Chapitre 18 - La bataille du Sénat

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Alors que Lyra et Destin étaient encore en chemin, à 20 heures, la camionnette de Dieudonné, transportant Précieuse et Paquito, arrivait enfin au port. Le cargo promis les attendait, immobile sous un ciel étoilé, ses imposantes structures métalliques se détachant sur l’horizon.

À leur approche, des androïdes, silencieux et précis, s’avancèrent pour les accueillir. D’une voix mécanique mais courtoise, l’un d’eux annonça :

Embarquement

— Conformément aux instructions reçues du commandant Nogueira, vous êtes autorisés à monter à bord. Nous attendrons vos compagnons jusqu’à minuit. Si toutefois ils ne sont pas arrivés à cette heure, nous appareillerons sans eux.

Paquito sentit un poids s’alléger dans sa poitrine : si les androïdes suivaient ce plan, cela signifiait que Lyra et Destin avaient réussi leur mission au Lounge.

— Bravo, Lyra, pensa-t-il. Tu es exceptionnelle.

— Super ! Moi qui ai toujours rêvé de faire une croisière, s’exclama Précieuse, un sourire large sur le visage.

Dieudonné, en revanche, ne partageait pas cet enthousiasme.

— Qu’est-ce que cette histoire ? Moi, je n’ai jamais signé pour un voyage en Africa ! protesta-t-il, les mains sur les hanches.

Précieuse lui lança un clin d’œil moqueur.

— Oh, ne me dis pas que tu n’as pas envie d’une petite croisière avec moi ?

Paquito, agacé par la légèreté de Précieuse, se tourna vers elle, le regard sérieux.

— Et si Destin et Lyra n’arrivent pas à temps ? demanda-t-il, une inquiétude sourde dans la voix.

Précieuse répondit avec désinvolture.

— Tu ne veux pas te détendre un peu ? Tout se passe comme prévu, Prof. Fais confiance à mon cousin et à ta copine, ils savent se débrouiller.

Ces mots auraient dû apaiser Paquito, mais son esprit restait tourmenté. Il se raccrocha à une pensée réconfortante, une citation d’Anne Frank qui semblait capturer l’esprit de Précieuse : "Qui a courage et confiance ne se laissera jamais sombrer dans la détresse."

Les heures s’écoulèrent lentement, et l’horloge marqua finalement minuit. Pourtant, ni Lyra ni Destin n’étaient encore là. L’angoisse qui s’était insinuée en eux depuis leur arrivée au port se transforma en un désespoir lourd et oppressant.

Le capitaine androïde fit son apparition sur le pont.

— Nous devons partir, conformément aux ordres, annonça-t-il.

Paquito et Précieuse tentèrent de faire repousser le départ, en vain. Le cargo se mit en mouvement, ses moteurs grondants doucement. Précieuse, qui jusque-là avait conservé son air insouciant, sembla soudain désemparée.

— Qu’est-ce qu’on va faire ? murmura-t-elle, le regard fixé sur le port qui s’éloignait lentement.

Paquito, en proie à une douleur qu’il s’efforçait de cacher, tenta de la rassurer.

— Espérons qu’il ne leur soit rien arrivé de grave. Je suis sûr que ton cousin trouvera un moyen de nous rejoindre.

Mais même ces paroles sonnèrent creuses dans l’air nocturne. Tandis que le cargo s’éloignait, Paquito ne pouvait s’empêcher de penser à Lyra. Une larme roula sur sa joue.

Confrontations au Sénat

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de là, dans l’imposante Curia Julia de Rome, un tout autre combat se jouait dès les premières heures de la matinée.

Les Sophistes, dirigés par le redoutable Sénateur Sarkron, avaient convoqué une séance extraordinaire pour exploiter les révélations du Sénateur Val et tenter de renverser le Consul Rohan. Leur objectif était clair : prendre le pouvoir et instaurer la loi martiale sur Novaïa.

Dans les coulisses, les factions s’activaient. Le parti Sophiste, un conglomérat hétéroclite réunissant des courants politiques des cinq continents, coordonnait sa stratégie avec les élus Civitas, représentés par le sénateur Sorales.

Sarkron, l’air grave mais déterminé, s’adressa à Sorales.

— Tu ouvriras les débats. Réclame la loi martiale et exige la destitution de Rohan. Cela nous permettra de cadrer immédiatement la discussion.

Sorales acquiesça avec un sourire satisfait.

— Avec plaisir.

Sarkron poursuivit, traçant les grandes lignes de sa stratégie.

— Une fois que ces vermines du parti Universalistes se lèveront pour défendre Rohan, j’enfoncerai le clou. Les Pragmatiques compteront les points, comme d’habitude. Et si nous maintenons le Sénateur Val de notre côté, le vote penchera en notre faveur.

Le plan était simple mais calculé. Mais au sein de la Curia Julia, chaque mot, chaque mouvement serait scruté. La bataille ne faisait que commencer.

L'assemblée en ébullition

L'assemblée prit place dans l'immense hémicycle du Sénat de Novaïa. Trois grandes factions s’opposaient, chacune avec ses visions pour l’avenir de la planète :

Le Mouvement des Sophistes, composé de multiples partis aux idées souvent réactionnaires, qui comportaient des groupes radicaux comme les Civitas. Ce groupe prônait un retour à un monde divisé en cinq continents, avec leurs monnaies et identités propres et le rétablissement des frontières. Fermement opposés aux IA, ils dénonçaient l’idée d’un gouvernement mondial.

Le Parti des Pragmatiques, majoritaire, qui avait permis l'élection du Consul Rohan. Inspirés par leur philosophie selon laquelle seules les solutions qui fonctionnent réellement sont valides, ils agissaient au gré des rapports de force et des enjeux immédiats.

Le Mouvement Universaliste, autrefois majoritaire, était à l’origine de la création du gouvernement mondial. Leur credo : "Un peuple, une monnaie, une cité." Dirigé par deux figures historiques, Gisor du continent d’Asia et M’Baku du continent Africa, ce mouvement avait perdu de son influence après la pandémie.

Le Consul Rohan ouvrit la séance extraordinaire devant plus de deux mille sénateurs présents.

— Chères sénatrices, chers sénateurs, le mouvement des Sophistes a demandé cette assemblée pour traiter des événements récents de Novaïa. Nous leur laisserons donc la parole. Le Sénateur Soralès ouvrira les débats.

L’intervention de Soralès

Le Sénateur Soralès se leva, confiant, et débuta d’un ton grave :

— Cher Consul Rohan, chers sénateurs. Depuis trop longtemps, Novaïa vacille au bord de l’implosion. Des manifestations anti-gouvernementales et anti-IA éclatent chaque jour. Le gouvernement du Consul Rohan, après nous avoir caché l’existence d’une mission secrète d’IA incarnées envoyées sur Terre, a récemment révélé qu’une IA avait piraté un laboratoire et s’était incarnée illégalement, mettant ainsi en péril la sécurité internationale.

Les murmures dans l’assemblée furent coupés par un silence tendu. Soralès poursuivit avec véhémence :

— Le Sénateur Val lui-même a admis son impuissance face à cette IA, qui court toujours à l’heure où je vous parle.

Des applaudissements fusèrent dans le camp des Sophistes, mêlés à des protestations indignées des Universalistes.

— Visiblement, le Consul Rohan n’a pas pris la pleine mesure de la situation. Il n’a pas donné au Sénateur Val les pleins pouvoirs nécessaires pour neutraliser cette menace. Nous, les Sophistes, réclamons la destitution du Consul Rohan, trop docile face aux Pro-IA, et la mise en place d’un gouvernement de transition pour rétablir l’ordre et la sécurité !

L’intervention de Soralès provoqua un véritable tumulte dans l’hémicycle. Les Universalistes étaient consternés, tandis que les Pragmatiques semblaient divisés.

Le Consul Rohan se redressa, tentant de reprendre la main.

— Cher Sénateur Soralès, vos accusations sont fallacieuses. Le Sénateur Val a reçu tous les pouvoirs nécessaires, et des décrets d’exception ont été promulgués pour neutraliser cette IA le plus rapidement possible. L’enquête progresse à grands pas.

Mais avant qu’il ne puisse poursuivre, le Sénateur Sarkron, leader des Sophistes, demanda la parole.

— Chers collègues, je m’adresse particulièrement aux Pragmatiques. Nous n’avons rien de personnel contre le Consul Rohan, mais les faits sont là et ils sont têtus. Les IA sont devenues incontrôlables. Le laxisme des Universalistes et la gestion du Consul Rohan, nous conduit au bord du chaos.

Des murmures approbateurs s’élevèrent dans le camp des Pragmatiques. Sarkron continua, implacable :

— Nous ne tenons pas Rohan pour seul responsable de cette situation. Ce sont aussi les erreurs des anciens Consuls Gisor et M’Baku, qui ont permis l’expansion des IA. Mais aujourd’hui, il est clair que Rohan n’a pas la fermeté nécessaire pour agir. Des émeutes secouent Europa et America, des cyberattaques ont frappé nos laboratoires et nos entreprises. Plus rien n’est sous contrôle. Mes amis, accepter l’inacceptable, c’est se préparer à tolérer l’intolérable. Je vous exhorte à soutenir la destitution de Rohan et à voter pour un gouvernement qui rétablira l’ordre sur Novaïa.

Une salve d’applaudissements éclata parmi les rangs des Sophistes, tandis que Rohan semblait se décomposer.

La riposte d’M’Baku

Alors que le tumulte atteignait son apogée, une voix profonde et calme s’éleva au-dessus du vacarme.

— La parole est à l’honorable Sénateur M’Baku, annonça Rohan, soulagé de voir un allié intervenir.

M’Baku, respecté pour son charisme et son expérience, se leva lentement. Ses yeux balayèrent l’assemblée, imposant un silence presque religieux.

— Chers collègues, permettez-moi de rappeler à cette respectable assemblée que l’Histoire est jonchée d’erreurs commises par la peur et la précipitation. Aujourd’hui, Novaïa est à un carrefour. La voie que vous choisissez déterminera l’avenir de notre planète, pas seulement pour les prochaines années, mais pour les générations à venir.

Il se tourna vers Sarkron.

— Vous parlez de fermeté et d’ordre, Sénateur Sarkron, mais à quel prix ? La loi martiale ? La division ? La destruction de tout ce que nous avons bâti ensemble ?

M’Baku marqua une pause, laissant ses mots résonner dans l’assemblée.

— Nous sommes Novaïa. Une seule cité. Une seule monnaie. Un seul peuple. Si nous cédons à la peur aujourd’hui, nous trahirons tout ce que ce Sénat représente.

Son discours, empreint de gravité, semblait toucher une corde sensible chez de nombreux Pragmatiques.

Le Sénat, toujours plongé dans une tension palpable, devait bientôt voter sur la destitution de Rohan. L’avenir de Novaïa et des IA etaient en jeu. Mais dans les coulisses, les tractations et les alliances continuaient.

Le sort de Rohan, de Novaïa, et peut-être même de Lyra et Paquito, allait se jouer dans cette arène politique.

Le duel entre M’Baku et Sarkron

Le Sénateur Val, en observant M’Baku se lever pour reprendre la parole, esquissa une moue dubitative. Il connaissait bien l’homme. Val avait fait ses débuts politiques dans le mouvement Universaliste, avant de rejoindre les pragmatiques après la pandémie.

M’Baku, imposant et calme, ajusta sa posture avant de s’exprimer.

— Chères Sénatrices, chers Sénateurs, commença-t-il, sa voix résonnant dans l’hémicycle. Le coup de force que tente aujourd’hui le Sénateur Sarkron est indigne. Nous savons tous que les Sophistes n’ont jamais accepté l’idée d’un gouvernement mondial. Pourtant, après les indépendances et les prospérités d’Africa et d’Asia, nous aurions pu, comme l’ont fait Europa et America pendant des siècles, profiter de notre supériorité pour imposer un rapport de force favorable.

Il marqua une pause, laissant l’assemblée attentive à ses mots.

— Mais nous avons appris des erreurs du passé. C’est pourquoi, avec mon collègue le Sénateur Gisor, nous avons œuvré pour créer le gouvernement mondial de Novaïa. Un gouvernement, une monnaie, une citoyenneté et les mêmes lois et justice pour tous.

L’assemblée écoutait dans un silence tendu.

— Nous avons construit une société unifiée avec l’aide des IA. Elles ont permis des avancées incommensurables : éducation, santé, écologie, prospérité économique, résolution des conflits ethniques et religieux. Nous avons également réduit les tensions identitaires dans les villes et sur les continents. Bien que le passif de vos ancêtres en la matière soit lourd Sénateur Sarkron.

Un murmure traversa les rangs des Sophistes, où des regards haineux se tournaient vers M’Baku.

— Et maintenant, vous osez appeler cela du "laxisme" ? Soyons sérieux. Ce que nous avons fait, c’est défendre l’unité dans l’altérité, le progrès social, la justice et le bien-être de tous les citoyens de Novaïa.

Les rangs des Sophistes s’agitèrent, des exclamations de colère éclatèrent.

— Mensonges ! criaient certains membres des Civitas.

Sarkron demanda un droit de réponse, que Rohan lui accorda à contrecœur.

— Cher collègue M’Baku, commença-t-il avec une ironie mordante, vos heures de gloire sont derrière vous. Oui, vous avez développé votre continent et l’avez rendu prospère, nous le reconnaissons. Mais n’allez pas croire que nous avons adhéré à l’idée d’un gouvernement mondial, qui a dilué nos identités dans une utopie universelle.

Il marqua un temps, regardant l’assemblée pour mieux la convaincre.

— Quant aux IA que vous encensez, souvenez-vous qu’elles sont à l’origine de la pandémie qui a décimé des millions de Novaiens. C’est cela, votre progrès ?

Des acclamations retentirent dans le camp des Sophistes.

— Et, vous avez soutenu des projets comme la Mission Odysseus, cette hérésie scientifique. Pire encore, vous ouvrez la voie à une citoyenneté pour les IA, un acte qui trahirait l’humanité elle-même.

Les Universalistes frémirent, tandis que les Pragmatiques semblaient vaciller, partagés entre leurs alliés traditionnels et la pression exercée par les Sophistes.

L’intervention du doyen Gisor

M’Baku voulut répondre, mais Gisor, le doyen de l’assemblée et premier Consul de Novaïa, posa une main sur son bras.

— Laissez-moi, vieux lion, murmura-t-il.

Rohan accorda la parole à Gisor, et l’assemblée, malgré le tumulte, s’apaisa immédiatement.

— Chères collègues, chers collègues, commença-t-il avec une voix empreinte de sagesse. Le Sénateur M’Baku vous a parlé avec la ferveur qui le caractérise. Permettez-moi de vous rappeler quelques vérités. D’abord, il n’a jamais été prouvé que la pandémie ait été causée par les IA. Ce sont elles, au contraire, qui ont permis la découverte du vaccin grâce à une collaboration sans précédent entre les scientifiques d’Asia et d’Africa.

Il fixa Sarkron avec une intensité tranquille.

— Sénateur Sarkron, vous jouez sur les peurs pour diviser Novaïa. Vous transformez des progrès en menaces. Les IA sont vos boucs émissaires, comme d’autres peuples l’ont été jadis. Vous accusez, mais où sont vos preuves ?

Les Sophistes murmurèrent, certains protestèrent, mais la gravité de Gisor imposait le respect.

— Enfin, vous évoquez la Mission Odysseus. Pardonnez-nous si nous croyons en la science et en l’exploration. Novaïa a toujours prospéré grâce à sa capacité à dépasser ses propres limites.

Il balaya l’assemblée du regard, ajoutant d’un ton plus grave :

— Chers collègues, pesez bien votre vote. Car il est évident que derrière ce chaos apparent, le Sénateur Sarkron vise une seule chose : s’arroger les pleins pouvoirs. C’est une décision qui définira l’avenir de Novaïa.

Une annonce inattendue

Alors que le brouhaha reprenait dans l’hémicycle, le Sénateur Val, resté silencieux jusqu’alors, consulta discrètement son bracelet électronique. Son visage s’éclaira d’une satisfaction mal dissimulée.

— Chers collègues, dit-il en se levant. Il y a eu beaucoup de bruit aujourd’hui. Mais je vais vous apporter une nouvelle qui, je l’espère, mettra fin à ces débats houleux.

Un silence tendu s’installa.

— Les Services de Sécurité viennent de m’annoncer que l’IA recherchée a été arrêtée il y a quelques minutes. Ma mission est donc accomplie.

L’annonce provoqua une onde de choc. La quasi-totalité des sénateurs se leva pour applaudir.

Le Consul Rohan, profitant de l’instant, tenta de clore la séance.

— Sénateur Sarkron, il me semble que votre motion est devenue obsolète. La crise est résolue, n’est-ce pas ?

Mais Sarkron, figé, resta silencieux. Autour de lui, ses alliés criaient :

— À mort l’IA ! À mort l’IA !

Le destin de Novaïa semblait suspendu à un fil.

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