Chapitre 28

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  Swan n'avait jamais remarqué, avant que cela ne devienne incontestable, les élans d'Edward à l'endroit de Miss Annabella. Maintenant qu'il lui était devenu impossible d'en douter, elle avait pris toute la mesure de la flagrance de leur relation. Ils prenaient à peine le soin de dissimuler les sourires qu'ils s'adressaient. Les clins d’œil d'Edward étaient tout aussi ostensibles. Un soir, ils se chamaillèrent même avec les pieds, sous la table, sans que personne, à l'exception de sir Brown et Swan, n'ait remarqué. La situation irritait beaucoup Swan, il lui fallait, en plus de supporter le comportement malséant d'Edward, taire ce qu'elle savait pour préserver sa sœur. Parfois, elle se questionnait sur l'opportunité de son silence. Sa relation avec Amber n'avait jamais été au beau fixe, mais elle n'en restait pas moins sa sœur et elle souffrait de devoir lui mentir éhontément. Chaque fois que le trouble s'emparait d'elle, Swan se rendait chez sir Brown, lui demander conseil et, chaque fois, il l’encourageait à garder le secret.

  Dans les premiers jours après leur découverte, sir Brown s’engagea auprès de Swan de parler à Annabella pour tenter de la convaincre de quitter les lieux au plus tôt. Il parla en vain, Annabella tenait à rester tant qu'elle le pouvait. Il ne parvenait pas à déceler si elle s'était entichée de l'infidèle, cependant, il estimait que ce fut très probable. Il la menaça de tout dévoiler, de ne pas craindre de piétiner sa réputation et lui faire perdre toute chance de bonheur. Rien n'y fit.

  Sir Brown parla alors à Mr Kensington. Il n'eut pas besoin de lui révéler l'inconvenance de la conduite de sa cadette, le gentilhomme ne se fit pas prier de quitter les lieux. Il fit savoir à son hôte qu'il considérait, déjà depuis quelques jours, son départ. Il estimait que sa visite avait été suffisamment longue et qu'il se serait imposé en restant plus longtemps. Sir Brown se félicita d'avoir réussi à trouver une solution avec tant de facilité.

  La victoire de sir Brown fut toutefois vite réduite à néant lorsqu'il constata les malles de Mr Kensington chargées sur la berline, sans celles de Miss Annabella.

  — Je croyais que votre sœur devait vous accompagner ? bredouilla-t-il au moment de saluer son ami.

  — Elle m'a dit être chagrinée de devoir vous quitter aussi tôt et je ne vois aucun obstacle à ce que vous deveniez mon frère. Je n'avais pas compris que votre demande quant à la date de mon départ était la traduction de votre inquiétude de voir Annabella partir. Vous auriez peut-être pu me confier vos intentions, mais cela ne vaut pas la peine d'en reparler, je suis heureux de vous laisser champ libre. Je vous donne donc ma bénédiction. Faites-moi savoir quand elle vous aura accordé sa main, je lui enverrai une voiture. Il tourna ensuite les talons et s'éloigna de la vue de sir Brown en berline.

  Sir Brown ne pouvait pas croire ce qu'il venait d'entendre. Il était impossible qu'il ait mal interprété les paroles de son ami. L'égoïsme d'Annabella n'avait-il donc aucune borne ? La victoire de sir Brown s'était cruellement transformée en une immense défaite : plutôt que d'éloigner définitivement Annabella d'Edward, il avait fait tout le contraire ; il avait provoqué le départ de l'unique personne qui avait de l'ascendant sur elle et qui aurait pu la raisonner.

  Swan ne fut pas étonnée des manigances de la jeune femme lorsque sir Brown les lui rapporta. Les jours, puis les semaines, passèrent ainsi. Swan s'habitua presque à la situation. Elle s'étonnait, toutefois, que sa sœur n'ait encore rien remarqué.

  Les visites de Swan chez sir Brown se faisaient toujours plus régulières, il était rare qu'ils passent une journée sans se voir. Et ce, pour le plus grand bonheur de sir Brown. L'attitude de Swan lui laissait espérer plus encore qu'il n'avait jamais voulu s’autoriser à rêver. Ses espoirs s'étaient vus augmenter considérablement lorsqu'il entendit, de la propre bouche de Mr Lloyd, que son meilleur ami n'avait aucune intention de demander la main de Swan ; qu'il la tenait en haute estime, mais qu'il ne l'avait jamais considérée plus que comme une amie. Les obstacles à sa demande en mariage semblaient avoir tous été levés et sir Brown s'était décidé à laisser enfin parler son cœur.

  Annabella avait depuis longtemps remarqué l'inclination de sir Brown pour Swan et n'avait jamais vu leur union d'un bon œil. Elle venait d'un milieu trop inférieur à celui de sir Brown et il était impensable qu'il se mêlât aux siens. En outre, elle ne pardonnait pas à sir Brown de s'être permis de lui faire la morale sur sa conduite avec Mr Edward Faraday. Elle avait ainsi décidé de se venger de lui. Le meilleur moyen pour y parvenir n'était autre que l'objet de sa passion : Miss Cooper.

  Elle entreprit de rendre visite aux Cooper et de solliciter une marche, seule, avec leur aînée. Intriguée et contrainte par ses parents, Swan accompagna la jeune femme sur les chemins environnant la demeure.

  — Que me vaut ce plaisir ? demanda sèchement Swan.

  — Je sais bien que vous ne me portez pas dans votre cœur, miss, même si j'en ignore la raison…

  — En êtes-vous bien sûre ?

  — Quoi qu'il en soit, j'estime qu'entre femmes nous nous devons de nous aider et…

  — Agissez-vous dans le but d'aider Amber, votre amie si j'ose dire, en entretenant une relation adultérine avec son mari ? Est-ce au nom de cette entre-aide féminine ?

  Swan pensait surprendre son interlocutrice par un tel aveu, ce ne fut pas le cas, mais elle feignit d’avoir été mise au pied du mur. Annabella avait mené Swan exactement là où elle l'avait voulu.

  — J'ignore comment vous l'avez appris… je dois néanmoins vous dire que je ne suis pas le moins du monde désolée. Vous l'ignorez certainement mais c'est ainsi que les nobles se comportent. La sincérité et la vertu sont laissées aux pauvres. Je suis navrée de voir qu'il m'incombe la charge de vous l'apprendre.

  — Je n'ai jamais douté que les gens de votre espèce se livrent à tous les vices qui existent, mais votre naissance n'est en rien une excuse pour votre comportement. La fortune ne corrompt pas le cœur de tous les Hommes.

  — Vous avez à l'esprit sir Brown, si je ne m'abuse ? déclara-t-elle amusée.

  Swan resta interdite, elle se contenta d'écouter ce que la jeune femme avait apparemment hâte de lui dire. Miss Annabella brisa le silence par un rire à gorge déployée.

  — Sir Brown ! Que je ris ! Si le vice a été inventé par quelqu'un, ça ne peut être que par lui ! Il se comporte d'une manière bien plus inconvenante que moi. Pourquoi croyez-vous que mon frère a insisté pour qu'il demande ma main ? Car j'imagine que sir Brown a trouvé une très bonne explication au départ de mon frère et à ma présence ici.

  Swan était plongée en pleine perplexité. Sir Brown n'était-il pas une personne de confiance ? Mais, si la vérité était telle qu'elle lui était exposée par Miss Annabella ?

  — N'avez-vous aucune honte pour insulter un ami qui fait tant pour vous ? s'efforça de dire Swan.

  — Sir Brown et moi sommes liés, il s'est engagé envers moi, et rien ne saurait défaire cet attachement. Il en était déjà ainsi à Londres après le décès de son père. S'il donne l'impression d'être libre de tout engagement, sachez que ce n'est qu'un jeu pour lui. S'il ne prend que peu de plaisir à traquer le gibier, c'est un autre type de chasse qui lui est agréable. Quel intérêt aurais-je à mentir au sujet d'un ami ? Ne vous voilez pas la face. Ce n'est pas un hasard si ses romans préférés sont faits de femmes captives, torturées, dominées par de riches hommes. Ce ne sont que les reflets de ses fantasmes.

  Se laissant aveugler par la peur, Swan perdit le contrôle de ses pensées et les mensonges d'Annabella s'insinuèrent en elle plus vite que le venin d'une vipère. Les larmes submergèrent Swan qui perdit toute retenue devant Miss Kensington. Cette dernière sortit d'entre sa poitrine un mouchoir brodé. Le mouchoir portait les initiales de sir Brown. Quand Annabella se fut assurée que Swan l'avait remarqué, elle ajouta qu'il avait exigé qu'elle le gardât toujours sur son cœur.

Son plan parfaitement exécuté, Annabella reposa le mouchoir brodé par feu Mrs Brown dans le tiroir de la bibliothèque, là où elle l'avait trouvé. S'il fut resté le moindre doute quant à la véracité des propos d'Annabella dans l'esprit de Swan, l'exhibition du mouchoir avait tout à fait anéanti sa foi en la bienveillance du baronnet.

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