Chapitre 10

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  Alors qu'Andrew effectuait le deuxième voyage pour transporter ses affaires, il fut stoppé par une voiture qui s'était embourbée sur le chemin. Il descendit pour proposer à son propriétaire de l'aider à pousser pour qu'il pût repartir sur le champ. Il tambourina à l'arrière de la berline pour que ses occupants en descendissent. Un homme plutôt âgé et fortement en embonpoint sortit la tête du véhicule et se mit à aboyer sur le jeune homme, sans même prendre le temps de l'écouter. Il postillonnait à travers sa moustache abondamment fournie et devenait encore plus pourpre qu'il ne l'était de nature. L'homme de plus en plus virulent, agrémentait ses propos à peine compréhensibles de grands gestes énervés. Andrew s'en retourna sans dire mot, non pas que l'envie de corriger ce malotru lui manquât, mais il craignait de s'emporter contre lui pour une raison qui était étrangère à leur altercation. Il se pressa de remonter dans sa voiture et de faire demi-tour.

  En quelques instants, il se retrouva sous la pluie diluvienne qui s'abattait sur la moitié du comté. Il lui était difficile de voir devant lui tant la pluie coulait en abondance. Malgré le manque de visibilité, il réussit à distinguer une silhouette, à l'abord d'un virage. Il s'agissait d'une jeune fille, elle était pliée en deux, affairée à détacher son jupon d'une ronce. Il décida de s'arrêter sur le côté de la route pour lui proposer son aide.

  — Vous, ici ! s'exclama-t-il en reconnaissant Swan.

  — Jamais je n'aurais pensé être si heureuse de vous voir, lança-t-elle sans prendre la peine de le saluer d'un signe de tête.

  — Permettez-vous que je vous aide avec votre jupon ?

  — Pas le moins du monde ! Je ne vous donnerai pas de nouveau l'occasion d'arracher mon jupon, pas pour tout l'or du monde !

  — C'est grand dommage, dit-il en se laissant regagner par l'humour.

  Lorsqu'elle eut réussi à se défaire sans trop d'embarras, Mr Brown lui proposa de monter dans sa voiture.

  — Ne vous inquiétez pas de l'absence de chaperon, avec le temps qu'il fait nous sommes les deux seuls fous à être encore dehors.

  — Je m'inquiète seulement pour mon cheval que je dois retrouver quelques pieds plus loin.

  — Nous retrouverons votre cheval bien plus vite en voiture que par la marche.

  — Mais je suis déjà trempée jusqu'aux os, alors peu m'importe d'être sous la pluie. De plus, elle pourrait bien être glaciale, je la préférerais à votre compagnie.

  — Ne soyez pas sotte, vous allez être malade.

  Swan s'apprêtait à le contredire, mais elle fut coupée par un éternuement qui la dissuada de refuser son offre, d'autant qu'il lui jeta un regard triomphant.

  Mr Brown la fit installer à l'abri de la voiture tandis qu'il prit place à l'avant pour diriger les chevaux. Swan patienta un moment, puis, se demandant pourquoi ils n’avançaient pas, sortit la tête pour le questionner. Elle ne vit personne à l'avant. Elle se tourna de l'autre côté et aperçut Mr Brown penché vers la roue arrière droite. Elle sortit tout à fait, et vit que Mr Brown avait ôté sa veste, en bras de chemise, avec son gilet comme seul vêtement pour cacher son corps à travers son linge blanc. L'eau perlait sur ses avant-bras, ses cheveux les plus longs ruisselaient sur son front et lui donnaient un air enfantin et tendre que Swan ne lui connaissait pas.

  — Sommes-nous embourbés ? le questionna-t-elle.

  — Je le crains. Nous ferions mieux d'attendre la fin du déluge à l'abri. Nous partirons chercher votre monture quand la pluie se sera calmée.

  Ils allèrent donc se mettre à l'abri dans la berline, assis face à face. Ils restaient tous deux interdits. Les joues de Mr Brown s'étaient rosies, il semblait s'être réchauffé. Ce n'était pas le cas de Swan qui se mit à grelotter. S’apercevant qu'elle était gelée, il saisit sa veste et la posa sur ses épaules.

  — Si je n'avais pas eu si froid, je me serais moquée de vos manières soudainement délicates.

  Il allait lui rétorquer qu'elle venait juste de le faire, quand elle l'interrompit en glissant sa main dans la poche intérieure et en en sortant la lettre qu'il avait découverte quelques instants auparavant. Elle remarqua très vite que son visage s'était fermé et qu'il semblait extrêmement préoccupé.

  — Je m'excuse, bredouilla-t-elle, j'ai senti quelque chose. Je craignais de la mouiller…

  — Je préférerais avoir le plaisir de la détruire moi-même.

  — Auriez-vous été éconduit à travers cette lettre ?

  Il esquissa un sourire à peine dissimulé.

  — Me croyez-vous sentimental ? vous me choquez, mademoiselle !

  — Les hommes laissent toujours penser qu'ils sont à dix mille lieues de penser à l'amour, mais ce sont bien eux qui font une cour empressée à la même femme qui a refusé leurs avances plus d'une fois !

  Mr Brown ne répondit rien, il était trop aspiré par ses propres problèmes pour débattre de la différence des deux sexes avec Swan. Un silence de plomb ne tarda pas à s'installer de nouveau. Il ne dura cependant pas longtemps, Mr Brown éprouvait le besoin impérieux d'en parler, dut-il se confesser à une étrangère.

  — Ma mère est décédée durant mon enfance. J'ai peu de souvenirs d'elle. Cette lettre est signée de sa main. Elle y avoue un terrible secret à mon père. Il marqua une brève pause, le temps de déglutir et de reprendre une profonde inspiration. Ma mère a eu une relation adultérine. Je suis le fruit de cette relation.

En guise de réponse, Swan écarquilla les yeux. Elle resta ainsi, sans mots dire, à fixer le jeune homme. La confidence qu'il venait de lui faire l'avait émue. Qu'était-elle censée dire après pareille annonce ? Quand elle remarqua que son silence était plus pesant que l'aveu même de Mr Brown, elle tenta de le rassurer :

  — Je comprends que cela soit choquant de prime abord, mais vous n'y pouvez rien. Cela ne remet en rien en question qui vous êtes aujourd'hui.

  — Qui suis-je aujourd'hui ?

  — Un riche arrogant. Mais là n'est pas la question, essaya-t-elle.

  Swan désirait provoquer un sourire chez le jeune homme et déclencher en lui une réaction pleine d'humour, comme il en avait fait preuve jusqu'ici. Toutefois, elle comprit face à l'absence de réaction de Mr Brown que sa réflexion était déplacée. La sensation de malaise qu'elle ressentait s'accrût en pensant qu'elle l'avait blessé. Voyant que l’aveu de ce secret n’avait pas allégé son fardeau, elle continua :

  — J'ai l'impression que vous ne me dites pas tout.

  — Ma mère nous a quittés tôt, personne n'aurait pu le prédire. Mon père a dû être tant énervé d'apprendre la vérité, il a certainement perdu le contrôle…

  — Dois-je comprendre que vous soupçonnez très sérieusement sir Brown d'avoir assassiné de sang-froid son épouse, d'avoir gardé ce silence toutes ces années et d'avoir laissé sous son toit l'enfant de celle dont il venait de faucher la vie, qui le narguait en permanence et lui rappelait l'offense que lui avait causée sa défunte femme ? Les nombreux romans gothiques que vous avez lu ne vous désorienteraient-ils pas ? Croyez-vous réellement aux monstres et aux fantômes ?

  — Les fantômes sont bien plus réels que vous ne le croyez. Je ne parle pas de ceux que l'on ne retrouve que dans les abbayes ou les cryptes abandonnées, je pense à ceux qui hantent vos pensées, ceux qui ne vous quittent jamais. Quant aux monstres, ils n'ont peut-être pas l'apparence hideuse qu'on leur prête dans les livres, mais il existe des personnes odieuses qui font tout pour vous terroriser et vous ôter toute joie de vivre.

  — Vous dites vrai. Mais avez-vous un motif raisonnable qui vous porte à penser que votre père ait pu commettre un tel acte ?

  — Il a toujours été antipathique vis-à-vis de ma mère…

Il cherchait en vain dans sa mémoire.

  — Avez-vous été témoin d’actes de violence commis par votre père, a-t-il eu des paroles par le passé qui pouvaient s’analyser d’un aveu, le médecin qui a établi le décès de feu madame votre mère a-t-il laissé entendre que son décès ne relevait pas de la maladie ?

Il nia de la tête avant de la plonger entre ses mains pour se cacher.

  — Mon Dieu ! Je crois que j’ai perdu la raison ! Vous dites vrai, je lis beaucoup trop de livres d’effroi ! Mon père était un homme dur, mais je dois reconnaître qu’il n’a jamais été violent, pas même avec les domestiques. J’ai honte de cette ridicule suspicion que j’ai laissé germer dans mon esprit.

  — Ne vous blâmez pas trop. La situation qui est la vôtre est une épreuve. L’Homme le plus sage aurait certainement fait une erreur de la même nature.

  Ils échangèrent un sourire chargé de sympathie avant que Swan n'assurât à Mr Brown qu'elle garderait son secret. La pluie s'était enfin arrêtée. Ils décidèrent de partir à la recherche de Liber qu'ils trouvèrent au tournant du virage. La berline de Mr Brown fut tirée de l'emprise du sol avec l'aide de Liber. Swan chevaucha sa monture aux côtés de la berline d'Andrew jusqu'à la demeure des Cooper, où ils se quittèrent.

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