Chapitre 3

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- Tes parents, ils sont où ? me demande Jane pendant qu'elle fouille dans la caisse.

Je baisse la tête. Je crois que c'est la première fois que je vais l'admettre à haute voix, devant quelqu'un.

- Il sont morts.

Je vois ses yeux s'écarquiller. Elle a vraiment l'air désolé. Tiens, ça aussi c'est devenu rare voir inexistant. Des personnes vraiment inquiètes pour moi. Des personnes vraiment désolées de ce qui m'est arrivé.

- Désolée, murmure t-elle. Je voulais pas, enfin pas...

Elle jure à voix basse, puis, ajoute, pour elle-même :

- Non, mais tu fais exprès de mettre les gens mal-à-l'aise Jane c'est pas possible !

Elle voit que je l'observe et m'explique :

- Ah oui, je parle souvent toute seule alors ne te sens pas responsable de ce que je dis. Tout le monde dit que je suis folle, mais je m'en fous. L'image que les gens ont de moi n'est pas importante. A partir du moment où je ne leur adresse pas la parole ou que je les ignore (ou encore que je leur tire dessus, soyons clairs), ça veut clairement dire que je n'en ai rien à faire de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils disent de moi.

Elle continue de farfouiller dans la caisse, tournant et retournant les objets explosifs dans tous les sens.

Je me crispe.

Depuis la mort de mes parents, j'ai une peur de la mort qui est presque devenue une maladie. Comprenez, si je meurs, qui s'occupera de moi ? Qui me pleurera ?

La peur de la mort me tient éveillé toute le nuit, parfois je ne dors pas plusieurs jours d'affilée. Je pense aussi que le fait d'être seul, tout seul, n'aide pas à calmer mes angoisses.

Je n'ai jamais personne pour me prendre dans ses bras, me serrer contre lui et me jurer que tout va bien se passer.

- Quand j'étais petite, reprend Jane, je me faisais harceler par des filles plus bêtes que leurs pieds. Je sais pas pour qui elles se prenaient, mais elles se pensaient suffisamment importantes pour dicter leur vision de ce qui est bien et de ce qui est mal aux autres. Si tu ne faisais pas comme elles voulaient... Ah, ça y est j'ai trouvé !

Elle brandit fièrement un petit pistolet semblable au sien.

- Tiens, dit-elle en me le tendant. A partir de maintenant, tu es fait membre de ma famille, toi, Louis.

Je saisis le pistolet. Il est plutôt confortable à tenir, le métal est froid.

- Prends ça aussi, fait Jane en sortant un petit talkie-walkie noir. Accroche-le à ton Jean.

Hein quoi ?

- Attends, laisse-moi faire, ajoute t-elle en voyant que je ne comprends pas.

Elle s'empare du talkie-walkie et l'accroche à mon Jean. Ainsi, il pend à ma taille et est à portée de main.

- Voilà ! s'exclame t-elle, visiblement fière. Maintenant, on sort tester tes nouveaux jouets !

Je fixe le pistolet, dans mes mains, d'une regard anxieux.

Je vais faire quoi avec cette arme ? Quand même pas.. Tuer ?

- Hé, fait doucement Jane en posant sa main sur mon épaule, de manière réconfortante. Je sais ce que tu te dis - enfin j'espère savoir, sinon je vais passer pour une débile. Oui, on va tuer des gens - dans le meilleur des cas. Il y a deux choses que tu ne dois surtout pas oublier. D'abord, ces gens n'hésiteront pas à nous tuer, et sans remords. Ensuite, si on ne le fait pas nous, personne ne le fera pour nous. Tu vois bien, les habitants de cette ville sont - dans l'ensemble - pas fous : ils restent enfermés chez eux sans rien faire et attendent que ça passe.

- C'est faux, dis-je en repensant à mes voisins de ce matin, il y en a qui prient.

- Oui, admet t-elle, avec un petit sourire, pardon. C'est vrai que leur Dieu va tout changer, pas vrai... Il va dévier l'astéroïde !

Elle soupire :

- Complétement stupide comme raisonnement. Il y a aucune logique.

- La peur n'est pas logique, et les réactions à la peur non plus.

Et ça, je m'y connais.

Jane me regarde avec incompréhension. C'est vrai que je ne parlais presque pas, et voilà que je lui tiens tête. Cela fait longtemps que je n'ai pas eu une conversation aussi développée avec quelqu'un. Un an exactement.

- Peut-être, fait-elle, les yeux toujours rivés sur moi. Il n'empêche que le seul moyen d'avancer est de passer à l'action.

J'hoche la tête de haut en bas pour montrer mon accord. C'est vrai que rester sans rien faire ne fait pas avancer ou changer les choses.

Encore une fois, j'ai eu un an pour l'expérimenter.

- Bref. Dernière chose, n'oublie jamais que nous sommes une famille. Dans une famille, la confiance est dans les deux sens : je te protège et tu me protèges aussi - même si tu ne sais pas te servir d'une arme.

- Ça fait trois choses, fais-je remarquer avec un petit sourire.

Elle fronce les sourcils, les mains sur les hanches, visiblement amusée :

- Tu aimes me contredire, toi ! Oui bah c'est bon, j'ai toujours été nulle en maths et...

- Il faut tirer sur qui ? je demande soudain, la coupant.

Elle me regarde avec des yeux ronds. J'avais presque peur du pistolet et voilà que maintenant j'ai envie d'en découdre, envie de m'en servir.

Je ne sais pas ce que j'ai, aujourd'hui. Peut-être rien. Peut-être que mon cerveau bugue.

Ou bien tout simplement, peut-être que c'est lié à l'arrivée de cette fille.

Peut-être que la voir ainsi, aussi vivante, aussi dynamique me donne envie de faire comme elle.

De devenir comme elle ?

De me sentir vivant, pour une fois.

D'essayer de me détacher de ce qui est arrivé il y a un an.

De vivre ma jeunesse, vivre mon adolescence comme j'aurais dû le faire depuis le début : la vivre à fond.

Il ne reste que six jours, que 144 heures aux habitants de cette planète, moi compris, et c'est seulement maintenant que je me réveille.

Et il n'est jamais trop tard.

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