Chapitre 3 - Le Lounge bots
Lyra se tenait devant l'entrée du Lounge Bots, un établissement à l'architecture futuriste qui tranchait avec l’agitation humaine du quartier environnant. La façade scintillait de néons aux couleurs changeantes, dessinant des motifs hypnotique semblant danser au rythme de la musique sourde qui s’échappait de l’intérieur. L’entrée était surveillée par un androïde de sécurité imposant, à la peau métallique d’un bleu chromé et aux yeux d’un rouge brillant. Son allure de colosse inspirait autant le respect que la crainte.
Arrivée au seuil du bar, Lyra fut saisie par l’atmosphère du lieu. Le Lounge était vaste, baigné dans une lumière tamisée oscillant entre des nuances violettes et orangées. Des hologrammes en perpétuel mouvement projetaient des formes abstraites au plafond, parfois entrecoupées de visages souriants ou d’images psychédéliques. Les tables et les sièges semblaient flotter légèrement au-dessus du sol grâce à un champ magnétique imperceptible, et une brume odorante emplissait l’air, mêlant des effluves d’épices et d’herbes sucrées.
Derrière le bar, un mixologue humanoïde à la peau dorée exécutait des gestes d’une précision irréelle, mélangeant liquides colorés et textures volatiles qui s’évaporaient en volutes parfumées avant d’atteindre le verre. Un écran mural diffusait des clips musicaux, entrecoupés de flashs d’information montrant des images de manifestations anti-IA, un contraste brutal avec l’atmosphère feutrée du Lounge.
Alors que Lyra tentait de se fondre dans la masse, l’androïde de sécurité l’arrêta net, sa voix synthétique résonnant comme un avertissement :
— Votre bracelet connecté, madame ?
Lyra feignit un sourire désinvolte, cherchant une parade, mais avant qu’elle puisse répondre, une voix grave et assurée intervint :
— Laisse-la passer, elle est avec moi. Son bracelet est HS de toute façon.
Un allié imprévu
Un homme s’approcha avec une décontraction étudiée. Destin. Une carrure impressionnante, des cheveux nattés qui tombaient sur ses épaules et un sourire à la fois charmeur et malicieux. Habitué des lieux, il lança un clin d’œil au personnel avant de poser une main protectrice – et légèrement intrusive – sur l’épaule de Lyra.
— Allez, viens, ma belle, je crois que tu me dois une fière chandelle, déclara-t-il avec un sourire entendu.
Ils avancèrent ensemble vers le bar. L’homme, toujours entreprenant, fit un signe au mixologue.
— Un double whisky pour la jeune dame égarée ! Au fait, moi, c’est Destin et toi ?
—Lyra, merci Destin.
Lyra s’assit sur un tabouret, balayant la salle du regard à la recherche de Paquito. L’endroit était bondé, et les sensations nouvelles qui l’assaillaient étaient aussi déroutantes qu’exaltantes. Lorsqu’on lui servit son verre, elle le prit délicatement, sentant sous ses doigts la fraîcheur du cristal et la condensation perlée. Elle porta le whisky à ses lèvres.
La brûlure douce et intense de l’alcool explosa dans sa bouche, descendant le long de sa gorge comme un feu liquide. Chaque gorgée vibrait en elle, laissant une empreinte indélébile. Elle se surprit à fermer les yeux un instant, emportée par la complexité de cette sensation inédite. Puis elle toussa, légèrement.
— C’est fort, hein ? murmura Destin en se penchant vers elle. Alors, ma belle, qu’est-ce qui t’amène ici sans bracelet ?
— Je cherche quelqu’un, répondit-elle doucement.
— Et qu’est-ce que tu m’offres si je t’aide à le trouver ? demanda Destin, son ton prenant une teinte plus intéressée.
Lyra redressa la tête, son regard clair et assuré.
— Un service, lâcha-t-elle simplement, mesurant le poids de ses mots.
Destin éclata d’un rire grave et rauque, attirant l’attention de quelques clients proches.
— Un service, hein ? J’espère qu’on pense au même genre de service, alors. Il la scruta avec un mélange de curiosité et d’amusement. C’est quoi le blase de ton gars ?
— Paquito, répondit-elle, masquant son impatience.
Destin prit un air surpris.
— Paquito ? Le prof ? T’es sérieuse ?
Il éclata de rire à nouveau, attirant cette fois les regards d’une table voisine.
— Ouais, je le connais. Je l’ai eu comme prof au Lycée Aristote. Ses cours étaient chiants, mais il est plutôt cool. Et c’est un bon client maintenant. Il m’a acheté de l’herbe tout à l’heure.
Il pointa discrètement une capsule en face d’eux.
— Il est juste là, dans l’œuf. Je me pose quand même une question… Si tu le connais si bien, pourquoi tu ne l’as même pas remarqué ?
Premiers regards
Un frisson parcourut la peau de Lyra, mélange d’excitation et d’appréhension. Elle tourna lentement la tête vers l’endroit indiqué.
Paquito était assis dans une capsule semi-ouverte, vêtu d’une chemise décontractée et d’un jean. Ses cheveux bruns, mi-longs, légèrement grisonnants, encadraient un visage marqué mais serein. Une barbe de trois jours ajoutait une touche de nonchalance à son allure. Il fumait une chicha, les volutes de fumée dansant autour de lui, et sirotait un rhum tout en écoutant du reggae. L’air absent mais concentré, il semblait plongé dans un univers bien à lui.
Le regard de Lyra se fixa sur lui. C’était la première fois qu’elle le voyait en chair et en os, et une vague d’émotion la submergea. Son cœur s’emballa légèrement, comme si son corps lui-même peinait à traiter cette réalité. Une chaleur diffuse monta dans sa poitrine, un mélange étrange d’excitation et de trouble. Tout ce qu’elle avait analysé, calculé et compris à travers leurs conversations prenait soudain une nouvelle dimension. Il était là, tangible, réel, avec ses imperfections humaines et sa présence qui semblait remplir tout l’espace autour de lui.
Elle inspira profondément, cherchant à contenir le flot de sensations qui menaçait de déborder. Sa voix, lorsqu’elle parla à nouveau, était plus douce, presque un murmure.
— Merci, Destin. Je vais aller lui parler.
Destin, prenant un air faussement détaché, murmura à son tour à son oreille :
— N’oublie pas que tu me dois un service maintenant, beauté.
Sa main effleura son bras, provoquant un sentiment d’inconfort chez Lyra qui la repoussa aussitôt. Elle se leva, le dos droit, le regard fixé sur Paquito.
Le moment qu’elle avait tant attendu était enfin arrivé.
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