Chapitre 11

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  Un matin, aux alentours de onze heures, alors que toute la famille Cooper vaquait à ses occupations habituelles, la visite d'un gentilhomme vint troubler la quiétude de la maisonnée. Il se présenta dans le petit salon où on l'attendait. Amber était aussi belle, si ce n'est plus, que les autres jours. Le départ d'Edward datait maintenant de plusieurs semaines et, ce qu'elle croyait être un chagrin d'amour mortel s'était avéré n'être qu'une passade. La douleur passagère qu'elle avait soufferte n'avait aucunement marqué son visage. La joie était revenue et l'évocation d'Edward ne lui aurait sans doute pas pincé le cœur, bien qu'encore personne ne se risquât à évoquer ce monsieur qui avait été si peu délicat. Elle atteignait sans doute son âge d'or : sa beauté était sans précédent. Depuis son entrée dans le monde, ses manières s'étaient améliorées, son maintien était plus noble et elle veillait à garder un timbre de voix point trop fluet. Elle leva ses yeux de biche vers le visiteur et lui discerna un grand sourire en le reconnaissant.

  — Mr Brown, quel plaisir de vous recevoir ! s'exclama Mrs Cooper.

  Swan, qui avait quitté la pièce pour choisir un livre un instant plutôt, ferma discrétement la porte de la bibliothèque en entendant ces mots.

  — Permettez que je fasse appeler mon aînée pour qu'elle vous salue.

  — Ne vous donnez pas cette peine, je m'en vais bientôt. Je ne veux pas m'imposer. Je viens vous inviter à dîner ce soir, si vous le voulez bien.

  Il posa son regard sur Amber lorsqu'il eut fini sa phrase. Cette dernière ne put s'empêcher de rougir en se pinçant les lèvres et en papillonnant des yeux.

  — C'est une délicate attention que vous avez pour notre famille, souligna la jeune fille.

  — C'est tout naturel. Je compte bien, d'ailleurs, renouveler mon invitation le plus de fois possible.

  Il reprit son chapeau haut-de-forme qu'il avait coincé sous son épaule, salua avec courtoisie et refusa qu'on l'accompagnât jusqu'à la sortie, ne voulant déranger personne. En vérité, avant de partir, il espérait pouvoir s'entretenir en tête à tête avec Swan. Il ne se dirigea donc pas vers la sortie, mais vers la bibliothèque, là où il était convaincu de la trouver. Ses espoirs ne furent pas déçus.

  Swan était recroquevillée sur le bord d'une fenêtre, un livre dans une main, et l'autre s'affairant à boucler encore et encore une même mèche. Elle profitait des rayons du soleil d'été à travers la vitre. Mr Brown prit la peine de fermer délicatement la porte pour que l'on ne remarquât pas sa présence, si bien que Swan ne l'entendit pas elle-même. Il dut s'éclaircir la gorge pour signifier sa présence. Swan sursauta en poussant un petit hoquet et se tapa la tête. Mr Brown se précipita pour lui demander si tout allait bien.

  — Mais que faites-vous ici ? Je risque de me faire accuser d'avoir perdu le bon sens par ma mère !

  — Voilà une préoccupation bien féminine, vous vous blessez et vous vous inquiétez seulement de ce que va penser votre famille.

  — Nous ne pouvons pas tous nous permettre des écarts de conduite.

  — Faites-moi voir votre tête, je crois que vous saignez, s'inquiéta-t-il.

  — Je vais devoir m'habituer à me blesser, car je crois que vous n'êtes pas décidé à laisser ma famille en paix, dit-elle en éloignant sa tête du regard de Mr Brown.

  — En l’occurrence, ce n'est pas votre famille mais vous avec qui je voudrais m'entretenir.

  — Ciel, vous ne comptez tout de même pas demander ma main ?

  — Mademoiselle, je crains sérieusement que vous vous soyez gravement frappé la tête ! Jamais je ne me résoudrai à vouloir vous épouser ! se moqua-t-il.

  — Bien, alors ne restons pas là plus longtemps. Il nous faut être discrets. Passez par la fenêtre.

  — Il est hors de question que je m'échappe par la fenêtre, et si l'on me voyait ?

  — Voilà que vous vous inquiétez à votre tour pour votre réputation. Vous m'avez suffisamment mise dans l'embarras, enjambez la fenêtre. Je ne vois pas d'autre solution, vous ne comptez tout de même pas emprunter le couloir pour regagner la porte de sortie en saluant mes parents, alors même que vous sortez de la bibliothèque, comme si de rien n'était ?

  Mr Brown reconnut qu'il était obligé de se prosterner devant cette remarque pleine de bon sens, et s'exécuta. Ils passèrent devant l'étang de Mr Cooper. Elle lui fit signe de la suivre en s'enfonçant dans les bois qui se trouvaient tout à côté. Mr Brown hésitait, pour y pénétrer il fallait passer une descente boueuse. Elle saisit sa main et le tira en avant. La force avec laquelle elle le tira à elle ne lui laissa pas d'autre choix que de passer l'obstacle. Ils continuèrent de marcher encore quelques minutes, sans se dire un mot, avant de s'arrêter au pied d'un grand chêne centenaire.

  — Nous pouvons désormais parler.

  — Pourquoi ici ? demanda-t-il interloqué. Ne risquons-nous pas d'être surpris par des promeneurs ? Si l'on nous surprend tous les deux, sans chaperon, en plein milieu de la forêt, je crois que nous serons tous les deux perdus.

  — Ne vous en faites pas, personne ne passe par ici.

  Mr Brown haussa un sourcil, en signe d'incompréhension.

  — Quand j'étais enfant, reprit-elle en s'asseyant sur les racines du majestueux arbre, j'ai vite compris l'importance d'avoir un endroit où personne ne viendrait me déranger. La bibliothèque n'était pas suffisante, je voulais un lieu où personne ne pouvait me trouver. J'ai alors mis en place quelques installations qui faisaient croire à une présence et j'ai lancé une rumeur. Quelques bris de verre attachés sommairement aux branches, des draps dansant au gré du vent et j'avais atteint mon but. Depuis, personne ne se risque près du grand chêne, car il est gardé par des fantômes, déclara-t-elle en souriant. Je me doute que vous ne pourrez pas vous passer de venir ici vous y isoler maintenant que je vous ai mis au courant, mais je vous en prie, n'en dites mot à personne.

  — Je vous promets de garder le secret, comme vous gardez le secret sur ma situation familiale.

  Swan se demandait pour quelles raisons Mr Brown tenait tant à lui parler, en tête à tête qui plus est, même après l'échange houleux qu'ils avaient eu quelques jours en arrière.

  — Je désirerais savoir qu'elle est la nature des relations que vous entretenez avec Mr Salisbury, reprit-il.

  Swan émit un rire nerveux. Elle ne comprenait pas à quoi rimait cet interrogatoire au fond de la forêt.

  — Et puis-je savoir pourquoi je devrais m'en justifier ?

  — Je suis simplement curieux.

  Constatant que Mr Brown n'était pas décidé à lui dire ce qu'elle attendait, Swan décida de l'y obliger.

  — S'il en est ainsi monsieur, permettez que je m'en aille. Je n'accepte pas que l'on me mente sciemment.

  — Mon rang devrait me permettre de vous obliger à me répondre, du fait de l'infériorité de votre condition à la mienne, mais je vous sais bien trop indifférente à toutes les conventions sociales pour m'y risquer. Je dois alors me résoudre à vous confier ce qui me trouble et me pousse à vous interroger, en dépit de ce que la bienséance, qui a déjà été quelque peu piétinée, ma foi, me commande en une telle situation. Il s'avère que Mr Salisbury est le frère de sir Brown. Autrement dit, il est mon vrai père.

  — Mais cela n'est pas possible ! Vous devez faire erreur! S'ils sont frères, il devrait s'appeler Mr Brown.

  — C'est plutôt sir Brown qui devrait porter le nom de Salisbury. Il l'a d'ailleurs porté toute sa jeunesse. Lorsqu'il a épousé ma mère, qui était baronnette, ils ont jugé qu'il lui fallait changer de nom. Ce procédé lui donnait l'air plus noble. Je n'ai jamais su pourquoi les deux frères s'étaient fâchés. Je le sais, maintenant. Je pris la décision de lui rendre visite dans l'espoir de me réconcilier avec celui que je pensais être mon oncle que je n'ai jamais connu, avant le décès de mon père. Vous imaginez sans doute l'étonnement qui a été le mien, lorsque je vous ai vue dans la librairie.

  — Mr Salisbury est le seul libraire du village et ma passion pour les livres ne vous a sans doute pas échappée. En outre, il est obligeant, et cela nous a conduits à nous lier d'amitié, une amitié basée sur la littérature. Je dois vous faire savoir que Mr Salisbury est très souffrant. Puis-je vous suggérer de lui rendre visite le plus tôt possible ?

  — Comme vous me le faites délicatement remarquer, l'impériosité de la situation exige que je le visite, mais je ne puis m'y résoudre. Il me semble, en outre, que cela serait un véritable manque de respect vis-à-vis de l'homme qui m'a élevé, car tout le monde ne se départit pas des conventions sociales avec autant de facilité que vous, lança-t-il avec un sourire moqueur.

  Mr Brown remercia Swan pour son honnêteté.

  — Puis-je vous demander pour quelles raisons vous vous confiez à moi ? Je crains de ne rien avoir fait pour mériter votre amitié.

  — En effet ! dit-il amusé. C'est, à n'en point douter, votre passion pour les livres que je partage qui me fait avoir une haute estime de vous.

  — Une haute estime de moi ? demanda-t-elle embarassée par un léger voile rose qui s'était posé sur ses joues.

Mr Brown garda le silence sur la surprise que son aveu avait provoquée et lui fit remarquer que du sang perlait depuis le sommet de son crâne sur son front. Il la raccompagna jusqu'à la maison et la quitta après s'être assuré que son état n'était pas préoccupant.

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