Chapitre 17

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Ils avancent dans une ruelle étroite, encadrée de murets moussus et de maisons en pierre aux volets fermés. Le sol, jadis pavé, est fendu par endroits, traversé de racines fines, d’herbes sèches, de tiges rampantes qui s’infiltrent par les failles comme des doigts curieux. Le silence est plus dense ici. Pas celui de la paix, mais de la retenue. Un silence contenu dans les pierres, dans les huisseries, dans les regards absents des fenêtres vides.

Zaru s’arrête, sans tourner la tête.
Trois rats devant la maison. Gabarit moyen. Niveau huit ou neuf.

Nahla s’immobilise à son tour. Elle ne répond pas, attend la suite.

Si tu t’avances seule, ils vont te foncer dessus.

Il la regarde enfin.

Je fais le tour. Dès que tu les attires, je passe par la gauche. Si ton attaque les cloue, je ramasse les restes. Sinon, je te couvre.

Elle hoche la tête. Pas besoin de plus.
Elle essuie ses paumes contre sa tunique, serre le manche de sa serpe. Elle sent la sueur dans le creux de sa paume, le bois chauffé par la peau. Sa main droite reste basse, détendue, mais tout son corps est prêt.

Elle avance.

Le mur de la maison se dessine entre les ronces maigres. Les planches clouées aux fenêtres sont toujours là. Mais l’air a changé. Plus âcre. Plus épais. Ça sent la graisse rance, la poussière chauffée, et un fond d’urine.

Ils surgissent en même temps.

Le premier bondit depuis l’ombre d’une porte effondrée. Le second vient du côté d’un massif.. Le troisième s’élance directement du muret, griffes en avant, museau ouvert.

Nahla recule d’un demi-pas. Plie les jambes.

Et frappe.

La serpe décrit un arc sec, horizontal, un coup pur, maîtrisé, lancé avec tout le corps, depuis le flanc jusqu’au poignet. L’air vibre. Le métal siffle.

Spira · Assez

Le rat central est fauché de plein fouet. Son corps pivote, roule, puis se tord au sol. Ses pattes battent en rythme inverse, comme s’il répondait à une commande mal transmise. Une mousse grise s’écoule de sa gueule.

Le second est touché de biais. Griffé par l’onde. Il est projeté sur le côté, hurle, tente de se remettre sur ses pattes.

Le troisième… échappe à la zone. Il charge.

Avant qu’il ne l’atteigne, Zaru bondit depuis l’angle du mur, les crocs dehors. Il percute la bête en plein flanc, la fait rouler, la mord à la nuque. Un craquement sourd.

Le second essaie de fuir. Mais ses gestes sont désordonnés et il s’effondre à nouveau, glissant dans ce liquide épais et sombre. Nahla l’achève sans attendre.

Les trois corps gisent là, entaillés, disloqués, vides. Zaru s’approche, inspecte celui frappé en plein centre.

Ton attaque était bien placée.

Nahla essuie sa lame contre un pan de tissu. Son bras saigne un peu — le choc du recul, ou une esquive incomplète. Mais elle tient.

Spira atteint le niveau 2.

La zone de l’attaque s’étend. Une pulsation plus large. Une trace plus profonde

Zaru renifle l’air, la queue basse.

Ils gardaient l’entrée

Il désigne la maison du museau.

Elle vérifie ses jauges avant de continuer :

Vie : 182/ 200 (Cicatrice active, 19h)

Endurance : 254 / 350

Mana : 529 / 725

Ce qui se terre sous la maison est probablement plus dangereux, alors elle décide d’investir dix points de stats dans la vitalité, ce qui lui donne :

Stats

Vitalité : 26

Endurance : 14

Sagesse : 29

Force : 15

Résistance : 17

Volonté : 19

Dextérité : 20

Acuité sensorielle : 22

Points à répartir : 3

Vie : 307/ 325(Cicatrice active, 19h)

Endurance : 254 / 350

Mana : 529 / 725

Elle prend note que les 250 de vie supplémentaire ont été eux aussi divisés en deux par sa cicatrice. Néanmoins la sensation de crainte pour sa vie se fait moins présente.

La ruelle s’enfonce vers la maison, désormais immobile. Rien ne bouge, sinon une feuille morte qui tourne sur elle-même, aspirée par un courant d’air indiscernable. Nahla s’approche du mur, s’accroupit devant l’entrée.

Les planches sont toujours là, fixées à la hâte. Le bois s’est voilé, fendillé par endroits, mais ça tient encore. Il ne reste que cette ouverture étroite, un vide oblique de vingt-cinq centimètres en bas de la porte, qu’elle avait pratiquée la dernière fois avec la cornière.

Nahla sort sa torche puis l’allume avec son briquet. La flamme prend doucement, hésitante, grésillante.

Elle se penche et la fait glisser à l’intérieur.

Une lumière instable danse dans l’entrée. Les ombres tournent sur les murs, révèlent des détails oubliés. Des livres éventrés. Des traces de pattes. Et surtout, le buffet renversé à côté de la trappe ouverte

Il bloque à moitié le passage, comme une barrière dressée à la hâte. Une griffe est fichée dans le bois. Un fil de soie ou de plastique pend de son coin supérieur.

Zaru passe en premier.

Il se glisse dans l’ouverture d’un mouvement fluide, sans accroc. Ses pattes touchent le sol, il s’immobilise, renifle. Il ne grogne pas. Il attend.

Nahla s’allonge à plat ventre, et se faufile à son tour. Son épaule la fait souffrir une seconde, mais elle serre les dents. Elle se redresse, la torche à la main, lève les yeux.

Zaru la regarde, puis désigne la trappe du museau. Le bois est fracturé et des morceaux s’étalent autour.

Ils s’approchent.

L’odeur les atteint dès qu’ils passent la tête au-dessus. Une odeur complexe, profonde. Un mélange de terre fermentée, de poil humide, de graisse ancienne, et de... rouille. Non. De sang ancien sur métal.

Une échelle métallique rouillée descend dans l’obscurité. Les barreaux sont tachés, patinés par le temps, ou par autre chose.

Zaru baisse la tête, observe sans bruit. Nahla s’accroupit et lâche la torche dans le vide. Elle révèle un sol luisant, maculé de terre.

Elle attrape les bords du trou à deux mains et glisse ses pieds vers l’échelle. Les barreaux sont tièdes, légèrement poisseux. Le métal vibre sous son poids. Un souffle chaud lui remonte au visage, chargé d’odeur animale et de poussière. Elle descend, vite mais sans précipitation, les muscles tendus, les sens ouverts. Zaru au-dessus ne bouge pas.

Arrivée en bas, elle retire ses mains de l’échelle et recule d’un pas. La torche est encore allumée au sol. Elle la ramasse. Sa lumière danse sur les parois humides, éclaire un vieux cellier. La pièce est basse, saturée d’odeurs mêlées — bois pourri, excréments, sueur animale. Les murs sont rongés, et un passage a été creusé, là, dans un pan de maçonnerie effondrée, une ouverture béante vers l’obscur où des mouvements se distinguent à peine.

Elle dégaine la serpe.

Elle tend sa torche en avant et aperçoit un rat surgir puis sauter en direction de son visage. Sa serpe fuse avant même qu’elle puisse y réfléchir. Le corps tailladé du rat est déporté vers la gauche et le bas. Il s'écrase au sol, sans vie. Un frisson parcourt la colonne de Nahla. Plusieurs notifications pulsent dans son champ de vision et elle les dégage d’une pensée.

Derrière elle, Zaru vient de sauter à terre. Il s’approche, renifle le rat :

Niveau 6…

Elle avance, torche levée.

Le liquide sombre mélangé au sang s’étale au sol, dense, irisé par endroits. Et dedans — des éclats brillent. Minuscules. Comme de la poussière métallique. Non, pas de la poussière. Des points. En mouvement.

Anomalie détectée — Composants sensibles en suspension.
Analyse partielle : nanocontrôleurs en milieu organique.

Le passage débouche sur un espace plus large. Pas une salle. Une excavation, un ventre de terre rongée. Le plafond est bas. L’air est lourd, humide, presque chaud.

Sur les murs, de fines traînées bleu-vert serpentent. Du mycélium. Il s’étend entre les pierres, les bois pourris, les fissures. Des sporophores minuscules frémissent au passage de la flamme. Certains s’ouvrent. D’autres se rétractent. Vivants.

Au sol, des amas. Des nids faits de plastique mâchonné, d’os brisés, de morceaux de tissu. Et entre eux — des restes. Crânes. Phalanges. Dentiers. Clés.

Un bruit sec. Zaru bondit. Percute un rat massif dans le flanc.

Pas le temps de hurler : la bête s’effondre, la gorge déchirée. Deux autres surgissent. L’une par la droite. L’autre, déjà en l’air, silhouette tendue.

Nahla ne pense pas. Elle tourne le bras, la lame fend.

Spira · Assez

Un arc tranche l’air. La bête est effleurée, mais son flanc s’ouvre comme une écorce fendue. Elle s’écrase contre un pilier. Désarticulée.

Gauche, derrière ! crie Zaru dans son esprit.

Nahla pivote. Trop tard. L’autre est sur elle. Elle lâche la torche, tombe à genoux, lève la lame à deux mains. Bras tendus. Et lance un Spira vertical.

Le coup tombe. La bête est coupée net. Elle s’arrête en plein vol. Puis tombe, ouverte.

Nahla reste figée, puis s’affale sur ses mains. Elle vomit.

Zaru s’approche, silencieux. Il ne la touche pas. Elle s’essuie la bouche, se relève. La torche vacille, mais reste en vie. Autour d’eux, les filaments frémissent. Le mycélium palpite. Les spores s’élargissent. Comme si la Trame avait fait un pas.

Ils restent là, immobiles. Elle sent encore l’acide dans sa gorge. La torche tremble dans sa main.

Ils étaient niveau 2…

Un passage s’ouvre au fond. Une brèche, agrandie à la griffe.

Ils s’y engagent. Le tunnel est étroit, humide, organique. Le sol spongieux. Les parois luisent. Une couche molle, marbrée de bleu terne et de brun, recouvre tout. À chaque pas, leurs semelles s’enfoncent. Lentement. Comme sur un corps vivant.

Ils débouchent dans une cavité plus vaste.

L’air est lourd, presque tiède. Il sent la sueur animale, la terre grasse, et ce ferment âpre du mycélium qui court partout, invisible mais vivant.

La lumière de la torche tremble. Et là, au centre : une forme, ramassée, immobile.

Une rate.

Imposante, bien plus que les autres qu’ils ont croisés. Massive, usée, alourdie par l’âge, les blessures, la résistance. Elle est couchée sur le côté, enroulée sur elle-même dans un creux de tissus et de brindilles. Sa respiration est lente. Ses flancs se soulèvent à peine. Son pelage est mité par endroits. Des traces de morsures anciennes zèbrent son encolure.

Son dos est couvert de filaments blancs. Le mycélium s’est glissé jusque-là, entre ses poils, sur sa peau. Certains luisent faiblement — un vert pâle, presque chaud. D’autres vibrent au rythme de son souffle.

Elle ne grogne pas. Elle ne bouge pas.
Mais elle regarde.

Un œil à moitié fermé, l’autre terni par un voile. Elle fixe Nahla. Sans peur. Avec haine. Et une forme de présence nue. Fatiguée. Entière.

Zaru ne s’avance pas. Il reste immobile à l’orée du halo de lumière, le museau bas, les muscles contractés.

C’est Nahla que la rate regarde. Et dans ce regard, Nahla reçoit la colère, la fatigue, la douleur, la faim, mais aussi le soin, la chaleur, l’instinct. Une forme d’amour obstiné. Maternel, résistant.

Alors elle comprend.

Les créatures qu’ils ont affrontées depuis l’entrée n’étaient pas des gardes. Pas des soldats. C’étaient ses petits.

Le mycélium pulse doucement. Des teintes bleues, vertes, blanches, s’étendent autour de la rate. Une lumière organique. Une chaleur.
Les filaments frémissent. Un contact. Une vibration.

Nahla s'évanouit.

Tout s'éteint, ou plutôt s'illumine, de vert et de bleu. Comme des nervures qui défilent le long de son corps. Un mouvement effleure son dos. Comme une main chaude, immense, présente.

Ce qui souffre doit être vu.
Ce qui est vu ne peut plus être effacé.
Ce qui ne peut être effacé devient passage.

Une spirale s’ouvre. Faite de lignes. De gestes. De liens.
Au centre : un vide. Et dans ce vide : une trace.

Puis le sol revient. L’odeur. Le poids de son corps.
La flamme vacillante. Le souffle de Zaru, tout proche.

Elle ouvre les yeux. Allongée. Bras engourdi. Bouche métallique.

La rate ne bouge plus.

Le mycélium s’est refermé sur elle. Il la recouvre entièrement comme une gangue. Il s’étend autour d’elle, touche les restes alentour, absorbe, digère — peut-être avec soin.

Nahla reste là, sans bouger.

Elle ne pleure pas. Mais elle sent que quelque chose a changé.
Ces êtres ont été modifiés et utilisés par l’Humain. Mais pas vidés.
Et la Trame est venue. Pas pour punir.
Pour les reprendre.

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