Chapitre 40

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  Alors que les arbres bourgeonnaient, les oiseaux arrivaient dans les campagnes et le soleil se faisait de moins en moins absent, les espoirs et la bonne humeur de la famille Cooper renaissaient eux aussi. Il n'y avait plus rien qui retenait Swan à la capitale, ni son travail ni un mariage en perspective. Elle avait accumulé suffisamment d'argent pour quitter Londres et s'installer où bon leur semblerait. Il lui était possible d'écrire n'importe où et d'envoyer par courrier ses travaux à son éditeur, aussitôt qu'ils seraient terminés.

  Bien que Mrs Cooper eût longtemps pensé que l'intérêt et la diligence de Mr Lloyd ne pouvaient s'expliquer que par une inclination de la part du jeune homme envers sa fille, il ne s'était toujours pas manifesté pour demander sa main. Elle avait même, une fois qu'il était venu prendre le thé, tenté de brusquer les choses en insistant sur l’imminence de leur départ. Il exprima la fierté qu'il éprouvait de les voir voler de leurs propres ailes et de pouvoir rêver de nouveau à des lendemains plus prometteurs. Il ajouta aussi que, peu importait où elles iraient, il viendrait leur rendre visite autant qu'elles le permettraient et qu'il ne les oublierait jamais. Pour autant, il n'exprima pas une fois le regret de les voir partir. En vérité, son cœur s'était serré chaque fois que Mrs Cooper avait évoqué le sujet, mais il s'était interdit d'éprouver plus de tristesse ou pis, de l'exprimer quand il aurait dû s'en réjouir : il aurait été très égoïste de s'émouvoir du départ de sa chère amie qui avait enfin réussi à changer du tout au tout sa situation. Il se contenta, durant toute leur dernière entrevue, d'emplir sa mémoire du souvenir du sourire radieux de Swan. Elle lui adressa, une fois de plus, les remerciements les plus humbles et les plus respectueux. Elle le gratifia plus particulièrement pour l'avoir empêchée de tuer leur cochon et de vendre son violoncelle. Elle lui demanda comment elle pouvait le remercier, autrement qu'avec des mots. Ce à quoi il répondit qu'il n'avait pas agi en espérant quelque chose en retour. Il vint à leur demander si elles avaient fixé leur future demeure. Mrs Cooper sautilla de joie sur sa chaise et prit vivement la parole :

  « Swan a racheté la maison de mon défunt époux à Harry, mon fils. Nous rentrons chez nous ! Je vais pouvoir revoir ma seconde fille et son enfant. Je vous en ai déjà parlé je crois, c'est une fille. Elle doit être merveilleuse, comme sa mère. »

  Harry, qui n'avait pas mis bien longtemps avant de compromettre irrémédiablement sa situation financière, avait été contraint de vendre la bâtisse à un prix dériosoire. Swan avait réussi à le convaincre de la préférer aux autres acquéreurs en échange d'une rente qu'elle lui verserait sur les profits tirés de ses romans.  

  Mr Lloyd leur fit savoir qu'il comptait justement retourner chez sir Brown dans les jours à venir. Ils convinrent de faire le voyage ensemble, la semaine suivante, le temps que Mr Lloyd informât son ami de sa venue. Sir Brown n'eut pas l'opportunité de prendre connaissance des souhaits de son ami, ni de lui refuser ou d'agréer la visite qu'il projetait, car la lettre se perdit et ne fut délivrée que le jour même de l'annonce de son arrivée par le gentilhomme. Sir Brown y apprit qu'il ne venait pas seul, que lorsqu'il arriverait au village aux alentours de deux heures de l'après-midi, il serait en compagnie de deux dames. Mr Lloyd avait hésité à l'informer de ce point, craignant de lui causer un trouble qui n'était pas nécessaire, mais il s'était convaincu qu'il était capital que son ami en fût informé, pour de pures considérations de loyauté. L'une des dames, celle qui intéressait particulièrement sir Brown, fut nommée précisément. Il l'informait que Miss Cooper venait s'installer définitivement au village et qu'elle avait racheté la demeure de son frère.

  Elle avait fait état à Mr Lloyd de sa volonté de s'y établir tant que rien ne l'appelait ailleurs, bien qu'elle eût semblé sur la réserve en précisant cela ; nul doute que l'entrain qu'éprouvait sa mère à rester dans les environs la garderait au village tant qu'elle ne serait liée à aucun homme. Mr Lloyd avait pris la peine de préciser que Miss Cooper n'avait point de lien avec un homme, sachant pertinemment que sir Brown se serait torturé avec cette question. Jamais les deux hommes n'avaient échangé au sujet de la peine de cœur qu'avait essuyé sir Brown depuis qu'il lui avait annoncé sa défaite. Mr Lloyd ignorait donc les sentiments de son ami à l'égard de Miss Cooper. Pour autant, sa constance, qu'il avait prouvée à de maintes reprises depuis qu'ils se connaissaient, lui permettait de penser qu'il n'avait pas cessé de chérir la jeune femme. Il prit toutefois la peine d'informer Andrew qu'il ignorait tout de l'opinion qu'elle pouvait avoir de lui. La seule chose dont il était persuadé était que la violence avec laquelle elle avait refusé sa demande en mariage n'était due qu'à une erreur de jugement, car les rares fois où il avait été amené à prononcer le nom de sir Brown elle n'avait, en aucune occasion, semblé en colère ou exaspérée d'entendre parler de lui.

  Les Cooper retrouvèrent la demeure un peu plus usée qu'elles ne l'avaient laissée, Harry avait dû faire peu cas de l'état des murs et cheminées, mais cela n'avait pas vraiment d'importance. La maison leur sembla, à toutes les deux, encore plus belle qu'avant leur départ. Même Swan qui avait appréhendé leur retour au village, craignant de faire de nouveau face à un certain jeune homme, avait vu toutes ses inquiétudes s'envoler dès qu'elle eut passé le seuil de la porte. Elle se sentait enfin de retour chez elle, son cœur était alors devenu léger. Tout comme celui de Mrs Cooper, qui, dans l'euphorie du moment, exprima sa béatitude par des exclamations en voyant chacun des domestiques qu'elles avaient quittés et en entrant dans chacune des pièces de la maison. Quelques assiettes en porcelaine de Mrs Cooper avaient été ébréchées, et bien qu'elle fît mine d'être agacée par cela pour retrouver au plus vite le bonheur d’être la maîtresse de maison, ce ne fut que de courte durée. Son ravissement ne lui donnait pas le cœur à feindre trop longtemps quelque contrariété. La maison eût pu être en ruine, elles auraient été satisfaites de retrouver la terre qui avait porté tous leurs heureux souvenirs.

  Quand elles eurent fini de donner les instructions aux domestiques pour défaire les quelques malles qui étaient arrivées de Londres, Swan ressentit le besoin de marcher. Elle avait désiré plus que tout au monde retrouver la sérénité de la campagne. Elle partit en direction du bois qui jouxtait la demeure, vers le grand chêne. Elle avait besoin de réfléchir. Elle craignait de revoir sir Brown. Mrs Cooper, qui était en train de se reposer après leur éprouvant voyage, voudrait certainement aller saluer les voisins dans les jours à venir. À n'en pas douter, elle en viendrait à prononcer le nom de sir Brown. Comment Swan ferait-elle alors pour dissimuler son embarras ? Comment justifierait-elle son refus d'aller le saluer ? Elle s'était déjà si mal comportée en refusant d'aller lui dire au revoir, qu'allait-il penser d'elle si elle lui refusait de nouveau une politesse ? L'opinion qu'il avait d'elle n'était-elle pas déjà perdue ? Comment affronterait-elle de nouveau la vue de sir Brown ? Comment devrait-elle agir ? Elle se sentait honteuse en repensant à tout ce qu'elle lui avait dit. Elle se trouvait bien bête de s'être laissée manipuler aussi facilement par une personne comme Miss Annabella.

  Lorsqu'elle arriva au grand chêne, ses jambes manquèrent de lâcher sous son poids. Elle vit sir Brown, la main gauche posée sur le tronc de l'arbre antique, la tête baissée, semblant réfléchir à des choses désagréables. Était-ce un songe ? Non, elle le voyait comme elle voyait l'arbre, ses racines, ses feuilles et les rochers alentour. Il se tenait devant elle, constitué de chair et d'os. La présence de Swan interpella sir Brown qui fut tout aussi décontenancé qu'elle, en la voyant. Personne n'osa dire un mot. Ils s'observèrent quelques instants, interdits, comme pour se convaincre de la réalité de la présence de l'autre. Puis, toujours sans se dire un mot, sir Brown tourna les talons et s'en alla le plus rapidement que ses jambes flageolantes lui permirent. Swan ne remarqua pas le trouble du gentilhomme, elle n'avait vu que sa confusion. Elle rougit de honte en repensant à ce qui venait de se produire. Elle avait été incapable de lui parler. Il l'avait regardée froidement avant de partir. Il était évident qu'il ne voulait pas la revoir et qu'il n'éprouvait plus le moindre sentiment pour elle. Il n'avait pas même pris la peine de la saluer d'un geste dédaigneux de la tête. Pour Swan, il s'agissait d'une preuve irréfutable de son indifférence, de la disparition du moindre sentiment qu'il avait pu éprouver à son endroit, en ce compris le respect. Il lui était impossible de reprocher à sir Brown sa conduite, c'était elle qui s'était indiscutablement mal comportée avec lui. Elle se réprimanda intérieurement, une heure durant.

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