Chapitre 2
Nahla reste immobile, mais tout en elle s’élève, elle vient de prendre un niveau. Elle inspire. Une dernière fois. Puis ses yeux se posent sur sa main.
Une égratignure suit la ligne de sa paume. La douleur est discrète, mais l’angoisse monte. Elle se souvient du métal rouillé, du contact avec la cornière. Sa mère l'a avertit à de nombreuses reprises au sujet du tétanos, elle doit faire de son mieux pour éviter ça. Comme n'importe quelle autre infection d'ailleurs. Sur la table, elle attrape la bouteille de vinaigre, l’ouvre, et verse un filet sur la blessure. Ça pique fort. Elle grimace, mais ne détourne pas les yeux, elle doit rincer la plaie convenablement. Le vinaigre n'est pas un bon désinfectant mais il devrait faire l'affaire. Elle sort ensuite une poignée de feuilles d’achillée, les mâche lentement - c'est amer - jusqu’à obtenir une pâte grossière et humide. Elle l’applique directement sur la coupure, puis fouille dans son sac pour en extraire un vieux mouchoir. Elle enveloppe le cataplasme et maintient le tissu à l’aide d’une ficelle.
Un fourmillement discret monte le long de ses bras.
Quelque chose s’est déplacé. En elle.
Elle le sent : la montée en niveau a déclenché un réajustement.
Son statut montre huit statistiques. Huit manières d’exister. À chaque niveau, tout monte d’un point et elle reçoit trois points supplémentaires à répartir librement.
Elle ne sait pas encore quelle voie suivre. Elle aimerait demander à Claudine, sa mère. Mais elle n’est pas là. Et surtout, c'est elle qui a besoin d'aide.
Alors elle choisit l’équilibre. Parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle va affronter. Parce qu’elle aura besoin de tout.
Un nouveau panneau s’ouvre à sa pensée, plus interactif. Elle y voit ses statistiques de base, déjà augmentées automatiquement par le passage au niveau 3 et la Trame l’invite à répartir ses six points supplémentaires :
Elle laisse son regard glisser sur chaque ligne. Elle ne comprend pas encore tout. Mais elle sait une chose : elle devra tenir.
Elle répartit les points sans chercher à trop réfléchir. Ni à se spécialiser. Juste à rester debout, quoi qu’il arrive.
+2 Endurance
+2 Force
+2 Résistance
La Trame valide. Elle ressent un picotement dans tout le corps. C’est comme si chaque cellule recevait une nouvelle consigne.
STATUT :
Nom : Nahla
Race : Humaine Niv. 3
Classe : N/A
Métier : N/A
JAUGES :
Vie : 300 / 300
Endurance : 275 / 275
Mana : 450 / 450
STATS :
Vitalité : 12
Endurance : 11
Sagesse : 18
Force : 12
Résistance : 12
Volonté : 15
Dextérité : 15
Acuité sensorielle : 18
En regardant bien, elle s’aperçoit que la montée en niveau a rétabli ses jauges.
Elle se lève sans bruit et observe la porte d’entrée. Une large fente au bas laisse passer le vent — et peut-être pire. Elle s’approche du buffet de l’entrée, en évalue la masse, puis le fait glisser lentement jusqu’à bloquer le bas de la porte. Il ne tiendra peut-être pas contre une vraie attaque, mais contre le froid, les rongeurs ou les curieux, ce sera suffisant pour cette nuit. Ensuite, elle se tourne vers le porte-manteau en bois, à gauche de la porte. Il est massif, mais déséquilibré. Elle le renverse doucement, le traîne jusqu’au salon. Elle le brise plus facilement qu’elle ne s’y attendait, elle va devoir s’habituer à l’augmentation de force due à ses stats. Il ne lui manque plus qu’un peu de papier pour amorcer le feu. Elle hésite un instant devant la bibliothèque. Puis prend un recueil ancien, le feuillette. Des poèmes de Ronsard. Elle en lit quelques-uns et les trouve de très mauvais goût. Elle fronce les sourcils. Le feu en fera un meilleur usage. Elle déchire les premières pages, les froisse consciencieusement et les glisse sous les morceaux de bois. Un geste, une étincelle : le briquet enflamme le tout. Elle s’assied devant, le chien lové à côté d’elle, enfin au chaud.
Une fois un bon tapis de braises installé dans la cheminée, elle se lève et retourne dans la cuisine. Elle fouille les tiroirs restants, ouvre les placards en hauteur. Derrière un paquet de farine éventré, elle trouve un vieux rouleau d’aluminium. Elle revient dans le salon et en déroule des feuilles, y emballe soigneusement les deux patates douces. Elle les place ensuite directement sur les braises, les tourne un peu pour qu’elles ne s’enfoncent pas trop. Un parfum discret monte presque aussitôt. Elle s’adosse au canapé, le regard perdu dans le jeu des flammes. Une chaleur lente monte dans la pièce. C’est rudimentaire, mais suffisant.
Au bout d’un moment, elle juge que les patates sont cuites. Elle en retire une, la déballe et la pose au sol.Elle prend soin de ne pas trop l’éparpiller en l'écrasant. Le chien approche, renifle, puis dévore avec enthousiasme. Elle récupère l’autre, retire l’aluminium, et la mange lentement, assise à table, l’accompagnant des dernières feuilles fraîches d’Achillée pour la digestion, les yeux dans le vide. Le goût est doux, sucré, et fortement contrebalancé par l’amertume des feuilles.
Une fois le repas terminé, Nahla observe à nouveau le chien dans la lumière rouge des braises, ses contours sont nets. Son regard n’est plus celui d’un animal enragé.
Quelque chose s’est défait en lui — une tension, un nœud, une peur.
Ce n’était pas une maladie, juste une panique trop longue.
Le chien la regarde fixement. Nahla ressent un message limpide :
— Merci.
Rien ne bouge. Puis une vibration subtile s’ajuste. Comme un fil qui cesse de tirer.
Elle hésite. Sa main remonte lentement.
— Moi… Nahla.
Un silence. Le chien penche légèrement la tête.
— Nahla.
C’est net. C’est clair. Trop clair. Elle sent la réponse glisser dans son ventre, sans passer par la tête.
Elle respire plus vite. Réfléchit. Signe :
— Toi… nom ?
Il la regarde longtemps. Rien ne se fige, mais tout ralentit.
Puis une réponse, simple, rugueuse :
— Zaru.
Elle reste immobile. Le nom a traversé. Elle veut être sûre de l’avoir compris. Alors elle l’épèle, doucement, les mains un peu hésitantes :
Z… A… R… U.
Ses mains tremblent légèrement, le geste manque de fluidité. Elle recommence, plus lentement encore. Mais Zaru reste impassible. Aucune réaction. Pas d’agacement. Juste… rien. Elle baisse les mains, frustrée.
Elle réalise. Bien sûr. L’alphabet n’a probablement aucun sens pour lui.
Il faut un vrai signe-prénom. Un geste qui puisse transmettre l’intention.
Elle réfléchit, cherche une forme.
Puis elle trace un Z sec devant sa poitrine et referme le poing.
Le chien s’arrête. Ne se retourne pas mais une oreille pivote, puis l’autre.
Un battement lent de la queue. Et enfin :
— Oui.
Il accepte le signe, elle se sent soulagée.
Elle bâille, puis se lève lentement. Le canapé est vieux mais large, recouvert d’un tissu rêche qui ne sent ni l’humidité ni la moisissure. Elle trouve une vieille couverture élimée dans la chambre, l’emporte avec elle, puis cale son sac à dos en guise d’oreiller. Elle s’y allonge, les bras croisés sur le ventre, puis tire la couverture sur elle. Zaru l’observe un instant depuis le coin de la pièce, puis s’approche sans bruit. Il pose d’abord sa tête contre le bord du canapé, puis, après un regard vers Nahla — qu’elle lui rend avec un hochement à peine perceptible — il saute doucement et vient s’enrouler contre ses jambes. Elle sent son souffle régulier, la chaleur qui émane de son corps, et ce poids contre ses jambes qui la rassure. Elle ferme les yeux. Pour la première fois depuis le matin, elle se sent en sécurité.
Il veille.
ZARU
Comment ai-je pu avoir besoin d’une humaine de niveau 3 pour me ressaisir ? Moi, réduit à mes crocs, à la fièvre et au vide. Elle m’a tenu tête sans cri, sans arme. Juste ce regard. Ce calme. Et droite. Présente.
Elle n’a pas cédé. Et c’est peut-être pour ça que je lui ai donné mon nom — celui que je gardais pour blesser, pour me souvenir. Une audace pareille méritait mes crocs. J’ai cédé. Et j’ai accepté son geste. Ce signe qu’elle a tracé.
Je ne sais pas pourquoi. Pas seulement la surprise de pouvoir être compris. Non. Il y a un fil plus profond.
Quelque chose me pousse à rester. À veiller.
Nous verrons ce qu’elle en fera.
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