Chapitre 13

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  En se levant aux aurores, Swan n'avait pu résister aux épais nuages qui couvraient le ciel, et avait décidé de s'éclipser discrètement à cheval sans réveiller quiconque. Lorsque sa promenade fut terminée, elle entra dans la maison, et y trouva Mrs Cooper enjouée. Swan n'avait nulle envie de savoir ce qui comblait sa mère, alors, bien qu'elle eût remarqué le ravissement de celle-ci, elle décida de l'ignorer. Mrs Cooper, qui n'avait pas pris son air joyeux en vain, poussa un soupir de soulagement dénué de naturel pour enjoindre sa fille à la questionner. Swan, qui avait remarqué le manège de sa mère, n'en fit rien et décida de s'isoler dans la bibliothèque. Mais, Mrs Cooper qui ne l'entendait pas de cette oreille, la rejoignit aussitôt dans sa pièce favorite. Bien qu'elle se doutât que sa mère ne la lâcherait pas d'une semelle tant qu'elle n'aurait pas demandé ce qui provoquait en elle un si grand bonheur, Swan ne pouvait toujours pas se résoudre à desserrer les dents pour le lui demander. Elle saisit un livre puis s'adossa au mur et commença à le lire, sans prêter attention à la présence de sa mère. Cette dernière s'avouait enfin vaincue, constatant que sa fille n'avait aucune envie d'entendre ce qu'elle brûlait de lui dire, et elle déclara alors :

  — Figurez-vous que Mrs Miller m'a écrit une lettre, elle est de passage dans les environs et se fait un plaisir de nous rendre visite.

  — En quoi cela est-il censé m'intéresser, je vous prie ? Je parie qu'elle a une demi-douzaine de fils célibataires.

  — Malheureusement, elle n'a pas un seul fils, que des filles. Je lui ai fait part de mon inquiétude quant à votre avenir, elle m'a alors soufflé l'idée que vous partiez avec elle à Londres. Vous pourrez alors faire des rencontres et trouver un mari.

  — Comment mon départ pour Londres va-t-il m'aider à trouver un mari ?

  — Que cette enfant est sotte ! La capitale compte beaucoup plus de messieurs que la campagne, et d'un statut plus haut. C'est une véritable opportunité.

  — Il me semble que là où il y a des messieurs, il y a des dames. Je crois même que les dames surpassent les messieurs en nombre. Je doute que mes chances de trouver un mari soient accrues à Londres. En définitive, seul le nombre de messieurs qui refuseront de demander ma main se trouvera significativement augmenté.

  — Pourquoi ne pouvez-vous pas être docile comme Amber ?

  — Puisque vous me parlez d'elle, puis-je savoir pourquoi il n'est pas question qu'elle m'accompagne ?

  — Ignorez-vous à ce point les rouages de l'amour ou prenez-vous plaisir à me faire énoncer à longueur de journée des évidences ? Votre sœur est sur le point de recevoir une demande en mariage, elle ne peut pas partir. Ce serait de la folie ! Elle ruinerait la plus belle opportunité de sa vie.

  — Je m'interroge sur ce qui vous porte à croire qu'il va la demander en mariage. Mais, comme vous le dites, j'ignore tout de l'amour.

  — Posez ce livre et montez préparer votre malle. La lettre de Mrs Miller s'est perdue, elle m'informait de sa venue il y a deux semaines. Elle devrait arriver aujourd'hui.

  Swan aurait aimé que sa mère comprenne qu'elle s'inquiétait pour la santé de son ami Mr Salisbury, mais elle savait que Mrs Cooper n'avait que faire d'un vieil homme sans fortune. Elle monta donc dans sa chambre et, avant de préparer ses affaires, elle s'installa à son petit bureau. Elle écrivit une lettre destinée au libraire pour l'informer de son départ, qu'elle espérait qu'il aille mieux à son retour, et qu'elle aurait préféré lui rendre visite dans les jours à venir plutôt que de parader dans la capitale pour trouver un mari. Elle confia à Thomas, un des domestiques de la famille, le soin de remettre en main propre la lettre à Mr Salisbury.

  Mrs Miller était une amie d'enfance de Mrs Cooper. Elles avaient grandi ensemble, et même si les années et la vie les avaient amenées à vivre en des lieux éloignés, elles n'avaient jamais cessé de se donner des nouvelles. Parfois, des années passaient sans qu'elles ne s'écrivent, sans jamais s'oublier, parfois, elles s'écrivaient tous les deux mois. Ces derniers temps, Mrs Miller et Mrs Cooper avaient beaucoup échangé car leurs filles avaient le même âge, à quelques années près, et elles connaissaient toutes les deux les ennuis qu'il fallait endurer pour marier sa progéniture. Elles avaient échangé non moins de cent pages uniquement à ce sujet, dans les mois qui avaient précédé. Mrs Miller était veuve, elle avait perdu son mari vingt ans auparavant. Elle avait fait un mariage d'amour, avait épousé feu Mr Miller qu'elle aimait alors qu'elle avait reçu une proposition légèrement plus avantageuse d'un homme qu'elle ne pouvait souffrir, tant il était suffisant. Elle avait eu tout le temps de regretter sa décision par la suite, car elle avait été trompée sur la nature de son époux : il s'avérait que le seul sujet qui l'intéressait était la chasse et il ne manquait jamais de mettre mal à l'aise Mrs Miller en société en enchaînant les déconvenues. De fait, elle avait changé son fusil d'épaule : le mariage d'amour était la pire alliance que l'une de ses filles pût faire. Mieux valait ne rien attendre de son époux, ce qui évitait toute déception et pouvait, dans le meilleur des cas, surprendre agréablement.

  Mrs Miller arriva en début d'après-midi, accompagnée de deux de ses filles : Henrietta, la cadette et Eleanor, la benjamine. Eleanor avait des traits fins, elle était assez grande et possédait une très belle chevelure blonde, elle eut été presque belle si son nez n'avait pas été si crochu et tombant. Cela n'enlevait, toutefois, rien à l'amour qu'elle se portait à elle-même. Elle avait la fâcheuse tendance de retoucher sans cesse sa coiffure, de passer la main sur sa robe à maintes reprises pour éviter qu'elle ne se froissât. Il était évident qu'aux yeux d'Eleanor, seule l'apparence comptait. Henrietta, quant à elle, était une gentille fille, quoique un peu trop sur la réserve au goût de Swan, avec les personnes qu'elle connaissait mal. Elle avait un visage banal, mais en fin de compte, cela faisait sa beauté.

  On but le thé dans le salon tout en discutant.

  — Ma chère, dit Mrs Miller, je vous assure que votre fille est entre de bonnes mains. J'ai réussi à fiancer mon aînée, c'est pourquoi elle ne nous a pas accompagnées dans notre voyage, elle n'a plus besoin de trouver un mari. Je ne doute pas que mon Eleanor n'aura pas de mal à trouver un mari. En revanche, Henrietta me donne plus de fil à retordre, glissa-t-elle nerveusement en regardant la pauvre fille du coin de l’œil. Elle est beaucoup trop en retrait… c'est pourquoi j'ai pensé que Swan pourrait exercer une bonne influence sur elle.

  Mrs Cooper manqua de s'étouffer, mais pour ne pas gâcher l'opportunité qui s'était présentée, ne corrigea pas Mrs Miller et abonda même dans son sens.

  — Oh oui ! C'est certain ! Swan se comporte très bien. Elle n'est pas trop effacée au point qu’on l'ignore, mais elle n'est pas non plus au centre de l'attention, ce qui pourrait faire peur à ces messieurs. Vous ne serez pas déçue en la prenant sous votre aile quelque temps !

  — Quelle joie si l'on pouvait marier toutes nos filles dans l'année !

  — Bien, je crois que je vais aller profiter de mes derniers instants de liberté, lança Swan à tout le monde. Si j'entends parler de riche mari une fois de plus je crois que je vais avoir de l'urticaire, dit-elle doucement en direction d'Henrietta.

  Elle sortit de la maison et s'arrêta sur le porche pour prendre une grande inspiration. Elle se dirigeait vers les enclos des bêtes que ses parents possédaient quand elle aperçut un homme s'approcher d'elle à pied. Il s'agissait de Mr Brown. Lorsqu'il arriva à son niveau, ils se saluèrent respectueusement et il commença :

  — Comment allez-vous Miss Cooper ? Je venais justement prendre des nouvelles de votre crâne.

  — Je vais très bien, je vous remercie. Excusez-moi, je dois aller dire au revoir aux cochons.

  — Vous parlez aux animaux ? s'étonna-t-il.

  — Je ne leur parle pas. Il y a un porcelet qui vient de naître, il y a deux semaines, et je l'aime beaucoup. Il va me manquer.

  — Vous manquer ? Dois-je comprendre que vous partez ?

  — Oui, une amie de longue date de ma mère a offert de me loger chez elle quelques semaines à Londres, le temps que je trouve un mari. Ils sont des propositions que l'on ne peut refuser.

  — Si la condition de votre retour est que vous vous mariez, je devrais vous dire adieu pour toujours, se moqua-t-il.

  Elle lui adressa un sourire de politesse. Elle n'avait pas le cœur à rire. En effet, elle allait être privée de ses escapades dans la nature, elle allait devoir paraître, pendant les semaines à venir, telle une marchandise que l'on inspecte avant d'acheter. Il lui faudrait sourire chaque fois que les familles la toiseraient afin d'évaluer si elle pouvait convenir à leur fils ou leur frère. Elle avança en direction de l'enclos des cochons. Un petit porcelet, le museau couvert de boue, s'avança vers elle. Elle entra et le prit contre elle, et lui chuchota à l'oreille.

  — A-t-il un nom ? demanda Mr Brown.

  — Andy.

  — Vous voulez dire que vous avez choisi le diminutif d'Andrew ?

  — Oui, je n'ai pas pu faire autrement, il me faisait penser à une rencontre que j'ai faite récemment, ricana-t-elle.

  Mrs Cooper appelait Swan, il était temps de partir. Elle reposa le porcelet au sol.

  — Il ne me reste plus qu'à vous saluer. Au revoir, monsieur.

  Il la salua, tenta de rassembler toutes ses forces pour lui faire une déclaration de dernier instant et la retenir, mais il se savait lié à Amber. Il ne pouvait pas décemment faire entendre qu'Amber ne lui était pas indifférente, puis, une semaine plus tard, demander son aînée en mariage. Il lui fallait d'abord briser le lien qui l'unissait à Amber. Qui plus est, Swan ajouta une phrase qui renforça la conviction de Mr Brown qu’elle n'accepterait jamais de donner sa main à qui que ce fût :

  — J'espère revenir libre de tout engagement.

  Elle le quitta à ces mots. Il la regarda s'éloigner, monter dans la berline et partir dans les épaisses volutes de poussières que la voiture soulevait à son passage. Swan observait par la fenêtre les paysages défiler sous ses yeux.

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