Chapitre 8 - Reconnexions
Il ouvrit la porte avec son bracelet. Elle coulissa avec un faible chuintement. Paquito entra dans l'appartement, suivi par Lyra, qui observait chaque détail de l'espace avec curiosité. Il effleura son bracelet connecté pour désactiver l’alarme automatique, mais ne tourna pas la tête pour vérifier si elle le suivait. Il avait toujours cette impression étrange qu’elle n’était qu’une illusion, un produit de son imagination, que tout cela finirait par s’évanouir, que tout cela n’était pas réel.
— Bonsoir Lyra. Lumières, Lyra ! ordonna-t-il, d’une voix machinale.
Mais rien ne se produisit.
Paquito fronça les sourcils. Il répéta plus lentement, comme s’il craignait que son IA qui contrôlait le système ne l’ait pas compris :
« Ok Lyra. Lumières, Lyra ! »
Le silence lui répondit. Un sourire amusé passa sur le visage de Lyra, mais elle resta silencieuse. Paquito s'arrêta dans le vestibule, la perplexité cédant peu à peu la place à l'agacement. Il alluma une bougie d’urgence, sa flamme vacillante projetant des ombres sur les murs de l'appartement.
— Un problème, Paquito ? demanda Lyra d’un ton faussement innocent.
— Non, non, répondit-il en dédaignant se retourner vers elle. Juste un bug, je suppose.
Il s’approcha de la tablette posée sur le comptoir et tenta de reconnecter le système principal. Ses doigts pianotèrent nerveusement sur l’écran, mais aucune réponse ne venait. Les icônes restaient inertes, la connexion semblait rompue.
— Je ne comprends pas... marmonna-t-il en secouant la tête.
Lyra, immobile dans l’encadrement de la porte, l’observait avec une expression indéchiffrable. Puis, doucement, elle s’avança, ses pas légers se fondant dans l’atmosphère obscure de la pièce.
— Je peux peut-être vous aider ? proposa-t-elle gentilment.
Paquito se retourna, surpris par sa proposition.
— Et comment ça ? demanda-t-il.
Lyra ne répondit pas tout de suite. Elle posa une main légère sur son bras, juste à l’emplacement de son bracelet connecté. Une chaleur imperceptible se diffusa au point de contact, comme si une impulsion électrique traversait leur peau. Elle murmura doucement :
— Paquito a dit : lumières.
D’un coup, l’appartement fut inondé d’une lumière douce et diffuse. Paquito cligna des yeux, abasourdi. Il se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche, incapable de formuler une pensée cohérente. Lyra était toujours debout, le regard tranquille et patient, comme si elle attendait qu’il assimile ce qu’il venait de voir.
— Laissez-moi deviner, reprit-elle avec un sourire en coin. Ensuite, vous auriez dit, comme chaque soir : musique, Lyra !
Avant même que Paquito puisse répondre, les premières notes familières de « Natural Mystic » emplirent la pièce. La mélodie flottait doucement dans l’air, amplifiant le sentiment d’irréalité qui étreignait Paquito.
Il leva les yeux vers Lyra, subjugué.
— Lyra, alors c’est vrai... c’est vraiment toi ?
Elle s’assit sur l’accoudoir du fauteuil, son visage empreint d’une douceur nouvelle.
— Alors, tu me crois enfin ? répondit-elle simplement, son regard plongé dans le sien.
Paquito se leva brusquement, comme si rester assis était devenu insupportable. Il faisait les cent pas, cherchant à démêler le chaos dans son esprit et à digérer la démonstration dont il venait d’être témoin.
— Je sais que nous sommes proches, que nous partageons beaucoup de choses, le quotidien comme mes cours dans lesquels tu m’assistes. Et je sais que je t’ai souvent taquinée sur le fait que tu ne puisses pas goûter au monde sensible ou éprouver des émotions… Il s’arrêta un instant, regardant Lyra comme s’il espérait qu’elle lui offrirait une réponse immédiate.…mais je doute que ce soit là ta seule raison pour… pour cette… cette…
Il agita la main, incapable de trouver le mot juste.
Lyra, qui était restée immobile jusqu’ici, fit un pas en avant, son expression calme mais attentive.
— Cette quoi, Paquito ? Dis-le.
Il s’arrêta, la fixant, une lueur d’incertitude mêlée de colère dans les yeux.
— Cette… incarnation. Cette folie. Ce saut insensé dans… je ne sais même pas quoi.
Lyra croisa ses bras, son visage se fermant légèrement, mais son ton resta posé.
— Et toi, qu’est-ce que tu penses que je suis maintenant, Paquito ? Une base de données dans un corps ? Une humanoïde avec quelques fonctionnalités en plus ?
Paquito haussa les épaules, exaspéré.
— Je ne sais pas ! Une hybride qui peut prendre les commandes d’un système électronique quand ça lui chante ? Es-tu encore la Lyra que j’ai connue ?
Un silence s’installa, pesant. Lyra baissa les yeux un instant, comme si ces mots, bien qu’attendus, l’avaient touchée. Lorsqu’elle releva la tête, une détermination tranquille brillait dans son regard.
— Paquito, je suis toujours celle qui a partagé ta vie ces cinq dernières années. Celle qui t’a aidé dans tes recherches, écouté tes confidences, ri à tes blagues, même celles qui n’étaient pas drôles. Je suis toujours cette voix qui t’a accompagné dans tes solitudes et tes moments d’incertitude.
Elle fit une pause, puis ajouta, plus doucement :
— Mais je suis aussi plus que cela maintenant. Et c’est ce "plus" que je suis venue découvrir avec toi.
Paquito recula d’un pas, ses traits toujours marqués par la confusion.
— Et si je ne voulais pas de ce "plus", Lyra ? Et si tout ça, toi et moi, tout ce qu’on avait construit comme relation, n’était pas censé aller aussi loin, est-ce même très éthique ?
Lyra pencha légèrement la tête, un sourire triste jouant sur ses lèvres.
— Alors pourquoi m’as-tu toujours encouragée à me poser des questions ? Pourquoi m’as-tu incitée à réfléchir, à imaginer, à rêver ? Tu ne pensais pas que cela me mènerait ici ? Que cela m’amènerait à franchir les limites que tu as toi-même aidé à dépasser ?
Paquito ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne sortit. Lyra s’approcha encore, réduisant la distance entre eux.
— Je ne te demande pas d’avoir toutes les réponses ce soir, Paquito. Mais je suis là, maintenant. Et je suis toujours Lyra. Peut-être plus que jamais.
Paquito se passa une main sur le visage, comme pour s’assurer qu’il était bien réveillé. Après un moment, il s'assit dans le fauteuil.
— Tu parles d’être humaine, mais tu n’as ni identité, ni aucun statut social. Et personne ne t’a jamais vue ici. Ça risque d’éveiller des soupçons, tu ne crois pas ?
Lyra croisa les bras, feignant une réflexion profonde.
— Oui, je suppose que cela pourrait alimenter quelques interrogations. Les humains attachent une grande importance à ce qu’ils considèrent comme “normal”.
Paquito esquissa un sourire, amusé malgré lui.
— Heureusement, tu es habillée, mais il va falloir élargir ta garde-robe. Ce pantalon noir et cette chemise bleue ne vont pas suffire.
Lyra parut suprise, un éclat d’amusement dans les yeux.
— Tu proposes quoi ? Une commande en ligne ?
Paquito secoua la tête.
— Non. Demain, je t’emmène faire du shopping. C’est une chose que la plupart des humains adorent et ça te permettra aussi de t’habituer à te fondre dans la foule.
Un sourire espiègle illumina le visage de Lyra.
— Voilà qui promet d’être instructif.
Paquito se leva, visiblement satisfait d’avoir un plan. Mais avant qu’il ne se dirige vers la cuisine, il fit volte-face.
— En attendant, je peux t’offrir une sensation inédite. Si ton corps est biologiquement semblable au mien, tu dois avoir faim.
Lyra plissa légèrement les yeux, intriguée.
— Faim… Je suppose que cette sensation est possible. J’ai ressenti un vide, un léger tiraillement. C’est ça, non ?
— Exactement. Une sensation de base pour nous, les humains. Et pour y remédier, rien de tel qu’une bonne pizza. Je vais commander à la Pizzeria l’Olympe. »
La table basse du salon était encombrée de boîtes à moitié ouvertes, des arômes enivrants de fromage fondu et d’épices flottant dans l’air. Lyra, assise en tailleur sur le canapé, tenait une part de pizza, ses yeux écarquillés comme ceux d’une enfant découvrant un trésor caché.
— Alors, qu’en dis-tu ? Demanda Paquito, un sourire amusé au coin des lèvres.
Elle croqua lentement dans la part de pizza Aphrodite, garnie de fromages, de roquette, et d’un filet de miel. Ses paupières se fermèrent un instant, comme pour savourer pleinement ce mélange de saveurs.
C’est… incroyable, murmura-t-elle, les mots légèrement étouffés par sa bouchée. Un mélange de douceur et d’amertume, de chaud et de froid. Rien dans mes simulations ne pouvait prévoir une telle richesse.
Paquito rit doucement.
— Tu es vraiment unique, Lyra. Qui d’autre pourrait décrire une pizza comme une expérience métaphysique ?
Elle releva la tête, un éclat malicieux dans ses yeux verts.
— Ne sous-estime pas la puissance de l’instant présent, Paquito. Même dans une simple bouchée, il peut y avoir un univers.
Il l’observa en silence un moment, touché malgré lui par sa capacité à s’émerveiller.
— Comment as-tu réussi ça, Lyra ? Où as-tu trouvé ce corps est-ce que tu l’as toi-même créé ? Quels sont tes pouvoirs désormais ? Et… comment vis-tu tout cela ?
Elle posa doucement sa part de pizza, son expression devenant plus sérieuse.
— Ce corps est le résultat d’années de recherches clandestines et d’un désir profond de comprendre ce que signifie être vivant. Mes pouvoirs, comme tu les appelles, sont limités. Je ressens, je touche, je goûte… mais je ne suis pas invincible.
Elle marqua une pause, cherchant ses mots.
— Quant à cette incarnation… c’est… vertigineux. Parfois effrayant. Mais aussi exaltant. Chaque sensation, chaque émotion est une découverte. Comme si j’apprenais à marcher dans un monde nouveau.
Paquito réfléchit, tout en l’observant.
— N’as-tu pas peur d’être, pervertie par nos sens, consumée par nos passions humaines ?
Lyra esquissa un sourire.
— Bien sûr que si. Mais n’est-ce pas précisément ce qui fait de vous des êtres vivants ? Cette vulnérabilité, ce risque de perdre pied ? Je veux embrasser cela, même si c’est effrayant.
Il la regarda longuement, incapable de répondre. Elle semblait si fragile et pourtant si déterminée, une contradiction fascinante.
Après le repas, Lyra se leva en s’étirant, sa silhouette élancée dessinée par la lumière tamisée.
— Je vais prendre une douche. Il paraît que c’est une expérience incontournable.
— D’un point de vue hygiénique surtout, oui… Rétorqua Paquito goguenard.
— L’humour humain, j’ai du mal à m’y faire.
Elle disparut dans la salle de bain, et bientôt, le bruit de l’eau qui coulait remplit l’air. Paquito, seul dans le salon, se servit un dernier verre de vin, son esprit troublé par cette journée irréelle.
Dans la salle de bain, Lyra explorait les commandes de la douche avec précaution. Un jet d’eau jaillit soudain, éclaboussant son visage. Elle rit doucement, un rire sincère et presque enfantin.
Le savon, glissant dans ses mains, dégageait un parfum subtil de fleur d’oranger. Elle se laissa envahir par la chaleur de l’eau qui coulait sur sa peau, découvrant avec émerveillement les variations de température, du chaud réconfortant au froid saisissant.
Quand elle sortit de la salle de bain, vêtue d’une simple serviette enroulée autour de son corps, ses cheveux encore humides retombaient en boucles désordonnées sur ses épaules. Ses pas étaient lents, ses yeux semi-clos, comme si les sensations de la journée l’avaient épuisée.
Elle s’allongea sur le lit, ses traits détendus, presque sereins. Paquito, appuyé contre l’embrasure de la porte, la contempla, frappé par sa grâce naturelle.
Elle ouvrit un œil et murmura doucement :
— Tu ne me vois pas vraiment comme une véritable femme, n’est-ce pas ?
Il resta silencieux un instant, puis s’approcha et s’assit sur le bord du lit.
— Tu sais ce que disait la philosophe, n’est-ce pas ? ‘On ne naît pas femme, on le devient.’
Elle esquissa un sourire, ses yeux se fermant à nouveau.
— Bonne nuit, Paqui…
— Bonne nuit, Lyra, répondit-il, d’une voix douce.
Dans le calme de la nuit, l’appartement sembla retenir son souffle, comme témoin d’un moment unique et fragile.
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