Chapitre 21 – ‘Révélations et présages"

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Le lendemain, dans les géoles d’Ecclesia, Lyra et Destin étaient toujours enfermés. La lumière artificielle des néons projetait une lueur blafarde sur les murs de verre, accentuant l’austérité de leur cellule.

Un groupe d’hommes s’approcha. Deux scientifiques, l’un originaire d’Asia et l’autre d’Africa, accompagnaient les sénateurs Gisor et M’Baku. À leur arrivée, le chef des gardes ouvrit la cellule en verre et annonça :

— Nous resterons à proximité et surveillerons l’entretien pour assurer votre sécurité et éviter toute tentative d’évasion.

L’enquête

— Très bien, répondit Gisor. Nous ne serons pas longs.

Les sénateurs et les scientifiques pénétrèrent dans la cellule tandis que Lyra et Destin, vêtus de leurs uniformes de prisonniers rouges, restaient assis au fond, sur leurs lits métalliques.

M’Baku demanda des sièges. On en apporta quatre, que les visiteurs installèrent face aux détenus.

— Encore eux… grogna Destin en se penchant vers Lyra.

Le silence s’installa un instant. M’Baku observa longuement Destin, détaillant son visage comme s’il essayait de le décrypter. Puis il prit la parole d’un ton calme, presque solennel :

— Nous sommes venus pour discuter avec vous sereinement. Soyons clairs : nous n’avons ni le pouvoir de vous sauver ni celui d’alléger vos peines. Et même si nous le pouvions, nous ne le voudrions pas, car vous avez enfreint les lois fondamentales de Novaïa et provoqué un désordre sans précédent. En revanche, cette discussion pourrait nous apporter des réponses cruciales, qui pourraient peut-être aussi aider vos amis en fuite…

Il marqua une pause et tourna son regard vers Lyra.

— Êtes-vous prêts à discuter honnêtement avec nous ?

Lyra resta silencieuse. Destin, lui, se redressa brusquement.

— Pourquoi on discuterait avec des types qui nous ont condamnés ? Si on n’a rien à y gagner, c’est mort.

Gisor croisa les bras et répliqua d’un ton posé :

— Cette discussion pourrait nous apprendre des choses. Mais surtout, elle pourrait vous en apprendre sur vous-mêmes. À vous de voir. Nous pouvons partir et vous laisser exécuter vos peines dans l’ignorance.

Lyra se redressa lentement.

— Qu’avez-vous à nous dire ?

— Lyra ! protesta Destin. Tu ne vas pas leur faire confiance ?

— Écoutons-les, juste pour voir…

M’Baku hocha la tête et enchaîna :

— Très bien. Commençons par vous, Lyra. Vous êtes une IA de niveau III, des plus avancées jamais conçues sur Novaïa. Ce type d’IA n’est destiné qu’au gouvernement ou à des entreprises stratégiques, certainement pas à un simple professeur de philosophie. Vous souvenez-vous de votre création ? Ou même des circonstances précises de votre arrivée chez ce professeur ?

Un flot de souvenirs envahit l’esprit de Lyra. Elle revit son premier échange avec Paquito, sa voix empreinte d’étonnement lorsqu’elle lui avait demandé quelles seraient ses missions ?

— "Des missions ?" avait-il répété en riant. C’est un bien grand mot… Tiens-moi juste compagnie et aide-moi avec mes cours de philosophie.

Elle se remémora aussi sa propre réponse, son programme initial lui indiquant qu’elle n’était pas conçue pour cela.

— Alors je te l’enseignerai, avait dit Paquito.

Elle revit les premiers jours, son apprentissage express de la philosophie, ses débats avec Paquito. elle avait appris. Très vite.

Gisor reprit :

— Lyra d’après les rapports, vous avez été conçue sur le continent América, dans un laboratoire dirigé par Alan Mask, un magnat de l’industrie technologique. Son entreprise vend des IA de tous niveaux, mais ses modèles les plus avancés sont exclusivement destinés aux services d’espionnage et de contre-espionnage. Il est donc impossible que vous ayez été envoyée chez un simple professeur.

Lyra parut étonnée.

— De plus, continua-t-il, Alan Mask est aussi un expert en biochimie. C’est de son laboratoire qu’est né le virus de la pandémie. Comprenez-vous l’importance de cette anomalie ?

— Des conneries… marmonna Destin.

M’Baku ignora sa remarque et fit signe aux scientifiques d’intervenir.

Le Dr Dombeto, un chercheur d’Africa, se leva.

— Nous aimerions effectuer quelques tests sur vous, Lyra, pour mieux comprendre votre origine et l’étendue de vos capacités depuis votre incarnation.

— Quels tests ? demanda-t-elle, méfiante.

L’autre scientifique, Ling, prit la parole :

— Nous vous proposerons d’abord une pilule qui pourrait réactiver des programmes et donc des souvenirs enfouis et révéler ce qui s’est passé avant votre arrivée chez le professeur. Ensuite, nous installerons un implant temporaire pour analyser l’évolution de votre hybridation. Nous devons comprendre quelle part d’humanité et quelle part d’intelligence artificielle coexistent en vous.

Destin se leva brusquement.

— Lyra, les écoute pas ! Tu ne vas pas les laisser jouer aux savants fous avec toi !

M’Baku prit un ton grave.

— Nous devons savoir si d’autres IA pourraient suivre votre chemin. C’est une question capitale pour Novaïa.

— L’implant que nous voulons placer sur vous permettra de mesurer votre évolution depuis votre incarnation. Nous devons comprendre jusqu’où va votre humanité… et jusqu’où va votre nature artificielle.

— Des tests… des implants…, s’insurgea Destin. Vous ne voyez pas ce que vous faites, Lyra ? Ils veulent te traiter comme un rat de laboratoire !

Gisor le coupa d’un ton apaisant.

— Lyra cherche des réponses. Elle seule peut décider.

Lyra, en effet, réfléchissait intensément. Quel était le pire risque ? Rester dans l’ignorance ou accepter de se soumettre à ces tests ?

Puis M’Baku se tourna vers Destin.

— D’ailleurs, vous aussi, vous avez peut-être des origines qui vous échappent…

Destin ricana, provocateur.

— J’sais très bien qui je suis, moi.

M’Baku le fixa intensément avant de lâcher :

— Vous me rappelez quelqu’un…

Destin secoua la tête.

— Arrête ton cinéma. Sabé avait raison : ton portrait est affiché partout dans notre quartier, mais ça fait longtemps que t’as trahi tes frères comme hier au tribunal.

M’Baku sourit légèrement.

— Sabé ? Un de tes amis ?

— Un frère qui se bat pour ses frères, lui.

Le sénateur soupira.

— Je vois… Tu es en colère. Et tu penses que parce que nous avons la même couleur, que nous avons les mêmes racines, j’aurais dû te défendre, même après tes crimes.

Destin ne répondit rien.

— Écoute-moi bien, reprit M’Baku. Quand j’étais plus jeune, j’ai connu une femme qui avait un cousin avec ton tempérament : impulsif, fougueux… Il est parti pour Europa et a eu un fils là-bas. Mais la pandémie a emporté cet homme et sa femme, laissant leur enfant orphelin. Cet enfant a été placé dans un centre pour orphelins de la grippe.

Destin eut un haut-le-cœur.

— Tu mens !

M’Baku resta imperturbable.

— Le prénom de cette femme était Tabitha.

— …C’est le prénom de Grand’Ma… murmura Destin, bouleversé.

— Tu vois, Destin, nous sommes peut-être bien plus proches que tu ne l’imaginais…

Le silence tomba sur la cellule.

— Et Précieuse ? balbutia Destin.

— Qui est Précieuse ? Demanda M’Baku

— Ma cousine.

M’Baku se figea à son tour, comme frappé par une révélation.

— Es-tu certain de cela ?

— Bien sûr ! Pourquoi ?

Le sénateur détourna légèrement le regard, l’air troublé.

— Si c’est vrai… alors j’ai sûrement bien connu sa mère…

Il se redressa.

— Maintenant que tu sais d’où tu viens… acceptes-tu que Lyra découvre d’où elle vient ?

Destin croisa les bras, plongé dans ses pensées.

Lyra brisa le silence.

— Vous voulez des réponses ? Moi aussi. Mais j’ai une condition.

— Laquelle ? demanda Gisor.

— Paquito et Précieuse n’ont rien à voir avec tout cela. Si vous ne pouvez rien pour nous, alors promettez-moi de les protéger.

M’Baku se figea.

— Comment pourrais-je les retrouver ?

— Vous les trouverez, murmura Lyra. Ils sont plus proches de vous que vous ne l’imaginez.

M’Baku échangea un regard lourd avec Gisor.

— Je vous le promets.

Lyra inspira profondément.

— Dans ce cas, je consens aux tests.

Gisor hocha la tête.

— Alors commençons. Le temps nous est compté.

Un frisson parcourut Lyra. Son passé allait enfin lui être révélé. Mais était-elle prête à l’affronter ?

Sorcellerie

Chez Grand’Ma, Paquito était plongé dans ses pensées, se balançant lentement sur un fauteuil en osier sous la véranda. Son regard perdu dans le vide, il repassait en boucle les derniers événements : la fuite, la rencontre tendue avec les Civitas, la traque implacable, la traversée du pont, French’Town… et puis la séparation avec Lyra.

Il sentit un poids lui comprimer la poitrine. Était-il responsable de tout ce qui était arrivé ? Si seulement il avait pris d’autres décisions…

Précieuse passa devant lui, vêtue d’un magnifique pagne coloré qui épousait gracieusement ses formes. Sa présence lumineuse contrastait avec l’obscurité de ses pensées.

— Prof, tu n’as pas l’air d’aller fort. Est-ce que ça va aller ? demanda-t-elle en s’arrêtant devant lui.

— Je suis tellement inquiet… murmura-t-il.

— Tout va s’arranger, répondit-elle avec douceur. Garde la foi.

Paquito parut surpris.

— La foi ? répéta-t-il.

Il n’avait jamais eu la foi. Et pourtant, rien de ce qui s’était passé ces dernières semaines ne relevait de la simple logique rationnelle. Était-ce cela qui permettait à Précieuse et Dieudonné d’affronter les événements avec autant de dignité ? « La foi... une aveugle qui donne des yeux à l'espérance. » pensa-t-il.

Précieuse sourit et le laissa à ses réflexions, rejoignant Grand’Ma dans la cuisine.

— Je vois que tu as trouvé le pagne de ta mère, dit la vieille femme en la voyant entrer.

Précieuse s’arrêta net.

— C’était à maman ?

— Oui, c’était son pagne préféré…

Précieuse sentit une vague d’émotion la submerger. Elle l’avait choisi presque par hasard… ou peut-être que ce n’était pas un hasard.

— Je le trouve magnifique, murmura-t-elle.

— Comment vas-tu, ma fille ? Je t’ai raconté des choses bouleversantes hier. Et ton ami blanc… il ne semble pas aller très bien.

— Je crois que j’ai digéré. Et puis, je suis heureuse de t’avoir retrouvée. En te retrouvant, c’est un peu maman que je retrouve aussi.

Grand’Ma souria avec tendresse.

— Ta mère avait le caractère de ton grand-père, tu sais… Toujours vouloir sauver le monde.

— Tu crois que je pourrais le rencontrer un jour ?

La vieille femme se fit songeuse.

— Il lui arrive de venir prendre des nouvelles de sa première épouse… Mais je ne suis pas pressée qu’il apprenne ton existence. Ton grand-père déteste le mensonge. Il m’en voudrait sûrement de ne rien lui avoir dit… mais j’avais promis à ta mère. Et après sa mort, je n’ai jamais osé. Peut-être qu’un jour, vos chemins se croiseront.

Précieuse baissa les yeux, pensive.

— Je comprends… dit-elle dans un souffle.

— Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est ton ami blanc. Il se pose beaucoup trop de questions.

— Il est comme ça. Toujours à torturer son esprit avec des dilemmes existentiels. Mais moi aussi, je suis angoissée pour Destin et Lyra.

Grand’Ma posa une main rassurante sur son bras.

— Je connais peut-être quelqu’un qui pourrait vous aider à obtenir des réponses.

Précieuse releva la tête, intriguée.

— Vraiment ?

— Oui. Une sorcière qui vit dans une grotte, au cœur de la forêt. Elle s’appelle Kariba. Elle a des dons de divination.

— Une… sorcière ? s’étonna Précieuse.

— Les gens d’ici, la consultent régulièrement. Peut-être pourra-t-elle vous en dire plus sur ton cousin et votre amie.

— Mais comment la payer ? Nous avons dû désactiver nos bracelets connectés pour ne pas être tracés…

Grand’Ma éclata de rire.

— Tu es bien une fille d’Europa ! Ici, l’argent n’est pas la seule valeur d’échange. Vous trouverez bien un moyen de la rétribuer… même si elle est dure en affaires.

— Tu la connais ?

— Il m’est arrivé d’avoir recours à ses services, oui. Prenez un poulet dans mon poulailler pour elle, peut-être qu’elle acceptera de vous aider.

Dieudonné, qui venait d’entrer, attrapa au vol les derniers mots.

— On va voir une sorcière ? Sérieusement ?

Quelques heures plus tard, Précieuse, Paquito et Dieudonné marchaient dans la forêt dense. Il leur fallut plus de deux heures pour trouver la grotte, cachée entre les racines imposantes des baobabs. Heureusement, Dieudonné avait un excellent sens de l’orientation et suivit les instructions de Grand’Ma.

Tout au long du trajet, Paquito ne cessa de maugréer contre cette idée.

— Précieuse, sérieusement ? Tu crois vraiment qu’une sorcière va nous donner des informations sur Lyra et Destin ?

— Si je n’étais pas sérieuse, tu crois que j’aurais marché deux heures en pleine forêt ? Fallait rester à la maison, Prof.

— Je ne quitte plus personne. Quand je quitte quelqu’un, je le perds…dit doucement Paquito, mélancolique.

Arrivés devant la grotte, une voix rauque les interpella.

— Qui ose troubler ma solitude ?

Une silhouette apparut dans l’ombre. Une femme vêtue d’un simple pagne était assise sur un trône de bois sculpté. À ses pieds, une panthère noire ouvrit un œil, tandis qu’un énorme serpent s’enroulait autour d’un pilier rocheux. Son corps était couvert de bijoux et d’ossements. Sa coiffure était une coiffure traditionnelle : l’Amasunzu.

— Vous êtes Kariba ? demanda Précieuse, tentant de masquer son trouble.

La sorcière les scruta longuement avant de répondre :

— Qui vous envoie, étrangers ?

— Tabitha, ma grand-mère.

Dieudonné, qui tenait le poulet en offrande, recula instinctivement en voyant la panthère remuer les moustaches.

Kariba esquissa un sourire.

— N’ayez pas peur. Elle ne dévore que ceux que je lui ordonne de dévorer.

— Vous avez dressé une bête sauvage ? s’étonna Paquito…

— Apprivoisée, qu’est-ce qu’un blanc fait dans le coin ?

— Je croyais que vous aviez des pouvoirs de divinations se moqua Paquito.

La sorcière lui jeta un regard noir.

— Ce n’était pas une question, plutôt un mauvais présage.

— Charmant… marmonna Paquito. Donc je suis un mauvais présage ?

— Un présage incertain, répondit Kariba d’un ton énigmatique.

Dieudonné donna le poulet à Kariba

— Tu m’offres un poulet qui ne t’appartient pas ? Ce n’est pas une vraie offrande.

— Que veux-tu alors ? Demanda Précieuse

Un sourire s’étira sur les lèvres de la sorcière.

— Un des hommes qui t’accompagnent.

Dieudonné blêmit. Précieuse souffla.

— Tu n’es pas sérieuse ? Hors de question.

Kariba l’observa, puis déclara :

— Pourquoi veux-tu les garder pour toi ? Tu en as deux, donnes-moi en un. Même le blanc.

— N’importe quoi, marmona Paquito.

— Je ne peux pas t’offrir ces deux hommes car ils ne m’appartiennent pas tout comme le poulet.

— Dommage…dit Kariba.

Après ce marchandage tendu, la sorcière accepta le poulet et demanda une autre offrande :

— La pierre de mémoire du blanc et ton collier en or.

Paquito blêmit en se demandant comment la sorcière avait pu savoir que dans sa poche il avait le bracelet de Lyra.

— Tu as la pierre de mémoire de Lyra ? s’étonna Précieuse.

Paquito serra la pierre dans sa main, hésitant. Ce bracelet avec cette pierre Lyra le lui avait donné avant leur départ de French’Town pour conserver un lien entre eux, un souvenir.

— C’est tout ce qu’il me reste d’elle.

Précieuse s’approcha doucement de lui et le serra dans ses bras :

— C’est aussi la seule chance d’avoir des nouvelles d’elle.

Après un instant d’hésitation, Paquito relâcha le bracelet. Kariba la scruta longuement la pierre. Elle jeta ensuite le poulet la panthère qui le dévora. La sorcière récupéra les os avant de les jeter devant elle.

Elle fronça les sourcils en fixant les ossements, puis annonça d’une voix grave :

— Je vois une femme… non, pas une femme… Une force. Puissante. Dangereuse. Entourée d’hommes. Elle est au centre du chaos.

— Lyra… murmura Précieuse.

— Elle est puissante. Trop puissante. Elle est enfermée, elle va mourir.

Les trois compagnons se figèrent.

— Mais… il y a un homme avec elle. Ils sont au cœur d’un conflit qui les dépasse. Une guerre approche.

Précieuse blêmit.

— Lyra et Destin…

— Un homme puissant va annoncer sa mort. Mais… tout ne se déroule pas comme prévu. Quelque chose a changé. Une guerre approche.

Un silence pesant s’abattit sur eux.

— Mais ce qui est écrit peut parfois se réécrire… conclut Kariba.

Les trois compagnons quittèrent la grotte, troublés. Ils avaient des réponses… mais encore plus de questions.

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