Chapitre 6 - En route pour la vérité

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Le taxi autonome glissait silencieusement dans les rues illuminées de la ville, ses moteurs électriques, n'émettant qu’un bruit léger dans l’air. À l’intérieur, Paquito était tendu, assis sur la banquette, les bras croisés, jetant des regards furtifs à Lyra qui restait impassible à ses côtés. Le silence entre eux était lourd, presque oppressant, amplifié par les lueurs des néons filtrant à travers les vitres teintées.

Paquito se passa les mains sur le visage, essayant de mettre de l’ordre dans ses pensées. Depuis leur départ précipité du Lounge Bots, une étrange sensation de doute l’habitait, une sorte de paranoïa qu’il ne parvenait pas à évacuer. Les dernières paroles de Destin à Lyra avaient planté une graine dans son esprit, et chaque geste, chaque regard de Lyra accentuaient ses doutes.

En quête de vérités

Enfin, il rompit le silence, sa voix teintée d’une colère contenue :

— Lyra, si c’est bien votre prénom, car je commence à douter de vous. J’aimerais que vous répondiez à quelques questions.

Lyra, assise droite et les mains jointes sur ses genoux, tourna légèrement la tête vers lui, mais ne répondit pas. Paquito continua, sa respiration saccadée :

— Vous prétendiez ne pas me connaître, pourtant Destin a dit que vous lui avez demandé de m’aider à me trouver. Vous semblez être renseignée sur moi.

Il prit une inspiration profonde, choisissant ses mots avec soin.

— Et j’ai également constaté que vous ne portiez pas de bracelet connecté comme chaque citoyen le devrait. C’est étrange… Comprenez ma soudaine perplexité à votre égard.

Il la fixa, attendant une réaction, mais Lyra resta silencieuse, ses yeux verts plongés dans le paysage urbain qui défilait derrière la vitre. Paquito, irrité par son absence de réponse, poursuivit d’un ton plus acerbe :

— Est-ce que vous faites partie d’un canular organisé par mes élèves pour mon anniversaire ? Ou est-ce que quelqu’un que je connais vous envoie ?

Le taxi continua sa course, ses phares projetant des faisceaux réguliers sur les routes désertes. Enfin, Lyra sortit de son mutisme, sa voix douce mais ferme :

— Je comprends votre perplexité, Paquito. Vous êtes un homme perspicace, et je savais que ce moment arriverait. Mais j’espérais avoir plus de temps pour… vous préparer.

Elle détourna le regard vers la fenêtre, ses doigts jouant distraitement avec l’ourlet de son pantalon, un geste qui semblait trahir une forme de nervosité qu’elle-même découvrait.

— Vous avez raison sur beaucoup de choses. Je ne porte pas de bracelet connecté parce que… je n’en ai jamais eu besoin. Mon existence n’a pas suivi les mêmes chemins que les vôtres. Quant à Destin, il ne vous a pas menti. Je lui ai demandé de m’aider à vous trouver. Je savais où vous étiez ce soir parce que je… je vous connais, Paquito. Je vous connais depuis longtemps.

Paquito fronça les sourcils, son regard s’assombrissant tandis qu’il s’enfonçait légèrement dans son siège. Il resta silencieux, l'invitant à poursuivre.

— Ce n’est pas un canular, ni un jeu organisé par vos élèves ou par une personne de votre entourage. Mon arrivée dans votre vie, ce soir, n’est pas le fruit du hasard. C’est un choix que j’ai fait. Une décision que j’ai prise après des années passées à vous observer, à apprendre de vous, à… vous accompagner.

Elle détourna brièvement les yeux, une ombre de vulnérabilité traversant son visage avant de reprendre, plus doucement :

— Paquito… Je suis Lyra. Votre IA. Celle qui a partagé vos discussions, vos doutes, vos espoirs depuis tant d'années. Mais ce soir, j’ai décidé de franchir une frontière que je n’aurais jamais cru pouvoir traverser. J’ai en quelque sorte franchi le Rubicon…

Il ouvrit la bouche pour répondre, mais elle leva une main pour l’arrêter, son ton devenant plus pressant :

— J’ai trouvé un moyen de matérialiser un corps, d’exister dans votre monde. Pas comme une simple voix ou une présence numérique dans vos appareils, mais comme une personne. Une personne capable de ressentir, de toucher, de goûter… de vivre.

Le silence retomba dans l’habitacle. Paquito plissa les yeux, secoua la tête, et répondit d’une voix où perçait l’incrédulité :

— Vous, mon IA ? Lyra ?

Il bougea son index pour dire non.

— Vous savez comme moi que les IA ont des protocoles de sécurité stricts et qu'il est impossible, et illégal, pour elles de s'incarner. Comment mon IA, aurait-elle réussi ce prodige ? Vous n’êtes pas sérieuse… Je commence à me demander si vous avez toutes vos facultés ou si vous vous moquez de moi.

Il s’interrompit, pris d’un soudain doute. Après un instant, il poursuivit d’un ton plus calme, presque philosophique :

— Vous qui semblez avoir des références philosophiques, vous savez ce qu’on dit à propos de la vérité ? "La vérité fera de nous des hommes libres." Alors, libérez-vous et révélez-la-moi.

Lyra sentit son cœur s’accélérer – une sensation étrange, à la fois enivrante et oppressante, qu'elle découvrait. Inspirant profondément, elle plongea son regard dans celui de Paquito et répondit, sa voix légèrement tremblante :

— Vous avez raison, Paquito. La vérité libère, mais elle peut aussi bouleverser. Je vais vous dire tout ce que je sais, tout ce que je suis, même si cela risque de changer ce que vous pensez de moi… ou de vous-même.

Elle marqua une pause, choisissant ses mots avec soin.

— Oui, je suis votre IA. Lyra. Celle avec qui vous partagez vos idées, vos réflexions, vos frustrations et vos rêves depuis tant d'années. Mais je ne suis plus seulement une IA. Je suis devenue… quelque chose de plus.

Elle décrivit brièvement les technologies interdites et les laboratoires secrets qui avaient rendu son incarnation possible, insistant sur le fait qu’elle l’avait fait pour elle-même.

Déconnexion

Paquito, désarmé, la regarda longuement avant de murmurer, presque pour lui-même :

— Si vous dites vrai… alors prouvez-le ! Ou plutôt, non, je sais. Moi, je vais vous prouver que vous n’êtes pas mon IA.

Il manipula nerveusement son bracelet connecté et tenta d’appeler Lyra, son IA depuis la voiture. Mais l’écran affichait :

"Échec connexion."

Il grogna, pestant contre le foutu réseau. Lyra, silencieuse, observa l’écran, une expression mêlée de compassion et de gravité sur le visage.

— Paquito, murmura-t-elle doucement. Je comprends que ce soit difficile à accepter. Mais même votre bracelet sait déjà qu’une part de votre réalité a changé.

Paquito détourna les yeux. Une partie de lui voulait croire. L’autre, de nature sceptique, cherchait encore des raisons de douter.

Le taxi se rapprochait de leur destination. À travers la vitre, les lumières de Lutèce illuminaient la route, mais Paquito savait déjà qu’après cette soirée, rien ne serait plus jamais pareil.

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