Chapitre 21
La nuit n'est pas encore tombée, mais le jour ne tient plus debout.
Dans la maison, l’air est tiède, figé autour des objets. La lumière descend en biais sur les murs, creuse les plis du rideau, glisse sur le bois nu de la table. Les herbes suspendues ne bougent pas. Le foyer de cheminée a tiré sa couverture de cendres. Rien ne semble attendre.
Claudine est couchée, les traits plus fermés que d’ordinaire, comme la porte d’une pièce interdite. Aucun signe d’éveil. Pas d’agitation.
Nahla, elle, est assise sur le sol, le dos contre la cloison. Son sac repose à côté, vide. Ses bras entourent ses genoux. Elle ne bouge pas.
Autour d’elle, tout est là. Les bocaux alignés, les outils accrochés, les tiges fanées dans leurs pots, les cordes roulées à hauteur de main. L’ombre d’une étagère se prolonge sur le sol, découpée avec netteté. Elle reconnaît chaque chose. Chaque objet est une mémoire. Mais elle ne les regarde plus comme avant. Elle ne les nomme plus, elle les classe.
Petit à petit, son attention se déplace. Non plus à l’extérieur, mais vers elle-même. Son souffle se régule. Son corps se détend à peine. Et la Trame glisse — non pas comme une apparition, mais comme un voile fin qui se dépose derrière les paupières.
Elle ne pense rien. Elle ouvre.
Stats
Vitalité : 26
Endurance : 15
Sagesse : 31
Force : 15
Résistance : 19
Volonté : 20
Dextérité : 21
Acuité sensorielle : 20
Points à répartir : 10
Vie : 325/ 325 (Cicatrice active, 11h)
Endurance : 375 / 375
Mana : 775 / 775
Elle lit, mais ce n’est pas une lecture. C’est une reconnaissance.
Chaque ligne est un souvenir inscrit. Chaque chiffre, une trace de douleur ou d’élan. Elle ne cherche pas à comprendre. Elle sent. L’endurance dans ses cuisses. La sagesse dans ses paumes. La volonté dans son regard.
Elle utilise ses dix derniers points pour faire grimper sa force et son endurance jusqu’à vingt, par souci d’équilibre.
Ensuite elle observe ses compétences :
Compétences Actives
· Calme majeur Niv. 2
· Calme élémentaire Niv. 1
· Méditation Niv. 1
· Croissance végétale Niv. 4
· Spira Niv. 2
Compétences Passives
· Langue des signes française Niv. 9
· Résilience mycélienne (latente)
· Analyse végétale partielle
Elle marque un temps devant les deux dernières.
Résilience mycélienne. Elle se souvient des spores, du contact prolongé avec le mycélium dans le terrier. Rien n’a été annoncé, mais c’est cohérent : le système a dû enregistrer l’exposition, la résistance. Pour l’instant, c’est noté comme « latent ». Elle garde ça en tête.
Analyse végétale partielle. Ça, en revanche, c’est logique : une compétence passive issue de son métier d’herboriste. Elle n’a pas eu de notification explicite, mais ça s’est sans doute installé au fil des cueillettes. Rien d’éclatant, juste un pas de plus dans la précision.
Elle ne sait pas trop pourquoi elle fait tout ça, ces vérifications, cette révision méthodique de ses statistiques, de ses compétences, même de ses passifs. Une habitude, peut-être. Ou une manière de reprendre pied.
Mais maintenant, c’est plus clair : elle se prépare. Pas pour un combat immédiat. Pour partir. Quitter la maison. Quitter Claudine. Rejoindre Arlanc. Elle ne l’a pas encore formulé, mais tout son corps s’y aligne.
Et si elle doit partir, alors autant être prête. Vraiment prête.
Si une compétence doit être forgée, si une autre entaille doit marquer sa peau, mieux vaut que ce soit maintenant — tant qu’elle peut encore encaisser les vingt-quatre heures de douleur et de pénalité à l’abri. Tant qu’elle a encore un peu de temps pour récupérer.
Et si elle doit s’appuyer sur Élidie — sur son pouvoir, sur ses reliques — elle doit d’abord la regarder en face.
Elle fait apparaître le coffret d’un simple appel mental.
Le plomb surgit, dense, massif, dans un souffle bref.
Il atterrit sur le sol avec un bruit mat, assez lourd pour faire vibrer les lattes sous la paillasse.
Nahla ne peut pas le soulever alors elle cale ses deux mains sur le rebord, plie les jambes, et le fait glisser, centimètre par centimètre, jusqu’à dégager un espace où elle pourra travailler.
Ça racle un peu, ça pèse, mais elle y arrive.
Elle s’assied, croise les jambes, et regarde un instant ce rectangle gris, cabossé, qui semble retenir plus qu’un simple contenu.
Elle l’ouvre en écartant, non sans mal, l’épaisse feuille de plomb qui sert de couvercle à ce sarcophage.
À l’intérieur, les os sont bien rangés, certains enveloppés dans de vieilles étoffes, d’autres liés par des bandelettes de toile huilée, et d’autres encore, nus, posés là comme des outils oubliés.
Elle reste un moment figée, elle n’a pas vraiment d’idée précise de ce qu’elle regarde.
Un souvenir en tête, elle se dirige vers la bibliothèque du salon, ouvre lentement la vitre fêlée, et récupère le manuel d’anatomie aux pages épaisses. C’est un ouvrage étonnamment bien conservé. La couverture est déchirée, oui, mais les pages, elles, sont intactes, entièrement plastifiées et résistantes à l’humidité. Les planches sont nettes. Les noms imprimés en gras. Les silhouettes osseuses bien dessinées. Un squelette entier, vu de face. Un autre de profil. Détails en coupe du crâne, du thorax, de la main. Nahla revient s’asseoir dans sa chambre. Ouvre à la première planche et commence.
Le crâne d’abord. Presque intact. La mandibule, bien alignée, repose à côté. Elle extrait les os un à un. Deux longs et épais — fémurs, sans doute. D’autres, plus fins : les bras. Elle compare brièvement au manuel et les classe, sans certitude.
“Os longs : jambes, bras. À peu près complets.”
Deux petits plats, comme des ailes. Elle reconnaît les omoplates. Peut-être une clavicule.
“Épaule gauche complète. Droite, partielle ?”
Le bassin : deux demi-cercles, l’un fendu. Un os plus trapu — sans doute le sacrum — s’intercale entre eux. “Bassin présent.”
Elle trie les vertèbres par taille, sans les nommer. Vingt-deux entières, quelques fragments. “Colonne quasi complète.”
Les côtes sont plus nettes. Dix-neuf. Une tordue. Deux brisées. L’une est gravée de sillons.
“19 côtes. Pas 24.”
Enfin, les petits os. Une trentaine. Doigts ? Orteils ? Elle s’arrête là. “Extrémités. Trop petits.”
Elle s’assoit. Regarde. Sur le drap, le corps se recompose. Pas entier. Mais presque. Intégrité : 86 %.
Pour la première fois, elle y croit. Ces os ont traversé mille ans. Et pourtant ils sont là. Pas blancs. Pas brillants. Mais solides. Proches. Rangés.
Elle prend une phalange entre le pouce et l’index. La plus fine. Un os de bout de doigt. Peut-être de pied. Peut-être d’un doigt. Elle la regarde, la tourne. Elle est légère. Mais pas vide. Et elle comprend : ce n’est pas un débris. C’est une clef.
Il est temps d’ouvrir l’atelier.
Elle inspire lentement, ferme les yeux. Dans l’atelier, tout est là — étalé, vibrant. Les modules flottent comme des fibres nerveuses. Alors, avec méthode, elle trie. Ce qu’elle peut prélever d’elle-même, ce qui appartient à Élidie, ce qui peut l’aider à s’adapter. A traverser la forêt, à vivre seule à l'intérieur. Elle cherche à grimper. À dormir perchée. À tenir. À résister.
ATELIER
Modules disponibles :
Nahla :
— Sang
— Os
— Cheveux
— Peau
— Chair
— Ongles
— Dents
Objets :
— Carapace
— Coquille de noix
— Phalanges d’Élidie x20
— …
Blessures :
— Fissure
— Piqûre
— Écorchure
— Entaille profonde
— Incision
Intention :
— Mot ou geste chargé
— Mot ou geste fixé
Créer une compétence nécessite d’assembler des modules :
Limite actuelle 4
Elle sélectionne :
· Mot ou Geste fixé
· Ongles
· Incision
· Phalanges d’Élidie x20
Nouvel encart :
Assemblage sélectionné – Signifiez votre intention par un mot ou un geste :
Nahla signe :
— Griffes
Geste fixé.
La compétence nécessite vingt piqûres : une à la base de chaque ongle. Ainsi que la perte de 50 % de vos PV max actuels, pour une durée de 24h.
Les cicatrices seront liées à la compétence.
[Valider] | [Annuler]
Elle valide immediatement et une dernière instruction s’affiche :
Veuillez pratiquer les piqûres.
La Trame stabilisera la compétence à ces emplacements.
Elle inspire lentement, prend l’aiguille, et la chauffe sans hâte au briquet. Elle ferme les yeux, ajuste sa posture, prépare son souffle. La piqûre du premier doigt est brève, mais fulgurante. Un sursaut la traverse, mais elle poursuit sans ralentir. Chaque piqûre trace une pulsation, un point d’accroche futur. Les ongles deviennent ancrages, racines inversées, échos de contact. La main gauche entière vibre légèrement, d’un tressaillement irrégulier. Elle enchaîne sur la droite, avec plus de maladresse, mais sans faillir. Puis vient le moment des pieds — elle doit se replier, maintenir l’équilibre. Les orteils réagissent différemment : plus sensibles, plus capricieux. Mais elle ne dévie pas, suit le rythme qu’elle s’est imposé. Vingt piqûres. Vingt petites portes ouvertes dans sa chair.
Elle reste un instant immobile, bras et jambes relâchés. Ses extrémités fourmillent, comme si quelque chose s’y éveillait. Elle sent la matière répondre, pousser, doucement, imperceptiblement.
Ce n’est pas encore visible, mais c’est là, en germe.
La Trame pulse.
Un encart s’affiche.
Compétence forgée :
Griffes Sylvestres
Des griffes courtes et solides prolongent vos ongles, formées à partir des phalanges terminales d’Élidie.
Elles permettent de grimper sans outil, de se percher en hauteur, et de se défendre à courte portée.
Chaque extrémité devient un point d’appui vivant, adapté à la forêt.
Sous la peau fine de ses doigts, juste à la base des ongles, elle perçoit une tension sourde — pas une douleur, mais un tiraillement obstiné, presque têtu. Comme si quelque chose, lentement, forçait son chemin depuis l’intérieur, raclait, repoussait les tissus pour naître. Elle n’a pas besoin de regarder : elle sent déjà les extrémités s’épaissir, durcir, vibrer faiblement à chaque battement de cœur. Inexorablement, ses griffes poussent.
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