Interlude 6 - Le Roi

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Le fusain glissa sur la surface du parchemin en décrivant une forme labyrinthique, faite de méandres complexes qui ne s’entrecroisaient jamais. Beaucoup y auraient vu une véritable œuvre d’art. Pour le roi Lusitan, c’était un cauchemar constant qui ne quittait plus ses pensées.

Tout autour de lui, d’autres croquis jonchaient le sol. Certains portaient la même forme envoutante, d’autres imitaient les spirales que l’assassin portait sur ses bras, d’autres encore reproduisaient son visage, ses yeux sombres et calculateurs que le roi ne pouvait oublier.

Le souverain du royaume d’Algrava n’avait pas quitté sa chambre depuis des semaines. Il avait fait tripler la garde à tous les étages de la citadelle et en particulier devant sa chambre, où les meilleurs soldats de la garnison étaient postés. Pourtant il se sentait toujours menacé, comme si l’assassin pouvait se cacher dans chaque coin d’ombre.

La plupart de ses serviteurs le croyaient fou, et à vrai dire, il se demandait parfois lui-même si ce n’était pas le cas. Après tout, la folie était un mal courant dans sa famille, son père en était la preuve irréfutable.

Le prince Caspian avait été isolé dans une autre tour du château. La présence du roi le mettait en danger et si quelque chose arrivait à son fils, il ne se le pardonnerait jamais. Alors il avait choisi de s’isoler.

Le petit avait décidément un sacré courage. Sans lui, Lusitan serait mort et il le savait. Quel comble, l’homme le plus puissant du continent, sauvé par son fils de dix ans. Lusitan pouvait au moins se rassurer d’une chose : son fils ferait un bon souverain quand son tour viendrait, il en était convaincu. Mais son tour devrait attendre, car Lusitan ne comptait pas se laisser abattre si facilement. La garnison de Ceatobria était en état d’alerte constante et il ne lésinerait pas sur les moyens tant que ce maudit assassin n’aurait pas été retrouvé.

Lusitan était certain qu’il avait survécu à sa chute dans la mer des Oublis. Il ne pouvait l’expliquer, c’était simplement un fait, comme savoir que le soleil se lèverait inexorablement à l’aube.

Les derniers rapports corroboraient son sentiment. Un homme utilisant la magie avait été aperçu à Drachima. Il ne pouvait s’agir que de lui, l’assassin.

La cicatrice parcourant son visage lui rappela sa présence à l’aide d’une vague de douleur. Il porta sa main à la blessure pourtant cicatrisée. Ses médecins ne comprenaient pas la souffrance qu’il ressentait encore, la plaie aurait dû être indolore, pourtant, c’était comme si la lame du cimeterre ne l’avait jamais quitté et mordait constamment sa chair.

L’assassin n’en était pas à son premier essai, c’était limpide, mais il avait hésité en voyant Caspian. Un assassin avec une conscience, il aura décidément tout vu ! Mais il n’était pas dupe, il savait que d’autres seraient envoyés pour le tuer. Quiconque se cachait derrière cette machination avait les moyens de l’atteindre.

Après tout, l’assassin avait infiltré son équipage sans que personne ne s’en rende compte. Le Mysterium avait fait interroger l’équipage, mais aucun matelot ne savait vraiment d’où venait cet homme.

Le seul indice dont disposait Lusitan, c’était le souvenir de son visage, de son crâne chauve marqué de la forme qu’il dessinait sans cesse. Le sol de la chambre en était couvert. Il avait aussi fait déplacer une quantité importante des archives dans ses appartements, au grand désarroi de l’Archiviste qui en avait fait toute une scène. Lusitan avait cherché un indice dans les registres du royaume, dans l’espoir de trouver une trace d’un fait similaire, peut-être même un nom… mais rien.

Lusitan savait que l’assassin était proche. La garde royale avait fini par lui mettre la main dessus en plein dans la ville ! Mais il s’était échappé et le Mysterium ne lui avait pas donné plus de détails sur les faits. Le Haut Mysteriarch ne lui faisait plus confiance et l’incitait à mettre fin aux recherches. C’était le rôle du Mysterium d’arrêter les criminels, pas celui du roi, lui avait-on dit !

Une brise d’air frais lui donna des frissons. Il se leva pour aller fermer la fenêtre encore grande ouverte.

Le roi se figea. Un homme se trouvait devant la fenêtre, le soleil derrière lui cachant les détails de son visage dans l’ombre. Il fit un pas en avant et le roi le reconnut.

— Vous êtes de retour pour finir le travail ? demanda-t-il calmement.

Le roi s’était préparé à cette éventualité. Il sortit discrètement une lame cachée dans la manche de sa chemise. Une épée reposait aussi sur le bord de son bureau. Il ne put s’empêcher d’y jeter un œil, par réflexe.

— Je ne ferais pas ça si j’étais vous, menaça l’assassin. Je ne suis pas venu pour vous tuer. Je veux des réponses.

— Des réponses ? Si quelqu’un doit des réponses, c’est plutôt vous !

— Ceux qui sont après vous en ont aussi après moi. Je… j’ai perdu la mémoire.

Puis l’assassin lui montra la longue cicatrice entourée de cheveux blancs sur le flanc de son crâne.

— C’est la blessure que vous m’avez faite.

— Si j’avais pu, je vous aurais coupé la tête.

— Croyez-moi, j’en serais aussi ravi. Ces choses que j’ai faites…

— Les meurtres vous voulez dire ?

— Oui. Ce n’était pas de ma propre volonté. Quelqu’un de puissant se cache derrière ce complot, vous devez me croire.

Le roi évalua la situation. Si l’assassin voulait vraiment le tuer, il en aurait eu l’occasion quand il avait le dos tourné. Et s’il disait vrai, c’était le meilleur allié qu’il puisse avoir pour déjouer les machinations qui le visait.

— Vous étiez ma seule piste, dit le roi. Est-ce vrai que vous êtes un mage ?

L’assassin baissa la tête, observant les paumes de ses mains.

— Oui… je crois. Je peux utiliser la magie, mais je ne sais pas comment c’est possible.

— Les mages sont censés être morts.

— Oui, je le sais. Il y en a d’autres comme moi. En tout cas, il y en avait au moins un autre, un assassin lui aussi.

Le roi en eut des sueurs froides. S’il disait vrai, cet assassin allait changer toutes les croyances des derniers siècles.

— Où est-il ?

— Il est mort. Je… je n’ai pas eu le choix, il était venu pour me tuer.

Nom d’un saint, jura le roi intérieurement, il semblait que chaque indice était sans issue.

— Peut-on en conclure qu’il y en a d’autres ?

— Je ne sais pas. Je me souviens seulement qu’il y a un homme qui nous dirigeait. Il nous a entrainés, formé à l’art du combat et de la magie.

— Un autre mage donc ?

— Possible.

— Y a-t-il autre chose dont vous vous souvenez ?

— J’ai découvert un nom. Léon de Tassigny, c’était l’identité sous laquelle j’étais connu. Une fausse identité.

— Léon de Tassigny… je… oui ! je crois me rappeler ce nom.

Lusitan se mit à chercher parmi les piles de livres couvrant le sol de la chambre. Il mit la main sur une archive des bals ayant eu lieu au sein de la citadelle et l’ouvrit.

— Là ! Voilà, je savais que ce nom me disait quelque chose.

L’assassin s’approcha pour examiner la liste. Il le laissa faire. Son regard avait changé depuis la dernière fois. Lorsqu’il l’avait fixé sur le bateau, il y avait vu une menace. Cette fois, son regard semblait plus distant, comme éteint.

— Vous voyez, Léon de Tassigny, il a… vous avez participé au bal de printemps il y a dix ans… mais… je m’en rappelle, c’est la nuit précédente l’assassinat de l’ambassadeur d’Urraca alors qu’il visitait Ceatobria… Il était lui-même au bal, j’ai passé une bonne partie de la soirée à négocier un traité d’échange avec lui. Ce meurtre est responsable de la guerre qui a suivi, sans cela nous aurions pu l’éviter…

— Ce n’est pas une coïncidence. Je… je ne me souviens pas de cette soirée ou même de cet homme, mais je suis convaincu que l’assassinat à quelque chose à voir avec moi.

— Si c’est le cas, nous devons découvrir qui…

La lumière du soleil se refléta sur une surface brillante dans la tour opposée. Le roi se concentra pour voir de quoi il s’agissait. Une seconde plus tard, la pointe d’une flèche vint le percuter en plein cœur. La douleur le submergea, le gout du sang emplit sa bouche. Dans une quinte de toux, il cracha une glaire sanglante. Léon de Tassigny vint à son aide, supportant son corps pour l’allonger délicatement au sol, comme le ferait une mère avec son enfant. Celui qui avait tenté de l’assassiner était maintenant au-dessus de lui, examinant la flèche dans sa poitrine. Il lui dit des mots pour le rassurer, que tout irait bien, qu’il trouverait le responsable. Le roi voulut le croire, puis un voile noir couvrit ses yeux. Le roi était mort.

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