Chapitre 37

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  Mr Lloyd se rendit chez sir Evans pour exiger de lui qu'il payât la dette qu'il avait envers Swan.

  Il fut annoncé par l'un des domestiques au propriétaire et on le fit patienter dans l'un des salons. À peine sir Evans eut-il passé la porte, qu'il toisa son visiteur, sans prendre la peine de s'en cacher. Mr Lloyd devança les questions de son hôte.

  — Je m'appelle Mr Lloyd. Nous n'avons pas eu l'occasion de nous rencontrer, mais nous avons une connaissance commune.

  Sir Evans qui avait deviné que son interlocuteur était aussi riche que lui ne sembla pas surpris par cette déclaration.

  — Que me vaut ce plaisir ? dit-il en se servant un verre de scotch qui était disposé sur une desserte. Il lui tendit un verre vide pour lui proposer de le servir.

  — Je vous remercie, il est encore un peu tôt, refusa-t-il d'un geste de main poli.

  — Voulez-vous que je vous fasse servir un thé ? demanda-t-il en réprouvant la question qu'il avait lui-même posée en levant un sourcil.

  — Non, merci, je n'ai pas soif… je viens m'entretenir de Miss Swan Cooper, qui, je me suis laissé dire, a travaillé pour vous en tant que gouvernante.

  — La gouvernante ? S'appelait-elle Cooper ? Je n'en ai pas vraiment le souvenir… vous savez, ces femmes sont détestables. La dernière en date n'a pas fait exception, elle n'était rien d'autre qu'un élément de décor en ces lieux. Ces créatures ne sont rien d’autre que des choses insignifiantes. Elles croient tout savoir, être l'égal de l'homme et même nous être supérieures car ce sont elles qui nous éduquent ! La dernière était la pire de toutes ! Celle-ci croyait avoir tout autant de mérite que le sexe fort ! Je n'aurais pu tolérer qu'elle mette de pareilles idées dans la tête de ma jeune fille. Je ne puis vous la recommander, vraiment, vous m'en voyez navré. N'importe laquelle de ces sorcières pourra vous contenter…

  — Je ne suis pas venu me renseigner à son sujet, le coupa Mr Lloyd. Je viens vous réclamer le dernier mois de paie que vous lui devez.

  — En quoi les affaires de cette vieille fille vous intéressent-elles ?

  — Je suis son protecteur. Elle était une amie avant qu'elle ne connaisse la déchéance.

  — Son protecteur ? Et que faisait son protecteur quand elle devait travailler au magasin où je l'ai débauchée, ainsi que tous les mois qu'elle a travaillé pour moi ?

  — Cela ne vous regarde pas. J'ai été dans l'incapacité de jouer à bien mon rôle, mais aujourd'hui je suis là. Si vous ne comptez pas me payer, vous me verrez obligé d'en parler à la maréchaussée et, surtout, de raconter à votre femme tout ce que j'ai entendu dire à votre sujet. Car, comme tous les hommes, vous craignez sans doute plus votre femme que la police. Et si vous n'êtes pas homme à craindre les querelles de couple, vous craignez plutôt qu'elle ne vous rende la vie impossible pour se venger.

  Le visage de sir Evans eut l'air contrit et il quitta du coup la pièce pour son bureau. Il revint peu après, une bourse à la main. Il déposa quelques pièces sur la desserte et referma le petit sachet.

  — Je crois que vos petits secrets valent bien plus que cela, déclara Mr Lloyd en appuyant son regard sur la bourse de sir Evans.

  — Vous vous targuez d'avoir plus de principe que moi, mais il n'en est rien. Vous vous permettez de vous présenter chez moi sans y avoir été invité, de bon matin qui plus est, et cela pour me faire chanter. Vous croyez être un saint en venant au secours de cette maudite préceptrice, mais laissez-moi vous dire ce que vous êtes, monsieur. Vous êtes un bon à rien, un fripon, un malotru !

  — Certes, mais je préfère avoir peu de valeur à vos yeux et bien plus aux yeux de ceux qui n'en ont point pour vous. Miss Cooper vous remercie pour votre générosité, dit-il en quittant la pièce sans prendre congé.

  Mr Lloyd fut de retour le soir même chez les Cooper pour rendre à Swan ce que sir Evans lui devait. Quand il lui tendit la somme s'élevant à vingt livres, elle porta sa main sur sa poitrine. Elle signifia à son ami qu'il devait y avoir une erreur. Il lui avait été versé un peu plus de huit mois de gages. Elle était prête à aller lui rendre aussitôt le surplus, bien que cette pensée lui fût très douloureuse.

  — Il n'y a pas eu d'erreur commise. Sir Evans a éprouvé beaucoup de remords en repensant à la conduite qu'il avait eue à votre égard. Il tenait à se faire pardonner, avec les intérêts.

  — Vous êtes bien mauvais menteur, Mr Lloyd, mais je tâcherai de ne pas le remarquer et tenterai de me convaincre de la bonté d'âme de ce sir Evans. Permettez que je vous remercie pour votre aide.

  Le lendemain, du charbon fut livré aux Cooper ; il avait été payé lors de la commande. Elles purent se chauffer autant qu’elles en ressentaient le besoin toute la journée, ainsi que la nuit et les semaines qui suivirent. Pour la première fois depuis longtemps, Swan avait ressenti la chaleur au plus profond de son être. Elle se réjouissait, avec Mrs Cooper, d'observer les flammes danser dans l'âtre, sentir la chaleur brûler leurs joues et entendre crépiter l'or noir. Mrs Cooper avait posé sa tête sur l'épaule de sa fille et avait enfin la sensation d'occuper une véritable demeure. Il leur semblait à présent qu'elles n'avaient jamais été plus heureuses.

  Mr Lloyd prit l'habitude de leur rendre visite presque quotidiennement, toujours accompagné d'un généreux panier plein de victuailles. En dépit de toute la fierté de Swan, la faim qui lui tordait les entrailles et la faisait souffrir avait eu raison d'elle, et l'avait poussée à accepter les présents du gentilhomme. Toutes les attentions de Mr Lloyd avaient apporté du soulagement et une sécurité certaine aux Cooper. Cependant, Swan ignorait pendant combien de temps l'attention de Mr Lloyd resterait tournée vers elle et sa mère ; elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur l'avenir : que feront-elles lorsque Mr Lloyd viendra à se lasser de les aider ? Il ne resterait pas éternellement à la capitale pour subvenir à leurs besoins.

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