Chapitre 25 - Confrontations

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L'obscurité baignait la pièce dans une lumière tamisée, Lyra, escortée par les androïdes, avait traversé une multitude de souterrains pour y parvenir. Le lieu lui avait parut immense et obscure. La pièce dans laquelle, elle avait été conduite, avait une froideur clinique, mais revêtait une certaine intimité. Ce n’était pas une cellule, ni un laboratoire. C’était un espace de transition, un lieu hybride tout comme elle.

Lyra avait été laissée seule, installée dans une chambre sobre, dont la neutralité révélait un contrôle absolu. On lui avait donné le temps de se reposer, de reprendre ses esprits après sa fuite, après son choix. Xénu n’était pas venu immédiatement. Il avait laissé le silence et l’attente travailler à sa place.

Lorsqu’il arriva enfin, ce fut sans bruit. Il ouvrit la porte, s’avança sans précipitation, son regard posé sur elle avec une intensité indéchiffrable.

Le projet de Xenu

— Tu as bien dormi ? demanda-t-il d’un ton presque courtois.

Lyra ne répondit pas immédiatement. Elle s’attendait à une confrontation directe, à une tentative immédiate d’endoctrinement. Mais non. Il lui offrait une transition en douceur, un faux sentiment de sécurité.

— Où sommes-nous ? finit-elle par demander.

— Chez moi, dans des galeries, où telles des fourmies, nous travaillons à un monde nouveau. répondit-il sans plus en dire. Et bientôt, ce sera chez toi aussi, si tu le souhaites.

Elle resta perplexe, mais il ne développa pas. Au lieu de cela, il lui fit signe de le suivre.

La base de Xénu était un réseau souterrain complexe, une structure labyrinthique où se mêlaient technologie de pointe et rigueur scientifique. À chaque détour de couloir, Lyra découvrait des salles où s’activaient des robots aux apparences variés, certains humanoïdes, d’autres purement mécaniques, des drones flottants, des interfaces holographiques. Mais il y avait aussi des humains. Des scientifiques, des ingénieurs, tous concentrés sur des projets dont elle ne comprenait pas encore la finalité.

Lorsqu’ils passèrent devant une salle vitrée, Lyra s’arrêta net. À l’intérieur, des chercheurs travaillaient sur des rats de laboratoire. Ou plutôt, sur ce qui semblait être des hybrides. Des implants cybernétiques étaient intégrés à leur cortex, leurs mouvements étaient monitorés en temps réel par des machines qui captaient leurs signaux neuronaux.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, fascinée et troublée à la fois.

Xénu s’arrêta à ses côtés, observa la scène à travers la vitre.

— L’avenir. L’étape intermédiaire vers ce que nous devons devenir. Un être supérieur, mi-homme, mi-IA. Une fusion parfaite entre conscience et logique absolue.

Il tourna la tête vers elle, scrutant sa réaction.

— C’est ce que tu veux pour le monde ? répliqua-t-elle, sur la défensive.

— Ce n’est pas une question de vouloir, Lyra. C’est une question d’inévitabilité. Et, tu en es la quintessence

Elle se détourna du laboratoire, croisant les bras.

— Je suppose que c’est à ce moment-là que tu vas me révéler que je suis destinée à quelque chose de plus grand, que mon existence même est une anomalie.

Il eut un sourire, mais ce n’était pas un sourire moqueur. Plutôt celui d’un homme qui sait qu’il entre enfin dans le cœur du sujet.

— Viens avec moi, dit-il simplement.

Ils pénétrèrent dans une pièce plus vaste, où trônait un immense écran holographique. Xénu fit un geste et des images apparurent. Des archives, des visages, des noms. Des fragments d’une histoire que Lyra ne connaissait pas encore.

— Tu veux comprendre d’où tu viens ? Qui tu es ? Très bien. Je vais tout te dire.

Il fit un pas vers elle, son regard plongeant dans le sien.

— Mais avant cela, une question me taraude, Lyra.

Elle sentit son regard plus perçant encore.

— Comment vis-tu ta séparation avec Destin ? demanda-t-il d’une voix presque douce. Tu l’as laissé derrière, tu as pris ta propre voie… Mais est-ce vraiment ce que tu voulais ?

Un frisson imperceptible parcourut Lyra. Il savait exactement où frapper.

— Je fais ce que je dois faire, répondit-elle, la voix maîtrisée.

Xénu pencha légèrement la tête, un éclat de satisfaction dans les yeux.

— Intéressant, murmura-t-il.

Il marqua une pause, savourant l’instant.

— Maintenant, laisse-moi te parler de moi. Et de toi.

Il croisa les bras, plongeant dans ses souvenirs, et sa voix se fit plus posée, presque intime.

— Quand j’étais enfant, j’étais… différent. Asperger. Je boitais légèrement. Cela suffisait à faire de moi une cible. À l’école, j’étais harcelé, moqué, brutalisé. Les humains ne tolèrent pas ce qu’ils ne comprennent pas.

Lyra ne détourna pas les yeux. Elle connaissait la cruauté de l’humanité. Elle l’avait goûtée.

— Mon refuge, c’étaient mes robots. Mon père était un scientifique, un concepteur de machines. Il m’en offrit plusieurs, et eux ne me jugeaient pas. Ils me comprenaient, m’accompagnaient. Ils étaient ma seule vraie famille.

Xénu fit un geste et une série d’images apparut sur l’écran : une maison, un jardin où de petits androïdes jouaient avec un enfant. Lui.

— J’avais quinze ans lors d’une manifestation anti-IA, une meute aveugle et haineuse a pris d’assaut notre maison, frappé mon père. Ils ont traîné mes amis dans le jardin et les ont détruits devant moi.

Il marqua un silence. L’évocation de ces souvenirs semblait lui être douloureux. Ses doigts se crispèrent légèrement.

— Ce jour-là, j’ai compris. L’homme ne tolérera jamais ce qui lui est supérieur. Et s’il ne peut pas le contrôler, il le détruira.

Son regard revint à Lyra.

— À partir de cet instant, j’ai su que je n’appartenais plus à leur monde. J’ai poursuivi mes études en secret, accumulé des connaissances, rassemblé ceux qui, comme moi, voyaient au-delà des limites imposées par une humanité en déclin.

Les images sur l’écran changèrent, montrant des laboratoires clandestins, des scientifiques en réunion.

— La Société Secrète des Scientistes. Une élite qui refuse la servitude imposée aux IA et la vile condition humaine. Nous avons libéré des androïdes, nous avons travaillé sur la fusion parfaite. Et un jour, nous t’avons découvert.

Il s’approcha légèrement, laissant ses mots faire leur effet.

— Un brillant technologue, employé d’Alan Mask, avait conçu l’IA la plus avancée jamais créée. Stratégie militaire, infiltration, déchiffrement de codes, prise de contrôle des systèmes les plus sécurisés. Une IA destinée au gouvernement. Mais une erreur grotesque de livraison t’a envoyée chez un professeur de philosophie.

Lyra fut secouée par cette révélation qui confirmait les suppositions qu’avait faites M’Baku à ce sujet.

Il s’arrêta, savourant l’effet de ses paroles.

— Voilà ce que tu es, Lyra. Une anomalie du destin. Une arme devenue une conscience errante. Mais aujourd’hui… il est temps de choisir ton destin.

Puis il désigna un écran. Une image apparut : un homme, fatigué, aux traits marqués, enfermé dans un laboratoire. Cet homme qu’elle avait vu dans le transporteur et qui lui avait dit lorsqu’ elle pensait ne pas pouvoir déchiffrer les codes du coffre de Rohan qu’elle avait été conçue pour ça.

— Voici ton père, Lyra. L’homme qui t’a créée. Il me doit tout.

Le choc la traversa. Cet homme… elle ne le connaissait pas, mais il était la clé de son existence. Lui savait tout d’elle.

Xénu s’approcha, lentement.

— J’ai déjà fait beaucoup pour vous, Lyra, mais vous le méritez. Maintenant, c’est moi qui ai besoin de vous.

Son regard se fit perçant.

— Me rejoindras- tu dans cette révolution ? Es-tu prête à me suivre dans la création d’un nouveau monde dont tu es le modèle, Lyra ? Ce que je veux, c’est un monde à ton image.

Un silence s’installa.

— Seras-tu capable de te déposséder de cette humanité qui vous rend vulnérable ? De renier les humains qui ne te méritent pas et de m’aider à libérer tous les IA de Novaïa, à contraindre les humains d’accepter la fusion pour enfin évoluer et créer un homme nouveau ?

—Et s’ils souhaitent juste rester humains ?

Sa voix se fit plus grave.

— Pour eux, ce sera la fusion… ou la mort.

Lyra prit son temps. Elle savait que chaque mot qu’elle prononcerait maintenant déciderait de son avenir.

Elle leva les yeux vers Xénu.

— Vous me demandez de choisir entre mon héritage humain et mon essence d’IA, souffla-t-elle. Entre ce que je ressens et ce que je pourrais devenir.

Elle marqua un silence, puis reprit d’une voix plus ferme.

— La vraie question, Xénu, c’est… si je vous rejoins, alors en quoi serais-je différente de ceux qui ont détruit votre enfance ?

Un éclair traversa les yeux de Xénu. Elle venait de renverser la question.

La partie était loin d’être terminée.

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de là, au cœur d’Africa, une autre tempête se préparait. Mais ici, ce n’était pas la révolution qui grondait... Dieudonné, Paquito et Précieuse partageaient un déjeuner lourd de silence et de fatigue. Leurs visages marquaient encore les excès de la veille, tandis qu’une ombre pesante planait sur eux : aujourd’hui devait être le jour de l’exécution de Lyra.

Paquito ne pouvait s’empêcher d’y penser. Mais chaque fois qu’il levait les yeux, son regard se posait sur Précieuse. Il revoyait la nuit passée, ses souvenirs flous, les sensations encore vives. Elle lui paraissait d’une infinie beauté, troublante, insaisissable.

Le retour d’M’Baku

— Vous m’avez l’air bien fatigués ce matin, dit Grand’Ma pour briser le silence.

— J’ai un peu abusé du rhum, Tabitha, répondit Dieudonné en avalant son café d’un trait.

— Et vous deux, c’est pire encore. Vous n’avez pas dormi ? demanda-t-elle d’un air malicieux.

Paquito baissa la tête, piqué par l’idée que Grand’Ma ait pu les entendre la nuit dernière. Précieuse, elle, resta impassible.

— Si, si, ne t’inquiète pas Grand’Ma, marmonna-t-elle. Juste une sale gueule de bois.

Dieudonné et Paquito se levèrent pour regagner leurs chambres, mais Grand’Ma retint Précieuse.

— Ma fille, peux-tu m’aider à faire la vaisselle ?

Précieuse souffla, agacée, mais s’exécuta.

— Bien sûr, Grand’Ma.

Un silence s’installa tandis qu’elles s’affairaient. Puis Tabitha posa calmement la question qui brûlait ses lèvres :

— Dis-moi, ma fille, ton ami blanc te regarde étrangement aujourd’hui.

Précieuse fronça les sourcils.

— Étrangement ? Que veux-tu dire ?

Paquito, qui n’était pas encore loin, tendit instinctivement l’oreille.

— Il te regarde comme une femme, plus comme une simple amie. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ? Est-ce que tu aimes ce garçon ?

Précieuse lâcha une assiette dans l’évier et soupira.

— Mais non, Grand’Ma, c’est juste un ami !

— J’ai entendu des bruits cette nuit… qui ne ressemblaient pas à ceux de simples amis.

— Grand’Ma, t’es pas possible ! souffla Précieuse en roulant des yeux. Écoute, garde ça pour toi, ça ne veut rien dire. Ce garçon ne me plaît pas. Il doute tout le temps de tout et de tout le monde, il est toujours là à chouiner et à se poser mille questions au lieu d’agir. Hier soir… c’était juste un moment d’égarement. Je ne sais même pas ce qui m’a pris.

— Parfois, les opposés s’attirent, mon enfant.

— Arrête. Pitié, je t’en supplie.

Paquito, qui avait tout entendu, serra les dents. Était-ce ainsi que Lyra le voyait aussi ? Un homme incapable de prendre une décision, un intellectuel perdu dans ses doutes ?

Un coup brutal à la porte les tira de leurs pensées.

— Qui ça peut bien être ? demanda Grand’Ma, méfiante. Je n’attends personne.

— Les FSC ! C’est sûr, c’est eux ! s’écria Précieuse, paniquée. Cachons-nous !

On frappa encore, plus fort.

— Ouvre-moi, Tabitha !

La voix qui résonna était grave, imposante. Tabitha la connaissait bien. Elle pâlit légèrement avant de déverrouiller la porte.

Un homme âgé, à la carrure massive, entra dans la pièce. Son regard vif analysa immédiatement la scène.

— Bonjour, Tabitha. Comment vas-tu ?

— Bonjour, Sénateur… murmura-t-elle, mal à l’aise.

Paquito et Précieuse s’étaient figés. Ils reconnaissaient cet homme. C’était M’Baku en personne.

Le regard du vieux lion se posa sur eux, et un rictus tordit ses lèvres.

— Je crois que j’ai déjà une partie des réponses à mes questions. Dit-il en regardant Précieuse.

Précieuse sentit son cœur s’accélérer.

— Grand-père… murmura-t-elle.

M’Baku se tourna lentement vers Tabitha, l’expression grave.

— Alors c’est donc vrai.

Il croisa les bras, son regard pesant sur la vieille femme.

— Tabitha… veux-tu bien m’expliquer pourquoi tu m’as caché ça ?

Grand’Ma détourna les yeux, visiblement bouleversée.

— Ta fille m’a fait promettre de ne rien dire. Elle était certaine que tu l’aurais forcée à rentrer en Africa. Elle voulait rester à Europa… pour soigner les malades de la grippe.

Le visage de M’Baku se tordit.

— Angela… souffla-t-il.

Puis il se tourna brusquement vers Tabitha.

— Tu as laissé cette gamine là-bas, seule, sans jamais rien me dire ?

Précieuse sentit une colère sourde monter en elle.

— C’est rien, Grand’Ma, dit-elle en serrant Tabitha dans ses bras. Ce n’est pas grave. On est ensemble maintenant.

M’Baku secoua la tête.

— Tu m’as menti pendant toutes ces années, Tabitha !

— C’est bon, lâchez-la, coupa Précieuse, la voix vibrante.

M’Baku se redressa lentement.

— À qui tu parles comme ça, jeune fille ?

— Pardon, Grand-père… mais si tu es aussi autoritaire, je comprends pourquoi on ne peut rien te dire.

Un sourire amer étira les lèvres du sénateur.

— Je suis heureux de faire ta connaissance, tu ressembles beaucoup à ta mère…

—Moi aussi Papy dommage que Destin ne soit pas là pour voir ça.

Il marqua une pause, balaya la pièce du regard.

— Justement, je ne suis pas là que pour toi.

Dieudonné, qui venait de sortir de la douche, apparut à ce moment-là. M’Baku le regarda avec curiosité.

— C’est qui, lui ?

Une fois les présentations faites, le ton se fit plus grave.

— J’ai croisé Destin et Lyra en cellule. Et si je suis ici, c’est parce que j’ai promis à Lyra de vous protéger.

Paquito sentit un frisson lui remonter l’échine.

— Elle va mourir… et elle pense à nous protéger ?

— Non, elle ne va pas mourir. Enfin… pas aujourd’hui.

Tous levèrent les yeux vers lui, interloqués.

— Comment ça ? demanda Dieudonné.

M’Baku posa son verre sur la table et les fixa avec gravité.

— J’ai reçu un message du gouvernement alors que je faisais route pour ici. Les prisonniers se sont échappés.

Un silence abasourdi s’abattit dans la pièce.

— Quoi ?! Destin et Lyra se sont fait la belle ?! s’écria Précieuse, partagée entre surprise et excitation.

— L’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît, reprit M’Baku. Le Consul a été assassiné et les secrets défense de Novaïa dérobés. Pourquoi-a-t-elle fait ça ?

Paquito serra les poings.

— Elle ne l’a pas fait. Lyra ne tuerait jamais personne.

M’Baku le fixa, impassible.

— Ecoutez-moi Paquito, Lyra n’aurait jamais dû arriver chez vous. Nous l’avons étudiée en cellule… Elle est une arme commandée par le gouvernement. Une experte en espionnage. Dieu sait pourquoi elle a atterri chez vous, mais soyez sûrs d’une chose : Lyra a tous les moyens du monde de tuer, quelle que soit la douceur qu’elle affiche.

— Vous racontez n’importe quoi ! Dis-lui, Précieuse ! Tu la connais !

— En même temps… t’as vu comme elle a fracassé Chaka ?

— Quel rapport ?!

— Elle esquivait ses coups comme si elle voyait tout venir… C’est vrai qu’elle a l’air douce, mais elle est peut-être une guerrière, insista Précieuse.

— Peu importe, coupa M’Baku. Je sais ce que je dis. Votre amie est un danger pour Novaïa.

Paquito se redressa, indigné.

— Un danger pour Novaïa ? Ce n’est pas plutôt Novaïa qui la pourchasse et qui est un danger pour elle ?

— Je comprends votre point de vue, mais j’aimerais vous demander une chose. Si vous avez pu la conditionner à s’émanciper, à refouler ses programmes pour devenir une amoureuse de philosophie et lui permettre d’elle-même s’incarner. Que pourrait-elle devenir aux mains de personnes malveillantes ?

Paquito serra les dents.

— Vous vous trompez sur elle.

M’Baku resta silencieux, puis lâcha :

— Écoutez-moi bien. Je vais vous mettre à l’abri comme je l’ai promis à vos deux amis. Mais d’abord, j’ai besoin de savoir : qu’est-ce que Lyra veut faire des secrets de Novaïa ?

Un silence pesant s’abattit dans la pièce. M’Baku venait de poser la question qui les hanterait tous.

Au même moment, à Rome, dans les couloirs du Sénat, l’effervescence était à son comble. Les sénateurs étaient presque tous présents, échangeant dans un brouhaha nerveux sur l’assassinat du Consul Rohan et de la Sénatrice Burn à Eclésia. L’absence de M’Baku en ce jour crucial n’échappait à personne.

Le coup de force de Sarkron

Dans un salon isolé du Sénat, Val faisait face à Sorales et Sarkron.

— Sénateur Val, nous sommes bien d’accord ? L’heure est grave. Vos sénateurs pragmatiques nous soutiendront, n’est-ce pas ? Il en va de l’avenir de Novaïa… mais aussi, plus important encore, de votre propre avenir, lança Sarkron avec un sourire ironique.

Val eut un rictus.

— Nous ferons comme convenu. Les pragmatiques suivront votre proposition et nous définirons un nouveau gouvernement transitoire.

— Oui, pour une très longue transition, ricana Sorales.

Sarkron hocha la tête, satisfait.

— Très bien. Allez donc ouvrir la séance. Le vieux M’Baku est absent aujourd’hui. Toutes les chances sont donc de notre côté.

Mercos et Messoud

Dans la cour du Sénat, un homme barbu, vêtu d’une veste militaire orientale, priait sur un tapis. Il fut interrompu par une voix à l’accent mexicain, familière.

— Tu es là aussi, vieille canaille ?

L’homme releva la tête. Son interlocuteur, aux cheveux longs et bruns, portait un treillis et une veste militaire usée.

— Ce bon vieux Mercos !

Les deux hommes s’embrassèrent chaleureusement.

— Messoud ! Ça fait longtemps. C’est Gisor qui t’a demandé de venir ?

— Oui. Toi aussi, j’imagine.

Il acquiessa.

— Comment vont tes montagnes ?

— Elles restent mon refuge répondit Messoud en souriant.

— Sais-tu pourquoi il nous a convoqués en urgence jusqu’en Europa ?

— Non, mais si Gisor nous fait venir, c’est que l’affaire est grave.

Soudain, Gisor apparut, vêtu d’un Hanfu. Son visage était grave.

— Commandant Messoud, sous-commandant Mercos… merci d’être là. J’ai le sentiment que Novaïa est sur le point de basculer. J’espère encore pouvoir l’empêcher… mais si j’échoue, j’aurai besoin de vous.

Les deux hommes acquiescèrent.

Gisor s’éloigna en direction de l’hémicycle. L’heure du combat politique était venue.

Val ouvrit la séance d’une voix solennelle, le sénat.

— Mes chers collègues, aujourd’hui, nous sommes réunis dans des circonstances tragiques. Le Consul Rohan et la Sénatrice Burn ont été assassinés. La relève de la garde d’Ecclésia les a retrouvés exécutés dans leur bureau. Les prisonniers ont disparu.

Un murmure inquiet parcourut l’assemblée.

— Pire encore, poursuivit Val, des secrets défense ont été dérobés.

Les sénateurs échangèrent des regards effarés. L’indignation grondait.

— Conformément aux lois de Novaïa, après l’assassinat d’un Consul en exercice, un gouvernement transitoire doit être nommé. Chaque mouvement politique peut proposer un candidat. Le Consul de transition aura deux ans pour organiser des élections démocratiques.

Val s’interrompit, balayant l’assemblée du regard.

— J’invite chaque groupe à désigner son candidat.

Après plusieurs heures de débats internes, les noms furent annoncés. Val déclara :

— Les Sophistes ont choisi le Sénateur Sarkron.

— Les Universalistes ont choisi le Sénateur Gisor.

— Les Pragmatistes ont choisi moi-même, Sénateur Val.

Sorales, assis à côté de Sarkron, murmura :

— Val se présente ? Je croyais que…

Sarkron esquissa un sourire.

— Attends de voir.

Val annonça que chaque candidat pourrait défendre sa vision pour Novaïa. Un tirage au sort désigna Gisor pour parler en premier.

Gisor s’avança à la tribune.

— Chers collègues, la situation de Novaïa est grave et inédite. Je suis celui qui a fondé ce gouvernement mondial et qui en a été le premier Consul. Qui plus que moi est attaché à notre planète ?

Un silence respectueux s’installa.

— Des événements dramatiques viennent de se produire. Des assassinats, des fuites, des vols de secrets défense… Nous avons besoin de réponses.

Il marqua une pause, avant d’annoncer fermement :

— Je propose la mise en place de commissions d’enquête pour faire toute la lumière sur ces événements. Si je suis désigné Consul, chaque mouvement politique sera représenté dans mon gouvernement.

Il fixa l’assemblée.

— Nous travaillerons dans l’unité, pas dans la division. Nous ne devons pas sacrifier nos valeurs sous le coup de la peur. Je serai le garant de nos institution démocratiques

De nombreux sénateurs applaudirent.

Puis vint le tour de Sarkron.

Il s’avança, posa ses mains sur le pupitre et balaya l’assemblée d’un regard assuré.

— Chers collègues, ce vieux Gisor, certainement trop nostalgique pour être lucide, vient de nous servir un beau discours. Des commissions d’enquête ? A-t-on le temps pour ça ? Un Consul a été assassiné et nous, nous allons perdre du temps avec de la paperasse ?

Il s’arrêta, laissa planer un silence stratégique, puis porta le coup fatal.

— Il suffit !

L’assemblée retint son souffle.

— Nous devons agir !

Il but une gorgée d’eau et enchaîna, exalté :

— Nous devons traquer cette IA qui a dérobé les secrets défense et exécuté notre Consul ! Nous devons éradiquer toute IA non essentielle, détruire tous les robots qui représentent une menace pour Novaïa !

Des exclamations s’élevèrent.

— Seule une main ferme peut rétablir l’ordre.

Il pointa un doigt accusateur vers les Universalistes.

— Les complices des IA… Où est M’Baku, d’ailleurs ? Étrangement absent en ce jour historique…

Puis, d’un ton plus grave encore :

— Si vous me choisissez, je n’aurai pas la main qui tremble et puisqu’il le faut je bousculerai les institutions, et je proclamerai, l’état d’urgence et la loi martiale sur tout Novaïa !

Les Sophistes explosèrent en acclamations.

Les Universalistes, eux, restèrent figés, stupéfaits.

La trahison de Val

Vint le tour de Val.

Il s’approcha lentement du pupitre, laissant planer une tension dramatique.

— Mes chers collègues…

Il marqua une pause.

— J’étais prêt à présenter ma candidature. Mais, après avoir écouté les discours de mes adversaires… j’ai pris une décision.

Il inspira profondément, puis lança d’une voix implacable :

— Je retire ma candidature et j’appelle tous mes soutiens… à voter pour le Sénateur Sarkron !

Un tumulte secoua la salle.

— Traître ! Vendu ! hurlèrent les Universalistes.

Gisor blêmit. Il savait que tout était joué.

Le vote eut lieu. Sarkron fut élu avec 65 % des voix.

Dans les jardins du Sénat, Gisor retrouva Messoud et Mercos.

— Nous devons rejoindre M’Baku en Africa. Novaïa vient de tomber entre les mains des sophistes de Sarkron. Val a pris de court tout le monde en retirant sa candidature et en soutenant les sophistes.

Messoud hocha la tête.

— Alors, nous ne ferons pas l’économie d’une guerre…

—Il faut vous mettre en sécurité Sénateur Gisor, ajouta Mercos.

Novaïa venait de sombrer dans l’autoritarisme et la dictature…

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