisse côtoyer la famille royale même si ce n’est que toi. J’ai que des sœurs dont je suis proche mais toi… C’est comme si nous avions été ensembles dans une autre vie. »
A cette dernière phrase, je la regarde avec surprise et appréhension. A-t-elle compris ? Se doute-t-elle de quelque chose ? Je ne saurais le dire. En tout cas, ces mots me touchent énormément, plus qu’ils ne le devraient. J’aimerais pouvoir tout lui révéler sur l’ancienne moi, comment sa vie était, la fin tragique qu’elle a eu et qui pourrait se reproduire si je ne fais rien mais je crains sa réaction si j’ose ne serait-ce qu’en souffler un traître mot.
-« En tout cas, je suis heureuse d’être à tes côtés pour te servir. Je tiens à être une épaule sur laquelle te reposer quand tu es épuisée, une oreille pour écouter tes états d’âme… Être… La sœur que tu aurais sans doute aimé avoir. »
Quand elle prononce le mot sœur, l’image de sa mort et de ses derniers mots me reviennent aussitôt en mémoire. Elle a sans doute vite compris que ni Aryon ni Laura ne m’ont portés la moindre once d’amour familial, que seuls oncle Atlas, tante Doris et leurs enfants ont été la seule famille que j’ai véritablement eu et que Madame est une figure maternelle à nos interactions… Il semblerait que malgré son absence, mon père est la seule personne à se soucier de moi bien que j’aurais aimé l’avoir à mes côtés. Je l’envie d’avoir une famille qui est fière d’elle, qui l’aime et qui lui fait confiance.
-« Princesse ? V-vous pleurez ? »
Je m’apprête à réfuter ses paroles quand elle sort un mouchoir pour m’essuyer une larme coulant sur ma joue. Trop gênée de ce moment, je masque mes yeux dans mes mains toujours jointes en lâchant prise. On est ensembles depuis à peine une journée qu’elle tient à être quelqu’un vers qui je peux me tourner si je vais mal, je reconnais là celle de mes souvenirs qui ne m’a jamais tourner le dos et est restée fidèle jusqu’à la fin malgré la menace de mort qui pesait. Ne prononçant aucune parole, elle pose sa main sur mon épaule pour la caresser, c’est vraiment d’elle dont j’ai besoin dans ces moments-là.
-« Tu ne seras jamais seule tant que je serais là et quoi qu’il arrive, je me tiendrais près de toi. On affrontera tout ensembles. »
-« Merci. » Dis-je avec un sourire, en posant ma main sur la sienne.
-« Pourquoi le mariage ne semble point t’égayer ? Quand Madame en a fait mention, tu t’es raidie d’un coup comme si on venait de t’annoncer une mauvaise nouvelle.»
-« Parce que c’est le cas. »
-« Ne souhaitez-vous pas te marier ? Remplir ton devoir de princesse ? »
-« Si je le fais, le malheur me suivra à la trace… Avant d’arriver à la capitale, je suis allée voir un oracle grec pour connaître mon avenir. Il m’a prédit que si je me mariais, je n’aurais point d’enfants et pire encore, il a prédit ma mort… De la main de l’homme qui sera mon époux. » Dis-je, ne disant qu’une partie de la vérité.
-« Q-quoi ?! N’y-a-t-il pas un moyen d’adoucir une telle destinée ? »
-« Tu sais comme moi qu’on ne peut faire mentir un oracle, leurs prédictions se réalisent toujours tôt ou tard. Les mythes l’ont démontrés à maintes reprises.»
-« Que vas-tu faire alors ? La loi atlante est formelle, tu seras éligible au mariage un an après tes premières règles.»
-« C’est là que je vais avoir besoin de toi… Dès qu’elles seront apparues, tu vas m’aider à faire en sorte qu’on les découvre le plus tard possible. Il me faudra du papyrus ramolli et des bas que je mettrais en lieu sûr, porter un jupon est trop risqué. » Expliquai-je.
-« N’as-tu pas peur qu’on découvre la supercherie ? »
Bien sûr que oui que je redoute ce moment, je pourrais me faire prendre à n’importe quel moment. C’est surtout la nuit à cause du risque de taches sur les draps et ma chemise de nuit qu’il va falloir faire preuve de vigilance. Nous continuons de prier ensembles jusqu’à ce que j’aille mieux avant de retourner à l’aile des Roses et une fois dans ma chambre, j’ouvre mon armoire pour sortir quelques robes à son grand étonnement.
-« Que fais-tu, au juste ? Comptes-tu te changer ? »
-« Non, lesquelles préfères-tu ? »
-« La jaune est jolie, tout comme la violette, celle à la couleur de pêche, la rose et la bleu ciel. »
-« Alors, elles sont à toi… Vu qu’on fait la même taille, qu’elles te plaisent et que j’aimerais alléger ma garde-robe, je trouve plus judicieux que tu en prennes quelques-unes. Qui sait ? Peut-être attireras-tu le regard d’un beau jeune homme qui sera sous ton charme ? »
-« Tu n’y penses pas, tout de même ! Moi, porter des robes appartenant à une princesse… »
-« Pourquoi pas… Et si tu en as envie, tu peux en prêter à celles qui partagent l’ancien harem. Et puis, ne le prends pas mal mais je n’ai jamais aimé les couleurs chaudes en particulier… Le jaune.»
-« Tu es bien trop bonne. Comptes-tu prendre soin de mes cheveux ? »
-« Puisque tu as décidé d’être ma sœur, oui. Il faut bien que je t’aide à te marier et pour cela, je peux t’aider à apprendre ce que j’ai moi-même appris. Pourquoi ne pas commencer par la danse ? Ainsi, j’aurais respecté la leçon sans y être. »
Je prends les mains de Safiye et lui montre comment danser l’estampie. Elle est tout amusée malgré l’absence d’instruments de découvrir ces pas de danse durant une bonne heure qui m’a paru n’être que quelques instants. Une fois que Safiye se soit améliorée sur le rythme à prendre, elle me demande en quoi lire est mon passe-temps préféré en dehors de la danse.
-« Lire me permet de m’évader, de voyager et de découvrir les peuples du monde. Il me fait voir ce que personne ne veut me montrer ou expliquer. On peut lire le même thème mais abordé différemment et c’est là toute la richesse et la force des écrits ; ils sont capables de nous faire ressentir des émotions au même titre que l’Art. Et puis, lire me permet à la fois de m'instruire et d'oublier le monde réel un instant. »
-« Même si Dame Blanche est bonne danseuse, elle est loin de t’égaler. Pourquoi tout le monde la flatte autant et pas toi ou Taiyo ou Ameyalli ? Est-ce parce qu’elle est la sœur de l’Impératrice ? »
-« En partie, tu n’as pas idée du nombre de fois où Aryon voire des précepteurs m’ont grondés parce que je suis meilleure qu’elle… »
-« Quoi ? Mais… C’est ridicule ! Ils la favorisent et vous rabaisse sans gêne. »
-« La première fois, c’était peu après mon arrivée à la cour et j’avais récité la leçon d’histoire sans l’avoir relue une fois alors qu’elle a dû s’y reprendre plusieurs fois. A la fin, le précepteur a dit que je n’avais pas à l’humilier de la sorte parce que c’était la jeune sœur de Madame et qu’il ne fallait pas la vexer. »
-« Cela me parait un peu exagéré… »
-« Si ce n’était que cela… Plus d’une fois, Aryon m’a réprimandé parce que ma robe était plus jolie que la sienne et m’a ordonné de me changer de sorte que je brille moins qu’elle. Elle-même ne supporte pas que quiconque puisse être meilleure qu’elle et de ne pas être au centre de l’attention. Je t’ai dit que j’avais des batailles à mener, la toute première concerne Aryon qui ne mérite pas le trône atlante. »
-« Pourquoi donc ? Il est courtois, avenant de corps, échanson de l’Empereur, de réputation honorable et… » Enumère Safiye.
-« Il n’aime pas les femmes. »
-« Veux-tu dire qu’il a des goûts très particuliers en termes de beauté féminine ? »
-« Je veux dire qu’en fait… Il est un chevalier de la manchette pour rester polie.» Avouai-je.
-« Quoi ?! » Crie-t-elle avant de mettre ses mains sur la bouche. « Mais enfin, c’est une accusation très grave, as-tu des preuves de ce que tu avances ? »
Eh oui, Aryon le beau prince promis à la succession atlante cache un squelette très particulier qu’il ne vaut mieux pas ébruiter s’il tient à sa place à la fois d’échanson et de fils de roi ; il aime les hommes. Il y a deux ans, dix-sept en comptant mon ancienne vie, je l’ai découvert par hasard alors que je jouais dans les jardins à cache-cache, plutôt que ma cachette habituelle, j’avais décidé d’aller dans la lagune adjacente aux jardins du palais et je l’y ai surpris en train d’embrasser un autre garçon et pas n’importe qui, Tezcacoatl qu’on surnomme Tezca. A en juger par l’ardeur de leur baiser et de leur étreinte, leur liaison ne datait pas d’hier. Il n’a jamais su que j’étais au courant et si cela se savait, nul doute qu’il sera renié en tant que prince parce qu’à l’Atlantide, c’est très mal vu d’aimer son propre sexe et d’être sodomiste, surtout quand on est l’héritier, comme chez les Aztèques. Contrairement à Ameyalli, Tezcacoatl a été élevé par le peuple de sa mère qui est une princesse Maya ; de ce fait il a grandi avec une certaine tolérance de ce genre d’attirance.
Je n’ose imaginer la tête de notre père s’il venait à l’apprendre mais aucun doute sur le châtiment qu’il lui sera réservé si des preuves accablantes attestent d’un tel acte, l’exil permanent et l’interdiction de paraître à la cour impériale pour ne pas perdre la face.
-« Retrouve-moi dans ma chambre ce soir après le repas, je vais te dévoiler l’un des secrets les mieux gardés du palais. Je vais te montrer une preuve qui ne laisse aucun doute sur les déviances de son Altesse Aryon… J’aimerais prendre l’air dans les jardins, demande qu’on nous apporter des fruits et quelque chose de chaud… Pour mes maux de ventre. » Dis-je en prenant trois livres avant de quitter les appartements.
Safiye s’exécute et se rend aux cuisine pour demander de l’eau avec du jus de citron pour soulager mes douleurs tandis que je me rends aux jardins, près d’un mur recouvert de lierre, et commence la lecture d’un de mes ouvrages préférés Tristan et Iseult selon Béroul. Lecture surprenante pour quelqu’un qui a fini par mépriser l’amour à la manière d’Hyppolite, fils de Thésée, mais tante Doris me dit justement que c’est en comprenant les tenants et aboutissants qu’il est possible de savoir comment fonctionne les jeux galants pour ne pas être piégée. Ici, l’histoire parle d’un amour adultère entre un chevalier et la femme de son oncle.
-« Voici un thé au citron pour apaiser tes douleurs et quelques raisins. » Annonce Safiye en s’asseyant sur l’herbe.
-« C’est parfait. Que dirais-tu de me faire la lecture ? » Dis-je en posant ma tête sur ses jambes.
-« Bien, princesse… A partir de quand, au juste ? »
-« Le quatrième chapitre, juste après qu’ils ont bu le philtre d’amour. »
-« De nouveau, la nef cinglait vers Tintagel. Il semblait à Tristan qu’une ronce vivace, aux épines aiguës, aux fleurs odorantes, poussait ses racines dans le sang de son cœur et par de forts liens enlaçait au beau corps d’Iseult son corps et toute sa pensée, et tout son désir. Il songeait : "Andret, Denoalen, Guenelon et Donoïne, félons qui m’accusiez de convoiter la terre de ru roi Marc, ah ! Je suis plus vil encore, et ce n’est pas sa terre que je convoite ! Bel oncle, qui m’avait aimé orphelin avant même de reconnaître le sang de votre sœur Blanchefleur, vous qui me pleuriez tendrement, tandis que vos bras me portaient jusqu’à la barque sans rames ni voiles, bel oncle, que n’avez-vous, dès le premier jour, chassé l’enfant errant venu pour vous trahir ? Ah ! Ai-je pensé ? Iseult est votre femme, et moi votre vassal. Iseult est votre femme et moi votre fils. Iseult est votre femme, et ne peut pas m’aimer"… »
-« Une telle voix est une douce mélodie à mes oreilles d'ours. Une telle complainte des feux de l'amour ne peut qu'annoncer une tragédie plus grande encore." Dit une voix masculine grave.
En regardant aux alentours, on voit un homme d'allure et de carrure de géant à la chevelure sombre et aux yeux mielleux, accoudé à un arbre où bourdonnent des abeilles. Sa tunique jaune foncé, qui ne dissimule guère ses muscles sculptés par des combats et entraînement aux armes, est rentré dans son bas et sa taille soulignée par une ceinture de cuir à laquelle pend une épée. Il tient dans sa main un plateau où sont posés des rayons de miel dont il a dû se régaler au vu du liquide doré sur ses lèvres.
-« A qui ai-je l'honneur d'interrompre la lecture ? »
-« E-euh... S-s-s-Safiye, mon seigneur... » Balbutie Safiye en le voyant approcher.
-« Bjorn, je vous prie. Safiye... Un très joli nom pour une damoiselle comme vous. En voulez-vous ? » Propose-t-il en tendant les rayons de miel.
Mon amie hésite un instant et me regarde. D'un bref mouvement de tête, je lui fais signe de se servir ce qu'elle fait aussitôt en prenant soin de ne pas m'en mettre sur le visage ou le livre. Bjorn s'assoit près d'elle et semble la contempler un instant.
-« J'ouïe dire partout au palais que Dame Blanche est la plus belle jeune fille de Schinéar mais je la trouve bien pâle comparé à vous. »
-« Voyons, cessez vos flatteries ! Je suis loin d'avoir ne serait-ce qu'un dixième de sa noblesse .»
-« Vous me semblez bien plus vive qu'elle, que cela soit en termes de personnalité ou de beauté. »
-« Je confirme, elle est vive. » Ajoutai-je, certaine qu'il n'a pas dû me remarquer.
-« Et je crois bien que Blanche risque d'avoir prochainement de la concurrence avec vous deux. »
-« Que faites-vous ici, mon bon seigneur ? »
-« Je profite de ce beau soleil pour aller visiter mes amies les abeilles. Je vois que je ne suis pas le seul à avoir eu la même idée et ceci n'est pas un reproche. »
-« La princesse ne se sentait pas très bien, on l'a courtoisement congédiée pour qu'elle aille mieux. »
-« Je vois... C'est étonnant que mon petit frère ait su qui vous étiez alors que je n'ai pas souvenir que vous ayez eu une seule conversation ou même un regard. J'ai quelques souvenirs de vous étant jeune et j'admets que vous avez énornément changé, au point que je ne vous aurais pas reconnu tout de suite. Séthi non et pourtant, vous vous côtoyez régulièrement.»
-« Plutôt mon demi-frère, vous voulez dire. Pourtant, je croyais nos deux mères en conflit ouvert. »
-« Vous connaissez mon frère, il aime se montrer supérieur par son sang de Dragon. Il sera roi en temps et en heure mais il lui faudra une épouse pour renforcer sa position. Puis-je oser vous demander vos suppositions à ce sujet ? » Demande le berserk.
-« Pourquoi pas Blanche ? Elle est une parente de la famille royale, elle a toutes les qualités de la parfaite dame comparé aux autres qui sont imparfaites. La plus belle femme convient à l'homme le plus puissant, c'est bien connu. »
-« C'est une candidate idéale. Tous les nobles vont se battre pour obtenir ne serait-ce qu'un regard de sa part alors sa main... »
-« Et vous, avez-vous une idée de la femme qui pourrait être votre épouse ? » Demande Safiye en essuyant les lèvres du fils de Tia.
-« Pas encore, j'ai connu plusieurs échecs sentimentaux mais je persiste ... à trouver celle qui saura m'apporter la joie d'être père, d'être heureux et avec qui je veux vieillir. »
-« Soyez patient, elle viendra à vous en temps voulu. Vous avez eu la meilleure mère qu'il vous était possible d'avoir. »
Ravi de l'échange, Bjorn repart aussitôt en laissant les rayons de miel sur place. Est-ce moi ou Safiye lui a fait un certain effet ? Son temps de pause en parlant de ses attentes concernant sa vie conjugale m'apparait comme suspect. En tout cas, le courant passe bien entre Bjorn et Safiye et en un sens, cela me réjouit de voir qu'elle est capable de plaire et même qu'un homme la trouve supérieure à Blanche. Je me relève pour boire ce thé au citron qui a bon goût et n'est ni trop froid ni bouillant.
-« Hier soir, j'ai hésité à te poser la question, craignant que cela soit trop indélicat de ma part... Avais-tu un amant avant de venir ici ? »
-« Pour être honnête, il y avait bien quelqu'un. Un jeune noble atlante m'a longtemps courtisé en me disant que j'étais plus belle qu'Aphrodite, aussi habile qu'Athéna à la broderie et que je serais une véritable déesse du foyer comme Hestia. Il racontait qu'Eros lui avait tiré une flèche d'or dans le coeur dès qu'il m'a vu et qu'aucune femme ne semblait exister à ses yeux... J'y ai cru pendant un instant puis ta lettre est arrivée...»
-« Beaucoup d'hommes flattent les femmes pour mieux les piéger dans leurs filets. Dès qu'une responsabilité tombe du ciel, ils deviennent lâches et se sauvent la queue entre les jambes.»
-« Quand je lui ai annoncé la nouvelle, il n'était effectivement pas ravi du tout et a coupé court à notre relation platonique. C'est en embarquant au port que je me suis rendu compte qu'il n'était pas l'amoureux transi qu'il prétendait être, il m'a aussitôt remplacé par une autre. »
-« Ou alors, il était avec sa fiancée ou sa toute jeune épouse. »
-« J'y ai songé... Au final, je me suis dit que ta lettre m'a sûrement évité une catastrophe.»
C'est le cas. Ce goujat était fraîchement marié et quand il a été pris en flagrant délit, il t'a accusé de l'avoir séduit pour augmenter ton statut afin d'éviter la punition. Cela t'a valu d'être bannie pour toujours parce que l'adultère, moicheia chez les Grecs, était reconnu comme un délit si l'homme est coupable d'adultère avec toute autre femme en dehors d'une fille de joie. Jusqu'au coucher du soleil, nous restons toutes les deux dans l'herbe à profiter des senteurs, du beau temps et du bruit lointain des vagues de la lagune.
-« Est-ce que l'Atlantide te manque ? » Demandai-je.
-« Oui, le son de la mer n'est pas aussi présent ici ni les senteurs ni les paysages ne ressemblent au centre des océans...»
-« Est-ce qu'il y a toujours un champ de lavande proche du palais ? »
-« Tu te souviens d'un tel détail ? »
-« Ma chambre donnait justement sur ces fleurs qui sentent la fraîcheur et un peu le bois. Je me rappelle que cela me réveillait le matin et me mettait en joie tant j'apprécie cette essence. C'est le seul souvenir que j'ai du palais et j'ai toujours eu l'habitude de parfumer mes habits avec ou alors du lilas qui évoque la rose avec un soupçon de vanille. »
Quand le soleil se met à décliner à l'horizon, changeant le doux bleu de l'océan en un arc-en-ciel de ton chauds allant du vermeil au jaune, nous nous levons et partons pour la chambre impériale pour le coucher de Madame. Ameyalli, Blanche et Taiyo s'y trouvent déjà et viennent de finir de changer Elaine, vêtue d'une longue robe de nuit.
-« Comment te sens-tu à présent ? » Demande Madame.
-« Beaucoup mieux, Safiye a préparé un thé à la camomille pour vous aider à dormir, Madame.»
-« Merci de cette délicate attention. » Dit Elaine en laissant Blanche lui défaire ses cheveux. « Pourrais-tu me faire la lecture ce soir, Elda ? J'ai beaucoup apprécié celle de ce matin, j'ai déjà choisi le livre et ce sera au chapitre XIV de Lancelot ou le Chevalier à la charette de Chrétien de Troyes. »
-« Bien, Madame. »
Les Roses ainsi que Safiye se retirent, me laissant donc seule avec l'Impératrice qui s'est mise au lit. Prenant place à ses côtés avec le livre dans les mains, je m'apprête à débuter quand Madame me pose une question à laquelle je ne m'attendais pas.
-« Pourquoi Aryon, Séthi et Blanche te traitent-ils comme si tu étais la Peste Noire incarnée ? On dirait des poules s'acharnant sur plus faible qu'elles. »
-« Je suis une étrangère, Madame, issue d'un empire riche qui peut contrôler les océans à sa guise. Me craignent-ils ? Peut-être... Son Altesse Aryon ne m'a jamais porté dans son coeur et nous avons le sang de Léandre en nous, c'est loin d'être inhabituel dans une fratrie. »
-« Mais il n'a pas à te manquer de respect parce que tu es une fille même en public, tu restes sa petite soeur qu'il le veuille ou non. »
-« Ce sera irrespectueux de contredire l'héritier atlante, lien du sang ou non. »
-« Pour Séthi, j'ai ma petite idée de la raison de son acharnement... Elle se résume en un mot : Laura. Mais pour Blanche, je ne suis pas certaine de bien comprendre. »
-« Pour reprendre les termes des précepteurs, je suis irrespectueuse envers vous et... »
-« Pardon ? Et en quoi ? » Dit-elle, étonnée.
-« Parce que Blanche est votre parente, je lui dois plus de respect qu'elle ne m'en doit, Madame. On ne doit en aucun cas vous insulter en faisant passer les capacités de Blanches comme inférieures... »
-« Blanche est loin d'être aussi parfaite qu'on ne veut le faire croire, Elda. Une telle attitude n'est favorable ni pour vous quatre ni pour vous-même... Je vais demander aux précepteurs à ce qu'ils me remettent tous vos travaux depuis votre arrivée à toutes les quatre, y compris ceux que vous aurez dû m'être remis. Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ? »
-« Parce que je ne voulais pas qu'on... Que vous pensiez que j'étais malade de jalousie pour avoir vos faveurs. On m'aurait prise pour une envieuse geignarde, indigne de mon rang de princesse. Des querelles d'enfants ne valent pas votre temps précieux. »
-« J'en toucherais deux mots aux principaux concernés, je ne peux laisser cela ternir davantage l'entente qu'il devrait y avoir entre mes favorites et même entres jeunes nobles... Je sens que tu aimerais dire quelque chose, je t'écoute. »
-« C'est à propos du problème de surpopulation. Intervenir en présence de l'Empereur aurait été malvenu de ma part et j'aurais été grondé par mon frère si... »
-« Aurais-tu une suggestion à faire ? »
-« Pourquoi ne pas réaménager un ancien bâtiment pour en faire un hospice ? Dans le quartier proche de la mer, il y a d'anciens thermes à l'abandon qui tiennent encore debout. Ils pourraient faire l'affaire avec des travaux pour le purifier et en faire un lieu d'accueil pour les orphelins et ceux qui sont à la rue. Avec un peu de mécénat, il serait entretenu et des volontaires pourraient aider à réinsérer ces personnes voire des familles dans Babel... Si cela marche, on pourrait en ouvrir d'autres un peu partout à travers Schinéar. Beaucoup font de longs trajets pour arriver jusqu'ici et malgré la fatigue et la famine, ils sont prêts à travailler et à accepter l'aide qu'on leur tend sans se plaindre, ceci est une preuve de leur motivation.»
-« Une idée fort intéressante à étudier avec sa Majesté. Je suis étonnée que tu aies pensé à tout cela à ton jeune âge. »
-« Cela fait un long moment que j'y songe et tante Doris m'a suggéré de vous en faire part après m'avoir appris à gérer les richesses d'oncle Atlas. Ainsi, je pourrais me rendre utile à ses Majestés et travailler ma réputation. »
-« Une initiative fort appréciable, étant donné que nos moyens de nous mettre en avant sont limités. Tu peux commencer à lire, je suis tout ouïe. »
-« Ce soir-là, Lancelot se mit au lit plus tôt que de coutume, disant qu’il était souffrant, et les heures lui parurent longues comme des années ; vous tous, qui en avez fait autant, vous pouvez bien comprendre cela ! Enfin, quand il vit que dans la maison il n’y avait plus une chandelle, une lampe ni une lanterne qui ne fût éteinte, il se leva et franchit le mur du verger qui était vieil et décrépit. Au ciel, ni lune ni étoile : il ne s’en chagrina point.
La reine l’attendait à la fenêtre ; elle n’avait point de cotte ni de bliaut, mais seulement un manteau d’écarlate sur sa blanche chemise. Et tous deux, allongeant le bras de leur mieux, se prirent par la main.
— Dame, si je pouvais entrer !
— Entrer, beau doux ami ? Mais ne savez-vous pas que le sénéchal couche ici même ? Et ne voyez-vous pas que ces barreaux sont roides et forts ? Jamais vous ne pourriez les écarter.
— Dame, rien, hors vous, ne me saurait retenir.
Et déjà Lancelot, que jamais nul fer n’arrêta, tirait sur les barreaux tranchants si rudement qu’il les déchaussa ; pourtant, ce ne fut pas sans se blesser aux doigts.
— Eh bien, dit la reine, attendez que je sois couchée et ne faites aucun bruit à cause de Keu.
Il n’y avait ni chandelle ni cierge, pour ce que le sénéchal se plaignait de la clarté, disant qu’elle l’empêchait de dormir. Lancelot traversa la chambre tout doucement, entra dans la pièce voisine et, quand il fut devant le lit de la reine, il la salua profondément. Elle lui rendit son salut, puis elle lui tendit les bras et l’attira auprès d’elle... I-il avait les mains humides de sang et certes elle le sentit bien, mais elle crut que c’était la sueur causée par la verdeur de son âge. Et grande fut la joie qu’ils s’en... S'en... S'entrefirent, car ils avaient beaucoup souffert l’un par l’autre ; quand ils s’embrassèrent, il leur en vint un tel ... P-p-p-plaisir que jamais le pareil ne fut éprouvé par personne. »
Madame se met à rire de ma gêne devant la lecture de ce passage que je qualifierais d'obscène. Je sais qu'elle a l'habitude avec Taiyo et Ameyalli d'écouter des récits de cette nature mais j'ignore si Blanche y a eu droit également, connaissant son caractère prude j'en serais très étonnée ou alors elle cache bien son jeu.
-« Pardonnez ma gêne, Madame. J-je...»
-« Tu n'en parles pas... Je veux dire, de ton corps ? Des plaisirs de la chair ? Tu n'es pas un peu curieuse de savoir ce que ton corps aime ou déteste ? Ce ne serait pas étrange en soi. »
-« N-non, cela me met très mal à l'aise. » Dis-je en repensant à ma vie conjugale passée.
-« Pourtant, cela fait partie du mariage et tu le sais. Pourquoi cela te gêne-t-il autant ? »
-« J-je ne saurais si je serais un jour capable d'accomplir mon rôle d'épouse sur cette partie... Êtes-vous sûre que ce soit là une source de plaisir et non de douleur ? »
-« Dois-je comprendre que tu redoutes le mariage ou que tu en as peur ? »
-« Je le crains, Madame. Je vis dans la crainte que mon mari manque de courtoisie à mon égard, de ne pas être traitée avec respect, bonté et honneur en sa maisonnée... Je ne suis même plus sûre de si je suis vraiment prête voire faite pour cela. »
-« J'avais ce genre d'appréhension quand on m'a fiancée à Alaric. Je n'avais jamais vu son visage que je n'éprouvais aucune once d'affection à son égard, je voulais me montrer aussi détestable que possible mais quand nous nous sommes enfin rencontrés alors qu'il n'était encore que fils d'empereur à la cour, il m'a charmé par ses manières courtoises et le respect qu'il me témoignait. Un mariage est considéré comme réussi s'il y a une bonne entente, l'amour peut fleurir avec le temps. » Explique-t-elle avant de relever mon visage baissée pour que je la regarde. « Quand tu es arrivée à ma cour, tu étais une petite fille arrachée à sa patrie pour être protégée. En faisant de toi une de mes Roses impériales, je t'ai fait une promesse que j'entends tenir... Celle de te protéger des êtres malveillants qui pourraient te menacer même si cela signifie ne pas te marier et me servir toute ta vie.»
-« Vous servir est plus qu'un honneur, Madame... C'est quelque chose qui donne un sens à ma vie. »
-« Elda, tu es une Rose impériale qui m'a toujours témoigné une loyauté absolue et avec autant de fidélité qu'un loup dressé à son maître. Je vous aime toutes les quatre pour ce que vous avez en vous et non pour vos titres de noblesses... Il est connu de tous que toi et Blanche avez une place particulière dans mon coeur et c'est vrai : Blanche est ma soeur et je l'aime...»
-« Madame a toujours eu beaucoup de considération pour sa famille, vous êtes connue pour votre piété filiale.»
-« Mais pour toi, l'affection que je te porte est différent. Tu n'es pas une petite soeur à mes yeux bien que vous ayez le même âge... Je t'ai toujours vu comme si tu étais ma fille. » M'avoue-t-elle avant de commencer à sombrer dans les bras de Morphée. « Je te souhaite de bien dormir... N'hésite pas à te confier à moi si tu en as besoin. »
-« O-oui... Mèr... Madame. » Bégaia-je avant de quitter la pièce en prenant soin de ne pas faire de bruit.
Une fois hors de la chambre, je vois que Safiye m'a attendu et me ramène aussitôt à la mienne pour m'aider à me changer. Une fois la robe de nuit mise, je pose mes mains sur les siennes qui sont sur mes épaules et lui demande de rester avec moi pour la nuit. Safiye est devenue ma soeur aujourd'hui et Madame m'a avoué m'aimer comme sa propre fille, je n'ai pas la tête à comploter contre Aryon ce soir.
-« Nous resterons ici, ce soir. Mes nerfs sont trop à vifs aujourd'hui... Cela attendra demain ou après-demain soir. Tu seras au premier rang pour assister à la déchéance d'Aryon.»
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