VII
Trois longues semaines se sont écoulées. J’ai enfin reçu mon joujou samedi et passé mon weekend à le faire fonctionner chez moi.
Pas si simple. Il faut connecter l'ampoule à un réseau wifi de bonne qualité. Chez moi, ça va, c'est tout petit. Mais celui de la piscine sera-t-il accessible et le routeur assez proche ?
Sinon, c’est stupéfiant et décevant à la fois pour l’esthète que je suis.
La définition des images est excellente et le pilotage par l’application téléphonique bien conçu, mais l’objectif fisheye déforme bien entendu toutes les lignes droites et il faudrait projeter les prises de vue sur un écran circulaire pour retrouver les angles.
J’ai un peu peur du résultat sur mes sujets.
Et là, pas d’objectif interchangeable. Je me suis peut-être emballé.
Je m’aperçois que je raisonne encore en photographe et pas en voyeur. Cela me rassure un peu.
J’ai préparé mon sac de piscine. Il y a dedans un objet supplémentaire, enveloppé dans ma serviette.
Je crois que c’est la première fois que je m’apprête à commettre un acte illicite, à part peut-être un larcin ou deux de bonbons quand j’étais gosse, et je n’en mène pas large !
C’est lundi, jour de relative affluence.
Je passe le comptoir d’entrée, montre ma carte d’abonnement, passe le pédiluve, avant d’accéder à la cabine 213 dont j’ai la clé attachée à un bracelet plastique autour du poignet.
Je suis dans les premiers. Au second niveau de la coursive, il y a peu de chances que l’on voie ma tête émerger par-dessus la porte de la cabine quand je vais changer l’ampoule.
La chance est de mon côté. Personne en vue. Je rentre et grimpe aussitôt sur le banc. Trois écrous seulement retiennent la grille de protection et le hublot en verre.
Je dévisse les molettes, retire la grille, ôte le hublot, dévisse l’ampoule et la remplace par celle que j’ai apportée. Je teste l’éclairage. Ça marche. Je replace la grille et revisse les écrous. Voilà, c’est fait. L’illusion est suffisante.
Ouf !
Je connecte mon téléphone au réseau wifi de l'espace détente, partage la connexion et lance l'application. Merde ! Cette ampoule parle ! Heureusement, je peux couper le son. Activer le mode photo, régler l'intervalle de prise de vues.
Enfin, miracle de la technique, je reçois sur mon téléphone, un cliché de moi, appareil en main. Ça marche !
Une fois en maillot, je peux passer à la douche avant de parcourir mes longueurs habituelles pour évacuer le surplus d’adrénaline causé par ces quelques minutes hors-la-loi.
J’ai bien conscience que la suite relève surtout du hasard. Combien de chances y a-t-il qu’une femme se voie attribuer cette cabine sur les plus de deux cents que compte le complexe ?
Je me prépare sans doute plus de déconvenues que d’heureuses surprises.
Mais les dés en sont jetés.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, novembre 2022.
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