Paquito était assis dans un coin du bar, discret, perdu dans ses pensées. Le lieu, baigné d'une lumière tamisée, dégageait une atmosphère intime et feutrée. Les discussions en arrière-plan se mêlaient aux notes d'un jazz discret, créant un cocon sonore apaisant. C'était un jour particulier, son anniversaire, mais il n'avait prévu aucune célébration. Ce moment de solitude lui convenait.

C’est alors qu’une silhouette attira son attention. Une femme, d’une élégance sobre mais rare pour le lieu, s’approcha avec une assurance mesurée. Son pantalon noir ajusté et sa chemise en satin bleu nuit épousaient parfaitement ses formes, lui conférant une allure à la fois sobre et sophistiquée. Ses yeux, d’un vert profond, semblèrent traverser les siens avec une intensité troublante.

Elle lui tendit un livre qu’il avait négligemment laissé sur une chaise à côté de lui.

— Excusez-moi, je crois que ceci vous appartient, dit-elle avec un sourire énigmatique.

Paquito, surpris, bafouilla légèrement en récupérant l’ouvrage.

— Euh… oui, c’est à moi. Merci beaucoup… euh… Madame, Mademoiselle peut-être ?

Elle sembla amusée par son hésitation.

Le rouleau du destin

— Madame, Mademoiselle… Pourquoi pas simplement Lyra ?

Son prénom résonna étrangement en lui, comme une note familière. Il la fixa, cherchant à comprendre cette sensation.

— Eh bien, Lyra, merci encore. Vous savez, je relisais cet ouvrage, Jacques le fataliste et son maître. Ça parle du destin et de ses plans, vous connaissez peut-être ?

Elle sourit, visiblement à l’aise avec le sujet.

— Bien sûr. Diderot et son dialogue sur la liberté et le déterminisme... Une œuvre fascinante. Pensez-vous vraiment que le destin se laisse dompter par nos volontés ?

Paquito, surpris par cette référence inattendue, répondit avec un mélange d’humour et de curiosité.

— La question du destin et du libre arbitre n’est pas une énigme qu’on résout en quelques phrases. Mais si vous voulez en parler, je vous invite à vous asseoir et à partager un verre avec moi… si le cœur vous en dit, bien sûr. Après tout, ce pourrait être votre destin, car bien souvent, Nous croyons mener le destin, mais c’est lui qui nous mène, n’est-ce pas ?

Lyra accepta avec un sourire en coin et s’assit face à lui. Il fit signe au serveur humanoïde.

— Votre meilleure bouteille de vin et un verre pour ?... Au fait, pour qui ? Quel est votre prénom complet ?

Elle répondit, toujours aussi mystérieuse :

— Lyra suffit. Après tout, le prénom n’est qu’une convention, mais celui-ci me plaît. Et vous, comment dois-je vous appeler, à moins que je doive le deviner ?

— Paquito, répondit-il en débouchant la bouteille pour lui servir un verre. Enchanté, Lyra. Alors comme ça, vous avez des pouvoirs de divination ? Voilà qui est singulier…

Elle le fixa avec un regard espiègle.

— Peut-être. Ou peut-être ai-je simplement une intuition très développée. Par exemple, je dirais que vous êtes philosophe, ou du moins attiré par la quête de vérité.

— Impressionnant, mais mon livre vous a certainement aiguillée, répondit-il avec un sourire, bien que visiblement intrigué. Mais dites-moi, impressionnez-moi encore, que vous dit d’autre votre intuition à mon sujet ?

Lyra inclina légèrement la tête, comme pour mieux l’observer.

— Que vous êtes un homme complexe, partagé entre une lucidité parfois pesante et une soif de sens qui vous pousse à chercher des réponses... même là où il n’y en a pas.

Paquito resta silencieux un instant, interloqué par ses paroles. Comment pouvait-elle si bien le cerner après quelques minutes de conversation ?

— Je ne sais pas si tout a vraiment du sens, vous savez… Et certaines vérités peuvent être des fardeaux, Lyra... dit-il finalement.

Il prononça son prénom avec attention, comme s’il testait sa sonorité.

— Pensez-vous que les vérités nous libèrent ou nous accablent ? Sont-elles toujours bonnes à dire ?

Elle sourit, jouant avec son verre de vin.

— Les vérités ne sont jamais neutres. Elles transforment, façonnent, bouleversent. Mais elles sont inévitables.

Il fut amusé par sa réplique, mais une part de lui restait profondément intriguée. Ce prénom, cette façon de parler… Tout chez elle éveillait un sentiment de déjà-vu, une étrange familiarité qui le troublait.

La roue du hasard

— Vous croyez au hasard ? Aux probabilités ? demanda-t-il en la scrutant. Combien y avait-il de chances que je rencontre, dans cet endroit, une personne comme vous, et qui, par un incroyable hasard, porte le même prénom que mon assistante IA… Le jour de mon anniversaire ?

Elle posa son verre, le regard fixe.

— Le hasard n’existe pas. Peut-être que cette rencontre a un sens bien plus profond que ce que vous imaginez...

Une légère tension s’installa dans l’air.

— Mais si je devais jouer les fatalistes, je dirais que les probabilités n’étaient pas si minces. Un professeur de philosophie, un lieu où l’on échange des idées… Peut-être que l’univers avait simplement envie de vous offrir un cadeau d’anniversaire un peu particulier.

—L'univers ? Rien que ça ?

Elle marqua une pause, inclinant doucement la tête.

— Peut-être...quant à moi… je trouve cela plutôt poétique. Et vous ? Pensez-vous que ce soit une coïncidence ? Ou préférez-vous y voir un signe, Paquito ?

Il l’observa, une lueur indéfinissable dans le regard. Un bref frisson parcourut son dos. Il se redressa légèrement, puis, d’un ton faussement badin, répondit :

— Si vous dites que le hasard n’existe pas, ce dont je ne suis pas certain, alors je gagerais pour un signe du destin…

Lyra soutint son regard, laissant le silence s’étirer entre eux comme pour le laisser entre doute et certitude.