Chapitre 14
Elle reste assise un moment encore, après avoir pansé la plaie. La douleur est sourde, mais nette. Elle fait partie d’elle, maintenant. Il reste une dernière pulsation. Une notification oubliée, nichée sous les précédentes. Nahla la laisse remonter :
Métier Apprentie herboriste atteint le niveau 10
Votre métier évolue en : Herboriste
Bonus de stats par niveau : +2 Sagesse, +1 Vitalité, +1 Acuité sensorielle.
Vous êtes reconnue par la Trame comme praticienne autonome. L’accès à des usages plus complexes est désormais possible.
La distillation de l’origan, sans aucun doute, y est pour beaucoup. Elle ressent beaucoup de fierté à la lecture de cette dernière notification. Comme une validation de tous ses efforts depuis petite.
Elle affiche son statut :
Nom : Nahla
Race : Humaine Niv. 6
Classe : Stigmate Niv. 1
Métier : Herboriste Niv. 10
Vie : 200/ 400 (Cicatrice active, 23h)
Endurance : 350 / 350
Mana : 725 / 725
Stats
Vitalité : 16
Endurance : 14
Sagesse : 29
Force : 15
Résistance : 17
Volonté : 19
Dextérité : 20
Acuité sensorielle : 22
Points à répartir : 13
Elle ferme la fenêtre de la Trame d’un geste lent, presque automatique, comme on referme un livre qu’on connaît par cœur. Les mots s’effacent, mais restent imprimés quelque part sous la peau. Elle ne se lève pas tout de suite. Reste là, immobile, les bras posés sur les cuisses, les épaules encore engourdies. La chambre semble suspendue, figée autour d’elle, comme si le jour hésitait à reprendre. Le poids de son propre corps l’ancre, la tire doucement vers l’avant. Elle inspire, se penche un peu, sent la douleur revenir, non plus comme une alerte, mais comme une présence familière, presque structurante. Claudine est là, en bas. Elle ne sait pas si elle dort, si elle attend, si elle souffre. Mais elle est là. Alors Nahla se lève enfin, lentement, avec cette gravité nouvelle qui ne vient ni de l’âge, ni de la fatigue, mais de tout ce qu’elle porte désormais, à l’intérieur comme sur la peau.
Un trait de lumière s'étire sur le sol, mince, oblique, découpant l’ombre en deux, où tournent lentement des particules de poussière. Le silence pèse, dense, muet, nerveux.
Nahla pousse la porte. L’air est tiède, saturé de linge moisi, de peau endormie, de peur ancienne. Claudine est éveillée. Allongée sur le côté, le dos voûté, elle fixe le mur comme on fixe un point pour ne pas couler. Sa respiration est faible, ses lèvres closes, mais son front luit légèrement, comme si son corps tremblait au-dedans.
Nahla avance. Les traits tirés, le menton sale, le bras bandé, elle entre comme on franchit un seuil interdit, chargé de trop de gestes non-dits. Le bandage tire.
Claudine tourne la tête. Leurs regards se croisent. Deux secondes. Trois. Un souffle. Puis un sourire léger éclaire son visage. Sa main monte, tremblante. Elle signe :
— Toi · Sorcière · Sylvestre.
Nahla reste silencieuse. Elle ne sourit pas. Ses mains montent, hésitent, se corrigent. Le rythme est faux. Son bras tremble. Elle signe, plus bas :
— Non. Pas · Sorcière · Sylvestre.
Claudine fronce les sourcils. Elle ne comprend pas. Ou comprend trop. Elle murmure :
— Mais... origan ?
Son regard descend. S’arrête. La tache au creux du bandage. Un filet a coulé. Elle ne le dit pas. Ses doigts s’ouvrent. Se referment. Puis elle signe, sèchement :
— Pas · chute. Pas · combat. Pas · ronce. Qui ?
Elle commence un autre geste, puis l’annule d’un coup de paume. Ses sourcils se contractent. Elle recommence, plus fort :
— Qui ?
Nahla détourne les yeux. Vers la vitre fendue. Une toile d'araignée, un reflet pâle, un morceau d’arête dans l’air. N’importe quoi d’autre. Mais ses mains montent. Lentement. Hésitantes. Le bandage craque au creux du coude.
Elle tente :
— Moi...
Un tremblement. Un souffle court. Puis elle ferme les yeux. Et elle signe. Par blocs. Par images. Par morceaux disjoints elle raconte tout. La pierre. Le sang. Le hurlement dans son ventre. L’apparition d’Élidie. Son pacte. Sa dette. La dague. La voie de la cicatrice. La magie dans la chair.
Elle s'interrompt. Reprend. Cherche. Corrige. Parfois mime. Parfois répète. Parfois un mot se coince. Une main descend, l’autre reste en l’air. Claudine la regarde sans cligner. Elle encaisse. Jusqu'à la fin.
Et alors, elle ferme les yeux. Pas pour dormir. Pour survivre à ce qu'elle vient d'entendre. Elle flanche. Légèrement. Ses épaules descendent. Son torse se détend. Un souffle rauque traverse ses lèvres. Puis un deuxième, plus long, plus bas.
— Non...
Elle secoue la tête. Se reprend vite. Trop vite. Les paupières encore tremblantes. Elle murmure :
— Pardon. Pas contre toi. Juste... c’est trop.
Puis elle signe, à nouveau. Mais son poignet tremble. Elle recommence deux fois un geste simple avant d’y arriver :
— Toi · pas obligée · seule. Pourquoi · moi · pas voir ? Toi · enfant...
Le dernier mot lui fait mal aux doigts. Elle détourne le regard.
Nahla baisse les yeux. Serre les lèvres. Hoche la tête. Puis signe, sobrement :
— Trame · venue. Pas prévu. Moi · faire. Sinon · mourir.
Claudine ferme les yeux. Ne conteste pas. Ne valide pas. Elle regarde le plafond. Son souffle est plus profond.
— Dague · Montrer.
Elle articule mal. Le geste claque. Nahla hésite un peu puis se retourne vers son sac. Son bras l’élance. Elle sort l’arme, la tient, n’ose pas la regarder. Elle la tend, poignée en avant.
Claudine l’observe longuement. Puis elle fronce les sourcils. Ne la prend pas. La fatigue la marque. Elle signe :
— Chapelle · ici · je sais. Mais · les autres ?
Nahla répond, lentement :
— Arlanc.
Claudine se fige. Les yeux gelés de peur. Ses lèvres bougent, mais ne forment pas de son :
— Arlanc · bastionnaires ·
Avant · enfants · signants · pris.
Elle s’interrompt. Le geste reste en suspens. Puis elle enchaîne, saccadé :
— Dressés. Soumis.
Nahla la regarde fixement. Elle sait tout ça. Pourquoi elles ont fui Arlanc quand elle était bébé. Les raids des bastionnaires. La traque des enfants signants. Le Cercle de Nuit. L’exfiltration. Le silence.
Et Claudine sait que Nahla n’a pas le choix. Aller contre ce pacte serait pur suicide.
Les mains tremblent, mais ne flanchent pas. Claudine se redresse. Les draps glissent. Elle tient debout. Par volonté. Par rage. Par fatigue aussi. Elle marche. Trois pas. Ouvre l’armoire. En sort un sac de toile. Elle le pose à plat sur la table. Signe :
— Cercle de Nuit · silence. Trop longtemps.
Un temps. Un soupir. Elle ajoute :
— Moi · envoyer · Serianda · Arlanc.
Puis elle regarde Nahla. Longuement. Et signe encore, plus lentement. Chaque mot posé :
— Toi · avec moi. Mais · chemin · dur · long.
Elle passe la main dans ses cheveux. Les doigts s’accrochent à une mèche collée de sueur.
— Forêt · écouter · moi ? Peut-être. Je vais · dire · toi · mienne. Toi · pas danger.
Elle ferme le sac. Se redresse. Deux pas. Mais son genou lâche. Elle vacille.
Nahla l’attrape sous le bras. La soutient sans parler. L’aide à retrouver son poids. Les gestes attendront. Elle la ramène vers le fauteuil. Le bois gémit. Claudine s’y laisse tomber, lentement. Un bras retombe le long de l’accoudoir. L’autre se ferme autour du sac. Son souffle reste court, mais régulier. Nahla se penche, pose doucement les doigts sur son avant-bras. Elle signe doucement :
— Reste · ici. Moi · chercher · Serianda.
Claudine acquiesce d’un mince mouvement de tête. Peut-être qu’elle a compris. Peut-être qu’elle s’en remet à elle.
Alors Nahla se redresse. Et c’est là, dans ce simple geste — dans ce corps tendu par la responsabilité, dans cette pièce qui ne contient plus que la fatigue d’un combat trop long — que quelque chose s’impose, sans drame, sans surprise. Sa mère ne peut plus vraiment l’aider. Elle l’aime, elle la guide encore, parfois. Mais elle ne peut plus la protéger. Pas vraiment. Pas face à ce qui vient. Et Nahla le sent. Ce n’est pas une rupture. C’est un glissement. Une bascule lente, irréversible. Elle voudrait que ce soit moins brutal. Moins net. Mais c’est là, maintenant. Et ça lui serre un peu le cœur.
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