ARKAN, DÉPOSSÉDÉ DU SOMMEIL

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Dépossédé du sommeil par la douleur, Arkan avait remis un peu de bois dans la cheminée et s'était assis en soupirant. Son corps guérissait lentement et sa rage s'épanouissait à mesure. Il somnola, la tête dans les mains, les coudes posés sur les genoux, tentant d'esquiver les cauchemars. Difficile exercice pour qui ne demande qu'à dormir, épuisé.

La porte s'ouvrit doucement et Enguerrand entra. Il posa sa cape et vint le rejoindre devant le feu.

— Tu rentres bien tard... plaisanta Arkan, en se redressant avec précaution. Tu es allé chasser la biche ?

— Non, dommage, mais j'étais de garde. Les Sylves se méfient de Saphira. La surveillance est doublée.

— Je ne leur donne pas tort...

— Et toi, tu ne dors pas ?

— Si je pouvais...

— Les remèdes ne te soulagent pas ?

— Pas trop. Mais ce n'est pas seulement la douleur qui me tient éveillé.

Arkan se tut, le front soucieux. Son frère s'assit en face de lui et tendit les mains vers le feu. La nuit était froide. Fin croissant de lune. Ciel piqueté d'étoiles. Il laissa Arkan reprendre sans le questionner.

— Chaque fois que je m'endors, je retourne là-bas. Dès que je m'assoupis, je la retrouve. Et je sens encore la trace de ses doigts, là où elle a caressé mon cou. C'est comme un chemin de glace sur ma peau.

— Tu as peur...

— Oui. À toi, mon ami, je peux le dire : Oui, j'ai peur, car Saphira est un monstre capable de torturer juste pour le plaisir.

— J'ai vu le salon...

— Mais le pire, c'est que malgré ce qu'elle m'a fait subir, elle me... fascine, avoua Arkan avec dégoût. C'est...

Il s'interrompit, cherchant ses mots. Enguerrand poursuivit :

— Déconcertant ?

— Non, c'est révoltant, écœurant ! Je vais te raconter quelque chose : je ne sais pas exactement quand ça c'est produit, mais, c'était après que Thorian et Saphira aient pris leur repas au salon, elle a commencé à l'embrasser, à se frotter contre lui, à le caresser. Ça a duré un bon moment puis ils ont fermé la tenture. Je l'entends encore rire. Et, pendant que Barral s'acharnait sur ma carcasse et que mon sang imbibait la sciure, ils ont fait l'amour sans la moindre retenue. Les cris de Saphira se sont mêlés aux miens. Elle a une très jolie voix... acheva-t-il dans un souffle.

— C'est ignoble !

— Et elle ne me lâchera jamais. Ça va être une chasse sans répit, et sans merci. Et je ne suis même pas certain de pouvoir la tuer si j'en ai l'occasion ! Alors, tu vois, cette souffrance et les humiliations qu'elle m'a imposées, je veux les boire jusqu'à la lie, pour ne pas oublier que cette superbe créature est un prédateur qui aime jouer très longtemps avec ses proies. Je dois la tuer, même s'il me faut la suivre en enfer. Je ne lui donnerai pas une seconde possibilité de m'avoir en son pouvoir.

— Je suis avec toi, tu le sais.

— Merci, mon ami au cœur vaillant.

— N'essaie pas de me flatter. Parce que ça, ça veut dire que le cœur vaillant va avoir de l'ouvrage ! plaisanta Enguerrand. Tu crois qu'elle pourrait venir jusqu'ici ?

— Je ne pense pas. Si elle avance sur le territoire Syrius, elle va rencontrer un second ennemi : Karzaï. Karzaï protège aussi Serena, la sorcière. Or Serena a fait alliance avec les Campagnards qui sont aussi alliés des Sylves. Donc c'est peu probable. Mais toi, es-tu prêt à passer toute ta vie ici ?

Enguerrand réfléchissait. Ainsi ils avaient échappé à un piège pour se retrouver dans une autre sorte de prison, et en n'étant même pas sûrs qu'elle ne tenterait pas d'infiltrer, en dernier recours, un tueur pour finir le travail.

— Alors, dès que j'aurai repris assez de forces, on partira d'ici.

— C'est le mieux.

— Mais il y a aussi autre chose qui m'interpelle. Je vois toujours le visage de cette femme blessée dont je t'ai parlé.

— Oui, je me souviens. C'est un fantôme ?

— Une victime de Saphira, peut-être.

— Une âme en peine ?

— Ou elle est peut-être quelque part, en vie, murmura Arkan avec une lueur ravie dans le regard.

— Qu'est-ce que tu ferais, si tu la voyais ?

— Je la remercierais. Elle m'a sauvé... et ses yeux...

— Arkan... commença Enguerrand d'un ton amicalement ironique.

— Laisse-moi finir, sans te moquer. Ses yeux sont comme un bon remède. Il y fait doux comme au creux du lit. Elle a un regard à la fois jeune et aussi vieux que le monde. Et tellement tendre, et fort ! Des yeux couleur noisette !

Arkan s'arrêta pour reprendre son souffle et Enguerrand s'exclama en riant :

— Tu me sembles en bonne voie de guérison ! Te voilà de nouveau prunelles de velours ! Tant mieux ! Et crois-moi, cette femme là est bien plus forte que l'autre ! Elle t'a totalement envoûté !

— Arrête de rire un instant, et écoute-moi !

— Ça me fait du bien de te voir récupérer. Je t'écoute.

— Quand nous partirons d'ici, nous allons devoir bouger sans arrêt. Je veux affronter Saphira, mais pas dans n'importe quelles conditions. Elle est isolée, mais ne la sous-estimons pas et ne lui tournons jamais le dos. On ne le ferait qu'une fois... De plus je pense qu'elle sait que nous sommes ici.

— Je le pense aussi. On aura donc très peu d'avance quand elle apprendra notre départ.

— Qu'est-ce qu'on va faire pour se sortir de ce mauvais passage ?

— Je ne sais pas, mais on a intérêt à trouver une bonne idée...

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