Chapitre 35 - Sauve qui peut
Dans les souterrains, l’air était humide et chargé de l’odeur de terre. Destin et Paquito guidaient les survivants qui avaient pu s’y réfugier. Derrière eux, des centaines de silhouettes avançaient péniblement, des femmes, des enfants, des vieillards, des blessés.
— Dépêchez-vous, ils ne vont pas tarder ! cria Paquito.
— Mes enfants ! Je ne retrouve pas mes enfants ! hurla une femme en pleurs.
Paquito reconnut Mama Chi qui était une figure de French’Town. Précieuse lui avait parlé d’elle. Elle avait gardé ses enfants.
— Ils doivent être devant, ne vous arrêtez pas ! assura-t-il, pour la rassurer même s’il n’en était pas certain.
Les cris résonnaient dans le tunnel comme un écho infernal. Certains trébuchaient dans la boue, se relevaient, titubaient. D’autres appelaient des proches disparus dans la cohue, leurs voix déchirantes se perdant dans la masse fuyante.
Dans cette apocalypse, son regard balaya la foule en quête de visages familiers. Où étaient Précieuse et Lyra ?
Plus loin, Destin portait sur son épaule une femme blessée, dont le corps mutilé témoignait de l’explosion qui l’avait frappée. Elle souffrait en silence, la dignité peinte sur son visage marqué par la douleur.
Une voix déchira le tumulte.
— Destin ! Destin !
Il se retourna vivement et aperçut Lyra accourant vers lui.
— Lyra ! Où est Précieuse ?
— Je ne sais pas. Mercos m’a conduite ici, et elle devait rejoindre M’Baku.
Le visage de Destin se figea. Il serra les mâchoires, le regard levé vers le plafond du tunnel comme s’il cherchait une réponse dans la pierre.
Puis, il tourna son regard vers Lyra et lui tendit la femme blessée.
— Prends-la.
Lyra le regarda, d’un air perplexe.
— Destin…
— Je dois aller la chercher.
— Fais-lui confiance, elle va nous rejoindre.
— Je ne prends pas ce risque.
Il confia la femme à un homme qui passait, puis rebroussa chemin. Lyra tenta de l’arrêter.
— Tu n’y arriveras pas, c’est trop tard !
— Va retrouver Paquito. Je ramène Précieuse.
Destin disparut parmi la foule fuyante rebroussant chemin.
À l’entrée du tunnel, il la vit.
Une silhouette titubante, couverte de sang.
— Mon Dieu… Précieuse ?!
Elle leva un regard vide vers lui. Du sang maculait son visage, ses bras, sa poitrine. Mais elle n’était pas blessée.
— Qu’est-ce que… c’est quoi tout ce sang ?
Elle déglutit et chuchota :
— C’est celui de Sorales.
Destin eut un frisson.
— Qu’as-tu fait ? Où sont Mercos, Yuenü, les autres ?
Un silence pesant.
— Morts. Tous morts. J’ai tué ce porc.
Elle s’effondra dans ses bras.
Au-dessus d’eux, des cris et des tirs éclatèrent.
— Regardez ! Ils s’enfuient par un tunnel !
Précieuse redressa la tête, les yeux écarquillés.
— Il faut le faire s’effondrer.
Destin la saisit par la main.
— Viens, on doit rejoindre Paquito et Lyra !
Ils coururent à travers le tunnel, dépassant les réfugiés paniqués.
— Dépêchez-vous ! Ils sont à nos trousses ! criait Destin.
Un homme vêtu de la tunique bleue se tenait sur leur passage, hagard.
— Camarade ! l’interpella Destin. Tu as une grenade sur toi ?
L’homme cligna des yeux, hébété.
— Pourquoi ?
— Pour sceller ce foutu tunnel.
Il fouilla dans sa veste et lui tendit une grenade. Destin la fit rouler jusqu’à l’entrée. L’explosion fit trembler la terre et ensevelit l’entrée avec les soldats qui tentaient d’y pénétrer.
Le lynchage de Sabé
Ils marchèrent longtemps, en silence. Précieuse, le regard perdu. Destin, le poing crispé.
Enfin, ils aperçurent Lyra.
— Où est Paquito ? demanda Précieuse, le souffle court.
— Je ne l’ai pas vu… répondit Lyra, inquiète. Que t’est-il arrivé ?
Ils continuèrent leur progression jusqu’à une cavité plus large du tunnel, où une silhouette était assise sur une pierre.
— Lyra ? Précieuse ?
Paquito se leva précipitamment et les serra dans ses bras.
Précieuse s’effondra à nouveau en larmes contre lui.
— Où sont les autres ? demanda Paquito.
— Morts. souffla Destin.
Un silence écrasant s’abattit sur eux.
— Comment ont-ils pu entrer aussi facilement ? murmura Destin.
Lyra fixa le sol, songeuse.
— Par le même chemin qu’on en sort, probablement.
Paquito passa une main sur son visage.
— Et maintenant ?
— Ils vont nous traquer partout. Souffla Destin.
— On peut trouver refuge en Asia c’est ce que disait Yuenü proposa Destin.
Lyra secoua la tête.
— On n’y arrivera jamais sans se faire prendre.
— T’as une meilleure idée ? À part encore me planter pour un vieux fou ? lança Destin, amer.
Lyra soupira.
— Je pensais justement à Xenu.
Destin la fusilla du regard.
— Décidément, tu ne peux pas te passer de lui.
— Depuis son complexe, on peut peut-être s’échapper. J’ai une idée. Vous me faites encore confiance ?
Paquito lui prit la main.
— Je t’ai toujours fait confiance.
— Moi plus du tout. Mais je n’ai pas le choix rétorqua Destin.
— Moi, je vous suis. Ajouta Précieuse.
— Alors ne tardons pas.
Ils s’apprêtaient à partir quand Paquito heurta un homme encapuchonné.
Dans l’impact, la capuche tomba.
Keny Sabé.
Précieuse recula instinctivement.
— Qu’est-ce que tu fais là, Sabé ? l’interpella-t-elle. Je croyais que tu avais quitté French’Town.
— Je… On m’a arrêté. J’ai été amené ici.
Lyra l’observa attentivement.
— Il ment.
Destin serra les poings.
— Sale chien… C’est toi qui nous as vendus, c’est toi qui les as amenés ici.
Il lui décocha un coup de poing.
— Regarde ce que t’as fait !
Un deuxième coup. Un troisième. Sabé ne se défendait pas comme anesthésiait par ce qu’il avait provoqué, sous les coups répétés, il s’effondra au sol. Hagard.
Paquito et Lyra tentèrent de l’arrêter.
— Destin, arrête ! Tu vas le tuer !
Précieuse cracha sur Sabé.
— Tu nous as tous trahis.
La foule commença à se rassembler, attirée par les cris. Puis, les insultes fusèrent.
— C’est lui ! Il nous a livrés ! J’ai perdu mes enfants à cause de lui cria un homme
—Tu vas nous le payer cria une femme à côté.
Une femme brisée s’approcha de Sabé. D’un geste sec, elle lui cracha au visage.
— Sale chien…
D’un coup, elle lui asséna une gifle. Puis un autre coup vint. Puis un troisième. La tempête s’abattit.
La foule continua à frapper l’ancien leader de leur quartier. Les coups pleuvaient. Sabé tenta de se recroqueviller, les quatre amis tentèrent de retenir la foule qui s’abbatait sur Sabé ivre de colère mais rien ne pouvait les rentenir. Sabé fut lynché jusqu’à ce son corps resta inerte.
Paquito détourna les yeux, écœuré.
— Nous devenons tous fous… murmura-t-il.
Précieuse haussa les épaules.
— C’est fait. On ne va pas pleurer sur son sort.
Lyra regarda la scène, son regard alourdi d’une tristesse infinie.
Puis, sans un mot, elle se retourna.
— Venez. Il est temps de quitter cet enfer.
Ils la suivirent sans protester, trop fatigués, trop brisés pour discuter. L’exil les attendait.
Aux premiers rayons du soleil, à French’Town, les prisonniers furent conduits dans le gymnase du Colisée. Des centaines d’entre eux étaient entassés là, assis sur le sol froid, sous la menace des fusils.
Mercos le condamné héroïque
Un peloton d’exécution procédait aux mises à mort, un par un. Chaque prisonnier devait assister, impuissant, au sort de ses camarades. Les tortionnaires, hilares, allaient les chercher individuellement.
— C’est ton tour, dit adieu à la vie, ricana un garde en emmenant un homme vers la cour.
Mercos était assis en cercle avec plusieurs prisonniers. Parmi eux, un jeune homme s’approcha.
— Sous-commandant Mercos… C’est bien vous ?
— Oui, c’est moi. Et toi, qui es-tu ?
— Aboubakar, des Tuniques Bleues. J’ai essayé de me fondre dans la foule en jetant ma tunique… Mais ils m’ont quand même eu.
Mercos hocha la tête en signe de camaraderie.
— Enchanté, Aboubakar. Et désolé que notre première rencontre ait lieu dans ces circonstances.
— Je vous ai vu sur les barricades, vous savez.
— Alors, je suis sûr que tu es un grand guerrier.
Un autre prisonnier intervint d’une voix tremblante.
— Comment pouvez-vous parler aussi calmement ? Moi… Moi, je suis terrifié.
Mercos posa un regard apaisant sur lui.
— Je comprends. Nous avons tous peur. Mais pourquoi leur montrer ?
Une femme, assise à ses côtés, murmura :
— Finalement, la Commune nous aura tous menés à l’abattoir…
Mercos la fixa avec douceur.
— Tu t’es battue, n’est-ce pas ?
— Oui. C’est pour ça que je suis ici.
— Alors écoute-moi. Tu ne vas pas mourir. Les livres parleront de toi après ta mort, et la Commune t’a offert l’immortalité. Personne n’oubliera que French’Town s’est levée, qu’elle a mis en déroute Sorales et son armée. Personne n’oubliera que c’est ici que Sorales est tombé.
Il marqua une pause et lui demanda doucement :
— Comment t’appelles-tu, ma sœur ?
— Tania… souffla-t-elle.
Mercos esquissa un sourire.
— Alors l’histoire racontera que Tania la Rebelle s’est levée et a combattu l’injustice. Ceux qui vont t’abattre aujourd’hui… Personne ne se souviendra d’eux, si ce n’est comme de lâches assassins. Eux seront vivants demain mais ils sont déjà morts depuis longtemps. Toi, tu te survivras.
Tania hocha lentement la tête. Son regard s’illumina d’une lueur de fierté retrouvée.
Au fond du gymnase, les exécutions se poursuivaient méthodiquement. On forçait les prisonniers à regarder, à intégrer chaque mort comme une annonce de la leur.
Et pourtant, parmi eux, une voix s’éleva.
Doucement. Fragile au début.
Puis d’autres voix s’y joignirent.
Bella Ciao.
Mercos tourna la tête vers Tania et Aboubakar.
— Tu vois ? Tu vivras jusque dans les chansons.
Tania et Aboubakar reprirent le chant, plus fort. Un coup de crosse s’abattit sur leur dos.
— Taisez-vous, racaille ! hurla un garde.
Mais les voix continuaient.
— O partigiano…
Un garde frappa encore, mais il ne parvint pas à étouffer les paroles.
— Bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao…
Enfin, on vint chercher Mercos.
— Ton tour, sous-commandant de rien du tout, dit d’un air goguenard, un garde.
Le sergent Garcia, en charge des exécutions, eut un sourire sadique en voyant Mercos approcher.
— Alors, j’espère que tu goûtes l’amertume de ta défaite…
Mercos le fixa, défiant.
— Il n’y a de progrès que dans la lutte, sergent.
— Tu vas aller faire le mariole en enfer, raclure.
Mercos n’avait jamais cru au paradis ni à l’enfer. Mais cette phrase éveilla en lui une pensée singulière.
Messoud, j’arrive…
On le plaça contre le mur du gymnase. Cinq tireurs levèrent leurs fusils.
Le sergent Garcia s’approcha une dernière fois.
— Un dernier mot, Mercos ? Tu veux demander pardon ?
Le sous-commandant prit une profonde inspiration, fixa les soldats en face de lui, puis sourit. Un sourire paisible, presque christique.
Puis, il prononça d’une voix ferme :
— La Commune refleurira.
Le peloton fit feu.
Mercos s’effondra.
Il venait de rejoindre Messoud.
À Ecclésia, Sarkron fulminait. Impossible de joindre Sorales. L’attente devenait insupportable.
Le dernier coup de Sarkron
— Val, trouvez-moi le capitaine Kurck. Tout de suite.
Son assistant obtempéra. Après quelques minutes, la connexion fut établie.
— Capitaine Kurck, nous n’arrivons pas à joindre Sorales. Que se passe-t-il ?
La voix du capitaine résonna dans le haut-parleur.
— Monsieur le Consul, Sorales a été assassiné durant l’assaut.
Un silence s’abattit sur la pièce. Sarkron ferma les yeux un instant comme pour digérer la nouvelle, puis explosa.
— Assassiné ?! Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?!
— Honorable Consul, nous avons repris French’Town. M’Baku, Mercos, Messoud et Yuenü ont été éliminés. La mission est un succès.
— Et l’IA ?! s’inquièta Sarkron.
— Nous avons exécuté la majorité des prisonniers. Mais nous ne l’avons ni retrouvée, ni identifiée parmi les corps.
Sarkron frappa du poing sur la table.
— Elle est où, bordel ?!
— Certains rebelles ont fui par un souterrain. Il est possible que l’IA ait péri dans les caves incendiées par les Civitas. Nous tentons d’identifier les restes.
Sarkron passa une main sur son visage, tentant de contenir sa colère.
— Quel bordel…
Val l’observa avec inquiétude.
— Vous avez maté la rébellion et éliminé M’Baku, Consul. Pourquoi cette inquiétude ?
Sarkron fixa l’horizon à travers la baie vitrée.
— Parce que je n’ai pas retrouvé l’IA. Et parce que je n’ai plus le choix.
Val comprit aussitôt.
— Vous allez vraiment rebooter ?
— Trois jours sans réseau, Val. Nous sommes revenus à l’âge de pierre. Les communications sont à l’arrêt, l’économie s’effondre, les tensions montent. Je ne peux pas laisser ça durer.
Le capitaine Kurck reprit la parole.
— Une dernière chose, Consul. Nous avons un prisonnier. Un certain Stefen Job. Il affirme pouvoir nous conduire à Xenu. Il prétend que Xenu et l’IA ont détourné le satellite et orchestré la révolte. Nous attendons vos ordres.
Sarkron afficha un sourire triomphant. Il pouvait se débarasser de tous ceux qui l’avaient défié.
— Attrapez-moi ce salopard de Xenu.
Il ajouta :
—Une dernière chose. Capitaine, je vous envoie quelqu’un qui vient d’America, c’est une personne très importante, je me suis mis d’accord avec lui nous avons scellé un contrat. Vous devrez suivre ses consignes.
— À vos ordres, Consul
Pendant que Lyra et ses camarades tentaient de fuir pour sauver leurs vies. Sarkron avait repris la main. Et, il avait un nouvel allié.
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