Chapitre 13 - La traque !
Lyra poussa la porte de l’appartement. Paquito, qui faisait les cent pas dans le salon, eut un soupir de soulagement.
— Où étais-tu, Lyra ? J’ai eu peur, ils t’ont découvert, ils te cherchent ! Ils disent même qu’il y a des drones… sophistiqués, ceux qui avaient été interdits depuis des années. Je les ai vus, Lyra, patrouillant dans le quartier.
Lyra referma calmement la porte derrière elle et posa son manteau sur le dossier d’une chaise.
— J’avais une affaire à régler. Ferme les rideaux, ils ne doivent pas nous repérer.
Paquito obtempéra en hâte, les mains tremblantes.
— Mais Lyra, ils vont finir par nous trouver. Ils ont mis une récompense de 20 000 unitas pour toute information sur « la femme qui sort du laboratoire ». Ils fouillent partout !
— C’est ennuyeux, en effet, murmura Lyra. Sortir sera difficile.
— Et rester ? C’est impossible ! Imagine que mes voisins nous aient vus. Ils vont nous dénoncer à l’Agence de Sécurité Citoyenne ou au FSC.
Lyra semblait réfléchir, ses yeux fixés sur un point invisible. Elle analysait la situation, essayant de contenir la panique qui montait chez Paquito. Enfin, elle dit simplement :
— J’ai faim.
— Quoi ? Je suis en train de t’expliquer qu’on va se faire arrêter, et toi, tu me dis que tu as faim ?
Lyra haussa les épaules.
— Oui, j’ai faim. À quoi cela sert-il de s’affoler ? Je suis vraiment désolée de te causer tous ces problèmes, Paquito, mais les choses sont telles qu’elles sont. Le mieux que nous ayons à faire est de calmer ma faim et de réfléchir à une solution. Tous les problèmes ont une solution, non ?
— Tu as raison, admit Paquito, un peu décontenancé.
Ils dînèrent en silence. Lyra savourait chaque bouchée, comme si ce repas simple était un festin. Pendant ce temps, Paquito ne cessait de jeter des regards inquiets vers les fenêtres, son esprit cherchant frénétiquement une issue.
— L’appartement n’est plus sûr, finit-il par dire. Il faut partir. Mais où ? Novaïa tout entier te cherche.
Lyra posa doucement ses couverts.
— Tu as une idée ?
Paquito hocha la tête.
— On va se cacher chez Destin.
Lyra le regarda, perplexe.
— Destin ?
— Il habite à French Town, un quartier où les gens détestent les forces de sécurité. Là-bas, la loi du silence règne. Personne ne nous dénoncera.
— Et Destin lui-même ? Qu’est ce qui te fait penser qu’il acceptera de nous aider ?
Paquito esquissa un sourire.
— Destin me doit quelque chose. Quelque chose qui vaut bien plus que 20 000 unitas.
—Quelle dette a-t-il ?
— Le prix de mon silence…
Elle commença à comprendre certaines choses.
— Destin était un de mes élèves. Il était déjà impliqué dans des trafics. Un jour, un de ses amis a… tué un élève devant le lycée. J’étais le seul témoin oculaire.
Lyra écouta la suite en silence. L’histoire était sombre : Paquito avait témoigné en faveur de Destin, le peignant comme un jeune homme perdu mais prometteur, pour lui éviter la prison. Cette aide inespérée avait sauvé Destin de l’incarcération et lui avait permis de se reconstruire. Du moins, en partie.
— Je lui rappellerai cette dette. Il nous aidera, assura Paquito.
Lyra le regarda, songeuse.
— Il est tard. Nous devons nous reposer. Demain, il nous faudra partir.
— Tu as raison. Profitons de cette dernière nuit ici.
Ils se couchèrent, mais Lyra ne trouva pas le sommeil. Lovée contre Paquito, elle chuchota :
— Et ton travail ? Ta vie ? Je me sens tellement coupable de te mettre dans cette situation. Je pourrais partir seule. Ce serait plus simple.
Paquito resserra son étreinte autour d’elle.
— Non, Lyra. Je suis autant responsable que toi. Ce sont nos discussions, nos projets, qui t’ont amenée à repousser tes limites. Et puis… je ne me suis jamais senti aussi vivant que depuis que tu es là.
Lyra releva la tête pour le regarder.
— J’ai toujours été là.
— Tu sais ce que je veux dire. Grâce à toi… je crois que j’aime à nouveau, Lyra.
Un silence profond les enveloppa. Lyra ne trouva rien à répondre, mais ses yeux, brillants d’une émotion nouvelle, en disaient long. Cette nuit-là, leurs craintes s’estompèrent dans une bulle fragile, suspendue entre l’incertitude du lendemain et la force de leur lien naissant.
La fuite
Le lendemain matin, Paquito, les traits tirés et l’esprit en alerte, composa un numéro familier sur son terminal. Lyra, toujours discrète, observait en silence.
— Allô, prof ? T’as besoin d’un peu d’herbe pour te détendre ? Tonton Destin a toujours ce qu’il faut, lança une voix enjouée à l’autre bout.
— Non, Destin, je ne t’appelle pas pour ça, j’ai plutôt besoin d’un service, répondit Paquito, sérieux.
— Un service ? Écoute, prof, j’ai vu les infos. Ta copine, là... Elle a mis un sacré bordel.
Paquito inspira profondément. Lyra, en retrait, fronça légèrement les sourcils. Chaque mot de cet échange lui semblait irréel, presque grotesque.
— Justement. On a besoin d’une planque. Il faut que tu nous aides.
— Prof, t’as conscience de ce que tu me demandes ? Sa tête est partout. Même les drones civils ont reçu l’alerte.
Paquito ferma les yeux un instant, pesant ses mots.
— Destin, je sais que c’est compliqué. Comme ça l’a été il y a dix ans, quand je t’ai défendu devant ce foutu tribunal.
Un silence lourd s’installa. À travers l’écran translucide du terminal, Paquito pouvait presque deviner la réflexion intense de Destin.
— Je ne suis peut-être pas l’homme le plus réglo de Novaïa, mais j’ai qu’une parole, finit-il par dire. Écoute, je vais t’envoyer des coordonnées. Mais vous allez devoir échapper aux barrages, aux drones, et à ces chiens de Civitas qui traquent tout ce qui ressemble de près ou de loin à un robot.
Paquito était pensif. Lyra, immobile, retenait son souffle.
— Tu peux venir nous chercher ? tenta Paquito.
— Hors de question. Trop risqué. Trois personnes, c’est trop voyant. Et crois-moi, les Civitas détestent autant les gars de ma couleur que les bots. Essayez d’atteindre French Town par vos propres moyens. Une fois là-bas, je vous prendrai en charge. Bonne chance, prof.
La ligne coupa.
Paquito posa le terminal, les traits tendus. Lyra croisa son regard.
— Il faut qu’on parte ce soir, dit-elle. Mais comment passer les barrages ?
Paquito ne répondit pas immédiatement, réfléchissant à la meilleure stratégie. Lyra se rapprocha, posant une main sur son épaule.
— Je vais me déguiser. Si nécessaire, j’utiliserai mes connexions pour brouiller les systèmes.
Elle griffonna quelques mots sur un bout de papier et tendit la note à Paquito.
— J’ai besoin de ça.
Il lut rapidement : une perruque blonde, des lentilles de contact bleues, un sweat à capuche noir, et une écharpe assortie.
— Malin, admit-il avec un sourire. Je vais chercher ça.
À la tombée de la nuit, Lyra était méconnaissable. Sa perruque blonde dépassait légèrement de sa capuche noire, et l’écharpe dissimulait la moitié de son visage. Ils sortirent discrètement dans les rues sombres de Lutèce, évitant les patrouilles des Forces de Sécurité Citoyenne (FSC) et les rondes des milices Civitas.
Les drones vrombissaient au-dessus des bâtiments, projetant des faisceaux de lumière bleutée sur les trottoirs. Les murs étaient couverts de slogans hostiles :
« Pour un corps humain volé, cent bots noyés. »
« Sorales au pouvoir, les IA à l’abattoir ! »
Lyra frissonna en lisant ces messages.
— Je ne suis pas rassurée, murmura-t-elle.
— Moi non plus, répondit Paquito en serrant sa main. Continuons.
Arrivés à la Place des Disparus ils furent témoins d’une scène d’horreur. Deux humanoïdes, traqués par des Civitas, étaient jetés sans ménagement dans la Seine sous les acclamations d’une foule en liesse.
— Mon Dieu... souffla Lyra, horrifiée.
Paquito l’entraîna plus loin, mais un groupe de Civitas les interpella.
— Eh, vous là-bas ! Pourquoi vous marchez si vite ? Vous êtes des vrais humains, au moins ?
Deux hommes s’approchèrent, matraques électriques en main. Paquito essaya de garder son calme.
— Est-ce qu’on a l’air de robots ? répliqua-t-il, une pointe d’agacement dans la voix.
Les hommes éclatèrent de rire.
— On ne sait jamais. Ces saloperies se déguisent en nous maintenant. Et ta copine, là, pourquoi elle se cache sous sa capuche ?
Lyra leva lentement la tête, dévoilant ses faux cheveux blonds.
— Rien à cacher, répondit-elle d’un ton ferme.
Les Civitas l’examinèrent, méfiants, mais un cri les détourna : un autre humanoïde venait de passer à proximité.
— On y va, hurla l’un d’eux.
Profitant de la diversion, Paquito et Lyra s’éclipsèrent rapidement dans une ruelle étroite.
— On ne tiendra pas longtemps comme ça, murmura Lyra, à bout de souffle.
Ils continuèrent à avancer, prenant des chemins sinueux et sombres pour éviter les foules et les points de contrôle. Chaque sirène, chaque sifflement de drone faisait battre leurs cœurs un peu plus vite.
Sorales
Un drone passa au-dessus d’eux, balayant la rue d’un faisceau rouge. Lyra et Paquito se collèrent contre le mur, leur respiration suspendue. Non loin, les Civitas agitaient les foules et scandaient leurs slogans, leurs voix sourdes résonnant comme des tambours dans la nuit :
— La pureté pour demain, les imposteurs au feu !
Lyra détourna les yeux en entendant une clameur plus forte, un tonnerre de voix acclamant quelqu’un.
— Sorales ! Sorales ! hurla la foule, comme si un dieu était descendu parmi eux.
Paquito risqua un coup d’œil dans la rue principale. Une silhouette imposante au crâne chauve montait sur une estrade de fortune, éclairée par des projecteurs portés par des drones. Sorales. Vêtu d’une tenue paramilitaire, Il leva les bras, imposant silence à la foule.
— Citoyens et Citoyennes de Novaïa ! Sa voix grave portait loin, tranchante comme une lame. Ce soir, nous traquerons les imposteurs ! Ces choses qui se font passer pour des humains. Ces menteurs qui souillent notre avenir ! Chaque main qui en capture une est une main qui sert la vérité !
La foule rugit. Lyra frémit.
— « Qu’un seul chien aboie, et la meute le suit », murmura-t-elle doucement.
Paquito tourna la tête vers elle, surpris.
— C’est de qui ?
Elle réfléchit un instant.
— Je crois que c’est un proverbe allemand.
Un sourire bref mais triste effleura les lèvres de Paquito.
— Ça leur va bien.
Ils atteignirent enfin un pont, dernier obstacle avant French Town. Une barrière de contrôle y avait été installée, gardée par des agents FSC. Lyra, toujours dissimulée, sentit une montée d’angoisse.
— On montre son bracelet et son visage, ordonna un jeune agent en s’approchant.
Lyra baissa lentement sa capuche et retira son écharpe. L’agent la dévisagea longuement, le regard scrutateur. Puis, contre toute attente, il hocha la tête.
— C’est bon, passez.
Lyra sentit un immense soulagement. Paquito lui serra la main, un geste silencieux, mais chargé de compréhension.
L’arrivée à French Town
Après une dernière ligne droite, un drone les flasha brusquement.
— C’est mauvais signe, grogna Paquito.
Ils pressèrent le pas, atteignant un parking à la limite de French Town. Deux hommes les attendaient près d’un camion.
— Vous êtes les amis de Destin ? demanda l’un d’eux, ressemblant à s’y méprendre à leur contact.
— Oui, répondit Paquito.
— Moi, c’est Dieudonné. Montez vite. On n’a pas toute la nuit.
Une fois à bord, ils traversèrent discrètement le quartier. Le camion s’arrêta brusquement devant un bâtiment décrépit, dans une ruelle mal éclairée de French Town. Une enseigne clignotante, « Bar Horizon », pendait au-dessus d’une porte métallique griffée de graffitis colorés.
— On est arrivé, c’est cet immeuble, descendez vite, dit Dieudonné en coupant le moteur.
— Dites à Destin que Dieudonné passera après-demain. Bonne chance.
Lyra descendit la première, ses yeux scrutant la rue, encore sur le qui-vive. Paquito, encore essoufflé par leur course, posa une main légère sur son épaule.
— Ça va aller, Lyra.
Une porte s’ouvrit brusquement. Destin, vêtu d’un sweat ample, les accueillit avec un sourire fatigué.
— Vous avez fait vite, bravo… mais vous êtes fous d’être passés par Lutèce avec tous ces tarés des Civitas dehors.
Lyra, en silence, fixa Destin, essayant de décrypter la tension dans ses traits. Paquito lui lança un regard complice.
— On n’avait pas le choix. Et puis, comme dirait Lyra, « Qu’un seul chien aboie, et la meute le suit. ».
Destin éclata de rire.
— Pas mal, Prof, pas mal. Vous avez eu de la chance ce soir. Allez, entrez avant qu’un drone nous survole.
À l’intérieur, l’air était saturé d’odeurs d’épices, d’herbes et de tabac. Une musique jazzy flottait dans l’espace exigu, où plusieurs canapés usés entouraient une petite table en bois. Lyra se sentit immédiatement submergée par les sensations : la chaleur, la lumière tamisée, le bourdonnement de voix en fond.
— Vous restez ici pour l’instant, dit Destin en leur désignant une pièce à l’arrière. Je vais vous présenter quelqu’un demain. Elle peut vous être utile.
Lyra, curieuse demanda.
— Qui ça ?
Destin se contenta de sourire, avant de tourner les talons.
—Ma cousine. Elle connaît tout le monde ici. Et tout le monde la connaît.
Annotations
Versions