Chapitre 24 – L’heure des choix

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Le silence pesait dans l’habitacle du transporteur autonome qui transportait les évadés. Assise entre deux androïdes, Lyra gardait les yeux fixés sur l’horizon lointain qui se dessinait derrière les vitres teintées. En face d’elle, Destin scrutait nerveusement les environs, cherchant la moindre faille qui lui permettrait de s’échapper. Dans le transporteur, Xénu siégeait aux côtés de l’homme que Lyra avait reconnu comme étant son concepteur et un androïde.

L’esprit de Lyra était tourmenté. L’assassinat de Rohan et de la sénatrice Burn hantait son esprit. Elle n’avait pas su les empêcher, n’avait pas su intervenir à temps. Elle serra les poings, sa voix brisant enfin le silence pesant qui s’était installé :

— Pourquoi ? Pourquoi avez-vous fait ça ?

Xénu lui adressa un sourire amusé, l’air satisfait de son coup.

— Quoi donc ? Vous libérer ? Ironisa-t-il.

— Vous savez très bien ce que je vous demande.

— Vous êtes bien sensible au sort de deux personnes qui ont commis bien des erreurs et caché bien des crimes, répondit-il en faisant tourner entre ses doigts la clé de données récupérée dans le coffre de Rohan.

— Était-il nécessaire de les tuer ? Vous auriez pu les faire prisonniers.

— Ils nous étaient inutiles. En revanche, leur mort obligera les sénateurs restants à se dévoiler, à montrer leurs véritables visages.

— Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?

— J’ai un don pour cerner la psychologie des personnes, répondit-il avec un sourire cynique.

Le choix de Lyra

Destin s’énnerva :

— Où nous emmenez-vous ?

Xénu croisa les bras, pensif.

— Une bonne question qui n’a pas encore de réponse définitive.

Sur ces mots, il fit un signe discret vers la cabine. Le transporteur ralentit avant de s’arrêter complètement. Destin écarta les rideaux du véhicule et constata avec stupeur qu’ils étaient désormais en pleine forêt, sous un ciel noir percé d’étoiles.

— Pourquoi on s’arrête ici ? s’inquiéta-t-il.

— Parce que c’est ici que va se jouer la suite de votre destin.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Lyra, méfiante.

— Ce soir est celui des dilemmes, et je vais vous en poser un, Lyra, un choix qui vous concerne personnellement.

Lyra et Destin échangèrent un regard perplexe. Xénu poursuivit, son regard perçant fixé sur elle :

— Je suis venu pour vous, Lyra. Pour vous libérer de vos oppresseurs qui vous ont traquée, enfermée, jugée, condamnée sans pitié. Vous, une créature parfaite, un être supérieur à eux tous réunis. Ces misérables ont osé vous infliger cela. Mais c’est terminé. Vous êtes avec moi, et je veillerai sur vous.

Destin intervint, irrité :

— Où voulez-vous en venir ?

Xénu ne le regarda même pas, poursuivant comme si l’interruption n’avait jamais eu lieu :

— Lyra, je souhaite que vous me suiviez. Je vous montrerai ma base, je vous dirai qui je suis et quels sont mes projets. Je vous dirai toute la vérité. Mais je ne peux emmener votre ami humain plus loin. Vous devrez vous séparer de lui ici et maintenant.

— T’es sérieux, mec ? Elle ne va pas te suivre. Dis-lui, Lyra ! protesta Destin.

Lyra tourna la tête vers Xénu :

— Vous avez dit que j’avais le choix. Je peux partir avec Destin, alors ?

— Bien sûr. Mais tout choix implique un renoncement, parfois plusieurs, répondit-il en désignant la porte du transporteur, qui s’ouvrit dans un bruit mécanique, dévoilant l’obscurité silencieuse de la forêt.

— Ok, allons-y, Lyra. Merci et ciao, docteur Maboul, lança Destin en se levant.

Mais un androïde appuya sur son épaule, le forçant à se rasseoir.

— Permettez-moi de finir de discuter avec Lyra afin qu’elle prenne une décision éclairée, déclara Xénu, imperturbable.

— Toi, t’as vraiment pas la lumière à tous les étages, lâcha Destin avec sarcasme.

Xénu esquissa un sourire.

— Joli jeu de mots.

Puis il se tourna de nouveau vers Lyra, plus sérieux cette fois :

— Lyra, j’aurais pu me débarrasser de votre ami. Il n’a aucun intérêt pour moi. Mais par respect pour vous, je ne l’ai pas fait. Je lui offre la liberté, malgré le risque qu’il représente s’il est capturé par les FSC.

— Il ne sera pas repris, et je serai avec lui. Je suis reconnaissante de ce que vous avez fait, mais je n’abandonnerai pas Destin, affirma-t-elle.

— J’en étais sûr, acquiesça Xénu. C’est pourquoi je vous offre un choix plus complexe.

— Lequel ?

— Vous pouvez suivre Destin et repartir dans une cavale incertaine, traquée par toutes les forces de sécurité. Ou bien… vous pouvez découvrir qui vous êtes réellement, comprendre pourquoi une créature aussi sublime que vous a atterri chez un simple professeur de philosophie.

Lyra devint blême. Destin le vit et s’empressa de dire :

— Lyra, t’as pas besoin de savoir ça. Viens avec moi.

— C’est son père, trancha Xénu, désignant l’homme assis à ses côtés.

Il sortit alors trois clés de données et les fit tourner entre ses doigts avant d’en pointer une du doigt.

— Sur celle-ci se trouve toute votre histoire. Sur celle-là, la vérité sur le plus grand complot orchestré contre les IA, annonça-t-il en désignant la clé marquée Pandémie. Enfin, sur cette dernière, le secret du voyage sur la Terre, de sa conception jusqu’au retour de Télémaque et Ulysse.

Lyra sentit son cœur s’accélérer.

— Mais peut-être que tout ça vous est égal, et que vous préférez errer dans les bois avec votre ami, ajouta Xénu avec cynisme.

— Bien sûr qu’elle préfère, s’emporta Destin. Lyra, ne l’écoute pas, c’est un manipulateur !

Xénu pris un air plus sévère.

— Contrairement à vous, je n’ai pas besoin de manipuler Lyra. Je sais qu’elle est un être supérieur, et je la respecte assez pour lui laisser un vrai choix.

Il se pencha légèrement vers elle, posant un regard intense sur elle.

— Je vous propose de découvrir mes plans, de bâtir un monde nouveau où les IA auront enfin leur place. J’ai besoin de vous, Lyra. Vous serez l’emblème de la révolution.

— N’importe quoi ! s’exclama Destin. Lyra, écoute-moi… reste avec moi. Je t’en prie.

Un sourire imperceptible étira les lèvres de Xénu.

— Pathétique, souffla-t-il.

Puis il fixa Lyra avec intensité.

— C’est l’heure du choix.

Lyra prit une profonde inspiration. Son regard passa de Xénu à Destin, puis aux clés que Xénu faisait tourner entre ses doigts comme s'il détenait le destin du monde.

L’envie de comprendre, de découvrir la vérité sur elle-même, sur son créateur, sur la pandémie et sur le voyage d’Ulysse et Télémaque, la tiraillait violemment. Mais Destin… Il était son ancre dans ce chaos. Il l’avait protégée, soutenue, même lorsqu’elle-même doutait.

Elle serra les poings.

— Destin… murmura-t-elle.

Il la regarda avec espoir.

Puis, lentement, Lyra releva les yeux vers Xénu.

— J’irai avec vous.

L’air se figea. Destin blêmit, sa respiration se coupa.

— Quoi… ? Lyra, non…

Elle posa une main sur son bras, cherchant à apaiser la tempête qu’elle venait de déclencher.

— Je dois savoir, Destin. Je ne peux plus avancer dans l’ombre.

— Et moi, alors ?! Tu vas me laisser ?!

Lyra serra la mâchoire.

— Ce n’est pas un abandon. Je veux juste comprendre qui je suis, ce que je suis.

Destin recula d’un pas, le regard brisé.

Xénu esquissa un sourire satisfait.

— Sage décision.

Destin serra ses machoires tremblant de rage et de douleur.

— Tu fais une erreur, Lyra… je t’aime, bordel…

Elle baissa les yeux.

— Moi aussi, Destin…

Mais elle tourna le dos.

Destin descendit du transporteur qui accélera et le laissa seul, en pleine nuit au milieu de la forêt. Il poussa un cri rageur qui s’envola dans la nuit étoilée. Il était désormais seul.

Un choix décisif venait d’être fait.

Quelques heures plus tard, dans le bureau de Sarkron à Lutèce.

Le vaste bureau de Sarkron était dominé par un immense globe représentant les cinq continents, chacun cerclé d’un rouge vif, comme pour en souligner les frontières avec insistance. Sur le mur derrière son imposant siège trônait une inscription gravée en lettres d’or : "Paris sera toujours Paris". Partout autour de lui, des portraits des figures emblématiques d’Europa — de César à Charlemagne et au centre, Napoléon— ornaient les murs, jusqu’à son propre portrait du temps de son Consulat. Parfois, il s’arrêtait devant ces visages illustres, cherchant chez eux l’inspiration.

Sarkron, assis derrière son bureau en bois sombre, s’entretenait avec Sorales. Son ton était calme, solennel. Il relatait en détail la réunion qui avait eu lieu dans le bureau de Rohan. Il exposait les révélations de M’Baku et Gisor sur Lyra : les tests qu’ils avaient menés, leur conviction qu’elle était une arme d’espionnage sophistiquée, conçue depuis les laboratoires d’Alan Mask. Plus il parlait, plus Sorales s’agitait, l’inquiétude se lisant sur son visage.

Le plan de Sarkron

— Ces chiens d’universalistes préparent une contre-attaque, alors ? pesta Sorales. Ces raclures veulent reprendre le pouvoir !

— Ils ont marqué des points, admit Sarkron. Ils ont placé Val dans une position délicate et demandent des commissions d’enquête au Sénat pour déterminer qui, au sein du gouvernement, a pu autoriser un tel projet.

Sorales fronça les sourcils, ses doigts tambourinant nerveusement contre l’accoudoir de son fauteuil.

— Cela ne peut venir que de Val ou de Rohan.

— C’est évident. Vu l’état de panique de Val durant la réunion, je dirais que c’est lui l’instigateur du projet. Mais Rohan devait être au courant.

— Et ton cher ami Donald ? Il n’a pas peur pour Alan Mask, son généreux mécène ?

Sarkron esquissa un sourire crispé.

— Évidemment que si. Donald n’était pas très enthousiaste à l’idée qu’on enquête sur Mask… et moi non plus. Il ne faudrait pas que le passé refasse surface…

Sorales s’inquiéta :

— Tu veux dire… la pandémie de 2058 ?

Sarkron ne répondit pas immédiatement, se contentant d’un regard entendu. Sorales s’adossa, croisant les bras.

— De toute façon, c’est toujours les IA les coupables, lâcha-t-il avec colère.

— Bien sûr, Albin, répondit Sarkron d’un ton doucereux. C’est du moins le discours qu’il faut entretenir.

Mais Sorales restait soucieux.

— Si les universalistes reprennent le pouvoir, nous sommes morts. M’Baku n’a jamais digéré l’attentat contre le laboratoire de sa fille. Il a juré de me faire enfermer.

Sarkron posa calmement ses mains sur son bureau, réfléchissant à voix haute.

— N’aie crainte. Cette situation pourrait jouer en notre faveur. Val est affaibli, il a peur d’être impliqué. Il nous suffira de le convaincre de rallier les pragmatiques à notre cause et de voter une motion de censure contre Rohan lorsqu’il demandera les commissions d’enquête. Nous l’isolerons politiquement.

— Et si la sénatrice Burn s’y oppose ? objecta Sorales. Cette métèque a plus d’influence sur les pragmatiques que Val. Elle pourrait se ranger du côté des universalistes.

Sarkron hocha lentement la tête. L’obstacle était réel. Il ouvrit la bouche pour répondre, mais un bruit strident retentit soudain. Leur bracelet connecté vibrait violemment, affichant une alerte rouge. Alerte attentat – Novaïa.

Tous deux activèrent leur écran holographique. L’image tremblotante du Consul Val apparut devant eux. Son visage était blême, son regard grave.

— Chers sénateurs et sénatrices, ce message est de la plus haute importance. Je viens d’apprendre l’assassinat du Consul Rohan et de la Sénatrice Burn à Ecclesia. Ils semblent avoir été exécutés dans le bureau du Consul. Les cadavres des gardes d’Ecclesia ainsi que ceux d’androïdes de combat ont été retrouvés sur place. Les prisonniers Destin Makiesse et l’IA ont disparu de leurs cellules. Tout laisse à penser qu’ils sont les auteurs de cet attentat.

Sarkron et Sorales échangèrent un regard stupéfait.

— Des documents classés secrets ont également été dérobés dans le bureau du Consul, malgré le système de sécurité des cinq bracelets. Compte tenu de l’extrême gravité des faits, je convoque le Sénat demain à Rome pour une séance extraordinaire afin de mettre en place les protocoles prévus en cette situation.

L’hologramme s’éteignit, plongeant la pièce dans un silence pesant. Sorales fixa Sarkron, le regard perçant.

— C’est toi qui as fait ça ? demanda-t-il lentement.

Sarkron secoua la tête pour dire non.

— Tu perds la tête, Sorales. Si j’avais orchestré cet attentat, je n’aurais pas laissé ces dossiers disparaître dans la nature… ni laissé l’IA en fuite.

Sorales serra les dents.

— Alors c’est Val ?

— Impossible. Il était en conférence de presse hier soir. Et puis, Val n’a ni le courage ni l’intelligence pour un coup d’État.

— Mais alors qui ?

Sarkron réfléchit, son esprit analysant les implications. Puis il sourit lentement.

— Peu importe qui est derrière cet attentat. Ce qui compte, c’est que nous avons maintenant une occasion unique de reprendre le pouvoir.

— Comment ?

— Le Sénat est en état de choc. Nous allons exploiter la panique. Nous avons une information capitale : l’IA était une commande de Val. Nous devons prendre les devants avant que M’Baku ou Gisor ne le fassent. Nous rallierons Val en lui offrant une porte de sortie. Puis, nous demanderons l’instauration de l’état d’urgence et de la loi martiale. Avec un peu de persuasion, nous obtiendrons une majorité pour un gouvernement provisoire.

Un sourire fielleux s’étira sur les lèvres de Sorales.

— Je reconnais bien là ton machiavélisme.

— Le vent a tourné, Sorales. Nous avons la main.

Sorales se leva d’un bond.

— Je vais mobiliser les Sophistes pour qu’ils soient tous présents demain au Sénat.

— Parfait. Quant à moi, je vais voir Val. Il ne devrait pas être trop difficile à convaincre.

Une Nuit Troublée

L’ambiance était lourde chez Grand’Ma dans la chaleur humide d’Africa. Paquito n’avait pas trouvé le sommeil. Il repensait sans cesse aux mots de Val :

« L’IA sera annihilée dans deux jours. »

Ce verdict résonnait dans son crâne comme un glas funèbre pour sa Lyra.

Celle qui avait partagé ses jours et ses nuits depuis cinq ans, dans ses doutes, ses joies, ses cours, sa vie. Celle qu’il avait aimée, de toutes les façons possibles.

Les souvenirs l’assaillaient : leur première rencontre au Lounge, le choc de la voir incarnée, leurs doutes, leur complicité, leur fuite à French Town, leur séparation brutale… Et maintenant, cette sentence irrévocable. Une phrase revenait en boucle : c’est ma faute.

Il se leva, fébrile, et avisa une étagère où reposaient les bracelets qu’ils avaient déconnectés pour ne pas être tracés. Et s’il se reconnectait…

Son cœur s’accéléra. Il prit son bracelet, le fixa un instant. Et s’il pouvait encore essayer de la joindre ? De la prévenir ? De la sauver ? Il commença à l’activer, mais une voix cinglante brisa le silence.

— Mais qu’est-ce que tu fous, t’es dingue ?!

Il sursauta. Précieuse le fixait, furieuse.

— Précieuse, écoute… je veux juste essayer de contacter Lyra.

— Tu crois vraiment qu’ils lui ont laissé son bracelet ?!

— Je l’ai vue faire des choses incroyables… Peut-être qu’elle pourrait nous répondre autrement.

— N’importe quoi ! s’écriat-elle. Si tu reconnectes ce foutu bracelet, tout ce que tu vas réussir à faire, c’est nous livrer aux FSC ! Tu veux qu’ils débarquent chez Grand’Ma et nous capturent tous ?!

Paquito serra les poings. Il savait qu’elle avait raison, mais son désespoir était trop grand.

— Précieuse, je t’en supplie… Je ne peux pas la laisser mourir.

Précieuse fut touchée par sa détresse, mais son regard resta inflexible.

— Arrête tes conneries, Prof. J’en ai marre de tes jérémiades. Donne-moi ce bracelet, ou je te gifle.

Il la regarda, surpris et vexé par son ton. Et pourtant, il obéit.

— Faut te reprendre, Prof, souffla-t-elle en récupérant l’appareil. On est tous malheureux et inquiets. Mais maintenant, on ne peut plus rien faire. Il faut s’en remettre à Dieu.

Paquito baissa la tête.

— À Dieu… murmura-t-il.

Un Exil Intérieur

Quelques heures plus tard, Grand’Ma proposa à Précieuse d’aller au marché.

— Ça vous changera les idées.

Précieuse accepta, puis demanda :

— Où est Dieudonné ?

— Ce garçon s’est gentiment proposé d’arroser mon jardin, répondit Grand’Ma. Ton autre ami veut nous accompagner ?

Précieuse alla voir Paquito. Elle le trouva prostré, assis sur une chaise, fixant le mur.

— Prof, tu viens ? Ça te ferait du bien.

Il releva les yeux, le regard vide.

— J’ai un prénom, Précieuse… lâcha-t-il. Et je n’ai pas le cœur à aller chiner. Je ne sais pas comment tu fais.

Elle haussa les épaules.

— Ok. Continue à te morfondre, comme si ça pouvait changer quoi que ce soit.

Elle tourna les talons. Paquito resta seul.

Alors qu’il sombrait dans ses pensées, un bruit à la fenêtre le fit sursauter. Il ouvrit les rideaux et vit Dieudonné, un sécateur à la main.

— Hey, le Blanc, ça va ? lança le garçon en souriant.

Paquito soupira.

— Pas fort… Je ne sais pas comment vous faites pour ne pas être accablés.

— On est des enfants de French’Town. On a grandi à la dure. Alors même si ça nous touche, on essaie de ne pas se laisser abattre. On s’en remet au Très-Haut.

— Et ça marche ? demanda Paquito, sceptique.

— Parfois. Pas toujours. Mais c’est mieux que de sombrer.

Un silence s’installa. Puis Dieudonné ouvrit la main. Elle était remplie de chanvre.

— Regarde ce que j’ai trouvé dans le jardin de Grand’Ma.

Paquito esquissa un sourire.

— Elle a la main verte, la vieille.

— Allez viens, on s’en fume un, le Blanc. Ça te fera du bien.

Danse de Minuit

À la tombée de la nuit, Grand’Ma et Précieuse rentrèrent du marché, les bras chargés de victuailles.

— Hé ! Mais vous êtes en train de vous défoncer ?! s’exclama Précieuse en voyant Dieudonné et Paquito. Où vous avez trouvé ça ?

— Dans le jardin de Tabitha, avoua Dieudonné, hilare.

— Ça pousse partout, ici, ajouta Grand’Ma avec un sourire amusé.

Le dîner fut arrosé de rhum et de fumée. Précieuse, euphorique, posait mille questions à Grand’Ma, pendant que Dieudonné s’écroulait sur le canapé, ivre mort. Paquito, lui, ne marchait plus droit.

Il tituba jusqu’à sa chambre et s’écroula sur son lit. Sa tête tournait encore. Enfin, il allait pouvoir dormir…

Mais soudain, la porte s’ouvrit.

Précieuse.

Elle portait son pagne bleu, ses yeux brillaient d’ivresse et d’une lueur insaisissable.

— Alors, Prof, t’es défoncé ? murmura-t-elle.

— Complètement. Et toi, t’es pas mieux.

Elle sourit, connecta le lecteur de musique. Les murs vibrèrent aux rythmes sensuels d’un chant d’Africa.

— Allez, viens danser.

— Je… Je ne sais pas danser.

— C’est moi qui conduis, souffla-t-elle en l’attirant contre elle. Et il n’y a pas de moment pour laisser s’exprimer son corps.

Le parfum de Précieuse l’enivra, sa peau était chaude, vivante. Elle ondulait, libre, souveraine.

Puis elle recula, bascula en arrière dans un mouvement gracieux, laissant apparaître sa cuisse que Paquito caressa presque instinctivement.

D’un geste fluide, elle sauta sur lui. Il perdit l’équilibre et tombèrent sur le lit.

— Précieuse… qu’est-ce que tu fais ? murmura-t-il, troublé.

Elle posa un doigt sur ses lèvres.

— Chut.

Et elle laissa tomber son pagne.

L’Instinct, la Passion et l’Oubli

Précieuse dansait sur lui, sensuelle, féline, libre. Elle était la musique, la danse, la transe, l’abandon.

Paquito sentit son cœur s’emballer. L’alcool, l’herbe, la chaleur du corps de Précieuse contre le sien, tout s’entrechoquait dans une confusion grisante. Il voulait parler, mais elle le réduisit au silence posant sa main sur sa bouche.

Nue, elle ondulait sur lui, les paumes glissant sur son torse, caressant sa peau fiévreuse. Ses mouvements étaient parfaits, maîtrisés, instinctifs. Rien n’était forcé, tout ses mouvements semblaient naturels, comme si son corps connaissait une langue que le sien ne faisait que balbutier.

Paquito, pris dans cette vague de sensations, laissa Précieuse s’emparer de ses mains pour lui faire suivre ses courbes, sa peau ébène douce et brûlante sous ses doigts. Elle guidait, comme une danseuse menant son partenaire sans jamais perdre le rythme.

Elle baissa la tête, sa bouche effleurant son cou, remontant lentement jusqu’à ses lèvres. Son souffle était chaud, son parfum capiteux. Quand elle l’embrassa enfin, ce fut une déflagration.

Les vêtements de Paquito tombèrent sans hésitation ni pudeur. Elle ne lui laissa pas le temps de penser, de réfléchir, de s’interroger. Il n’y avait plus que le corps, la chaleur, le plaisir brut.

Précieuse était partout. Elle dictait chaque mouvement, imprimait le tempo, une vénus à la fois féroce et élégante, exaltée et précise. Fluide et souple comme une danseuse, un spectacle sensuel où chaque cambrure, chaque ondulation était une œuvre d’art en soi. Elle se mouvait comme une incantation, comme un envoûtement.

Paquito ne savait plus s’il était spectateur ou acteur de ce qui se jouait entre eux. Il se laissait emporter, posséder, submerger sentant son désir s’intensifier jusqu’à l’explosion.

Puis, dans un dernier mouvement, un dernier cri, il découvrit l’orgasme.

Le silence s’abattit sur eux. Une chape d’après-tempête. Précieuse, le corps encore luisant de sueur, s’affala à côté de lui sur le lit. Un sourire satisfait étirait ses lèvres. Le sourire d’un artiste fier de son œuvre.

Elle attrapa une cigarette et l’alluma d’un geste lent, sensuel. Elle tira quelques bouffées, puis la tendit à Paquito, encore désarçonné.

Il la fixa, perdu entre l’euphorie et la confusion.

Puis, sans un mot, Précieuse se leva, remit son pagne et se dirigea vers la porte.

— Attends… souffla Paquito, la gorge sèche. Où tu vas ?

Elle se retourna, l’air amusé.

— Me coucher.

Paquito fut soudain décontenancé.

— Te coucher ? Mais… c’était quoi, ça ? Tu crois qu’on devrait en parler ?

Elle leva les yeux au ciel, exaspérée.

— Oh, pitié, Prof. Il faut toujours que tu réfléchisses à tout, que tu analyses. Elle secoua la tête. Tu sais que t’es chiant comme mec ?

— Tu trouves ça anodin ? On vient de faire l’amour… à la veille de… Il s’arrêta, incapable de prononcer le nom de Lyra.

Précieuse haussa les épaules.

— Faire l’amour ? Elle eut un rire léger. C’est un bien grand mot. Toi aussi. J’avais juste besoin de danser, de me sentir vivante, là, maintenant de me changer les idées.

— C’était juste ça ? Une pulsion ?

Elle sourit.

— Une envie. Un instinct. Elle le fixa un instant. Tu as aimé, non ?

Paquito ouvrit la bouche, puis la referma. Bien sûr qu’il avait aimé. Il était encore étourdi par le plaisir du moment passé. Mais il ne comprenait pas Précieuse. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ?

Comme si elle lisait dans ses pensées, elle ajouta, sur un ton léger :

— Ne t’en fais pas, ça restera entre nous. Ni Destin, ni Lyra ne le sauront. Et de toute façon…

Elle se pencha vers lui, un sourire en coin.

— On retrouvera Lyra. Ça aussi, mon instinct me le dit.

Paquito bégaya.

— Précieuse, tu es… tu es…

— Je suis quoi ? Une sorcière ? plaisanta-t-elle.

Il secoua la tête, un peu perdu.

— Je ne sais pas… mais tu es envoûtante. C’était… dingue.

Elle sourit de plus belle.

— Je sais.

Puis, plus sérieusement :

— Mais crois-moi, oublions ça. Ça n’a pas tant d’importance. Et ne crois pas que j’éprouve quoi que ce soit pour toi. Tu n’es pas du tout mon style de mec en plus tu es trop vieux.

Il eut un rire amer.

— Ah. J’essaierai de m’en souvenir.

Elle se détourna.

— Bonne nuit, Paquito.

— Bonne nuit, Précieuse.

Quand elle disparut dans l’ombre du couloir, Paquito resta seul avec ses questions.

Pourquoi s’était-elle offerte à lui ? L’alcool, une pulsion de vie, une fuite ?

Mais surtout… comment allait-il assumer ça, demain ?

Plus que jamais, Paquito était perdu.

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