Chapitre IV : Absence

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Les jours qui suivirent ne leur restèrent pas en mémoire. Ce dont Karü et Shino se souvenaient était qu’ils avaient trouvé refuge chez une vieille femme un peu louche.

Lorsque Shino se réveilla dans le salon de leur hôte, il s’aperçu de l’absence de Karü. Paniqué, il se leva et l’appela.

- Arrête de hurler ! Y en a qui dorment ! pesta la vieille femme.

- Pardon, madame, mais…il a disparu…

- Il va revenir. Tais-toi maintenant !

Mais Shino ne pouvait pas attendre. Il sortit dans la rue et remonta l’allée qui menait à l’église. La ville était endormie, le soleil se levait au loin tandis que Shino hurlait le nom de Karü à en suffoquer. Il n’eut pas la moindre réponse, et ne vit pas, durant toute une journée à le chercher, le moindre signe de vie de sa moitié. Shino resta assis sur le perron de l’église, les yeux dans le vide, las de hurler, la voix criarde et les joues mouillées de larmes. La chaleur de la ville se mêlait à la fraicheur de ses larmes. Alors que le jeune homme somnolait, un enfant s’approcha de lui et lui demanda avec un grand sourire :

- T’es nouveau toi, non ? Pourquoi tu pleures ?

- Laisse-moi.

- Maman ?

- Oui, Simon ?

- Pourquoi le monsieur il pleure ?

- Ce garçon doit avoir ses raisons. Laisse-le, Simon, on y va. Bonne soirée, petit.

- A vous aussi, madame…

Lorsque le petit garçon lui sourit, Shino lui rendit un sourire amer. Il dormit sur place, se réveillant toutes les heures au moindre bruit.

Le lendemain, Shino repris ses recherches, en vain, puis le jour d’après, et ceux qui suivirent. Désespéré, Shino se confia à son hôte qui lui répondit avec un sourire sinistre :

- S’il est partit, tu dois le rejoindre, à moins qu’il ne veuille plus de toi.

- C’est faux ! Karü ne me ferait jamais une chose pareille !

- Tu n’es pas toi avec lui. Il n’est pas lui avec toi. Et tu le sais.

- Mais nous voulons simplement…le meilleur pour l’autre ! protesta Shino.

- Et c’est peut-être pour cela qu’il est parti. Il pense sans doute être un fardeau pour toi.

- Non, non, non ! Il ne peut pas être partit comme ça ! C’est impossible ! Il a été enlevé, forcé ou je ne sais quoi mais il ne peut pas être partit de son plein gré ! Il m’aurait prévenu ! Il me l’aurait dit ! Je refuse de croire qu’il pense de telles choses ! Je ne suis rien sans lui… chuchota Shino, paniqué.

- Et s’il le savait ? Et s’il était partit pour te prouver que tu n’es pas capable de te débrouiller seul ? Ou peut-être qu’il veut te faire souffrir ?

- La ferme ! Tais-toi !

- Le respect envers tes aînés serait-il parti avec ton amant ?! répliqua la vieille femme.

Shino partit de la bâtisse branlante en en claquant la porte. Ne sachant où aller, mais ne voulant retourner dans la maison qu’il venait de quitter, il commença à marcher sur les routes qui sortaient de la ville.

Shino voyagea durant trois jours sur les routes pavées de Pauyô, demandant son chemin à des marchands itinérants. Le quatrième jour, alors qu’il cherchait désespérément de quoi manger et boire sur des chemins déserts, il tomba, épuisé. Lorsqu’il se réveilla enfin, il se trouvait dans un endroit clos et sombre qui bougeait : une calèche. Shino y avait été ligoté et bâillonné, en bref, il s’était fait enlever. Lorsqu’il ouvrit les yeux, une silhouette féminine dont on ne distinguait pas le visage se tenait devant lui.

- Tu es enfin réveillé. Shino. marmonna la voix d’une femme.

Shino tenta de défaire ses liens, sans succès.

- Rien ne sert de te débattre. La Gouvernante veut te voir, nous t’amenons à elle.

La « Gouvernante » n’était autre que l’Impératrice de Pauyô. Mais comme le régime politique de cet Empire était autre que dans l’Alliance S.C.A.N.O, les habitants de Pauyô s’étaient créé leur propre hiérarchie.

- Karü sera content de te voir. Il n’a de cesse d’hurler ton nom dans son sommeil, c’est à n’en plus finir ! Heureusement, il dort dans l’Aile Nord du palais, loin de la Gouvernante, mais c’est moi qu’il réveille ! pesta la femme. Et puis, il n’avait pas l’air très content quand on l’a fait venir…mais bon. Tu dois te demander, je suppose, pourquoi nous t’avons enlevé ? Malheureusement pour toi, je n’ai pas le droit de te le dire. Quant à mon identité, je m’appelle Lïunâ, descendent d’un exilé de Netu. Au fait, désolée de t’avoir assommé, mais je ne savais pas quoi faire.

Malgré le fait que Shino ne puisse voir le visage de son interlocutrice, il savait qu’elle regrettait vraiment son acte. Quelques minutes passèrent, et elles semblèrent être des heures pour Shino. Le trajet prit fin et on détacha le captif, le faisant avancer dans un long couloir pâle. Au bout de ce couloir il y avait une immense porte en fer close, gardée par deux femmes armées. Lorsque Shino arriva face à elles, les soldates lui ouvrirent la porte qui donnait sur un autre couloir, puis il monta un escalier en bois. Et, ainsi, de couloir en couloir, de portes en portes, d’escaliers en escaliers, Shino arriva devant une petite chambre close. On lui ouvrit. Il entra. On le laissa. On ferma.

Karü était assis sur l’unique lit, rouge et or, de la chambre. Lorsqu’il vit Shino, il se leva et le plaqua contre la porte, paniqué :

- Qu’est-ce que tu fais là ? Ils t’ont aussi enlevé ?!

- Je ne sais pas…oui, je me suis fait enlever…euh…tu peux enlever ta main ? Tu me fais mal…

En effet, Karü broyait l’épaule de Shino. Il retira sa main et s’excusa avant de l’enlacer. Il l’approcha de lui avec délicatesse et posa ses lèvres sur les siennes.

- Tu m’as manqué… murmura Karü.

Shino rougissait, il évitait le regard de Karü tandis que ce dernier l’observait pour être sûr de son état.

- Et tu…tu ne sais pas pourquoi…pourquoi nous sommes là ? demanda Shino.

- Non. On ne me l’a pas dit. Mais si on est ensemble, ça me va.

- Oui…mais ça pourrait être dangereux…

- Je serais là en cas de besoin.

Shino ne répondit pas. Pensif, il s’approcha de la fenêtre de la chambre qui donnait une vue imprenable sur une immense chaîne de montagnes. La chambre était au quatrième ou au cinquième étage, donc toutes tentatives de fuite pouvaient être mortelles.

Shino se retourna ensuite vers la chambre composée d’un lit, d’un canapé, d’un fauteuil, d’un bureau et d’une cheminée.

- On s’organise comment pour…pour dormir ? demanda Shino, gêné.

- Dors dans le lit ; je prends le canapé.

- Tu es sûr ? Le…le canapé me va, sinon.

- C’est toi qui vois.

- Vas-y-toi, dans le lit.

- Sûr ?

- Mais oui…

Lorsque la nuit arriva, Shino s’installa dans le canapé et Karü s’endormit dans le lit. Mais, le lendemain, après une nuit paisible, Shino se réveilla dans le lit, aux côtés de Karü qui avait dû le déplacer durant la nuit. Shino, gêné, voulut se lever, mais Karü, bien qu’encore endormit, lui tenait fermement les côtes, comme un enfant s’attache à un jouet. L’exilé de Caski sourit et dû se résoudre à rester là. Quelque minute plus tard, Karü était toujours endormit, mais il cria faiblement le nom de Shino, il parlait comme s’il arrivait quelque chose d’horrible, sa respiration s’intensifia ; Shino vérifia ses yeux, soudain paniqué : son œil gauche saignait, il faisait une vision. Shino hésita : fallait-il le réveiller ou le laisser dormir ? Ne sachant que faire, il posa sa main sur la tête de Karü, passant ses doigts gelés dans ses cheveux. Le rythme des respirations de Karü ralentit au contact de la main de Shino.

Shino regarda autour de lui et remarqua, sur le bureau, une gravure qui, sur ce meuble, n’avait pas sa place ; cette gravure n’était autre que son nom, gravé à l’aide d’un morceau de fer lui-même posé sur le bureau.

Karü relâcha peu à peu son étreinte autour de la taille de Shino, et son œil cessa de saigner. Il ouvrit doucement les yeux et regarda un instant Shino, avant de s’écarter, honteux. Il se retourna ensuite vers Shino :

- Excuse-moi…je n’arrivais pas à dormir…tu étais…tu étais…trop loin… murmura Karü, les larmes aux yeux, le regard dirigé vers la porte.

- Ce…ce n’est pas grave. Mais je comprends à présent pourquoi…j’ai si bien dormit ! plaisanta Shino, les yeux brûlants. Tu as fait une vision, n’est-ce pas ? Ton œil gauche saignait. Et tu hurlais mon nom…

- Oui ; je préfère penser que ce n’était qu’un rêve.

- Pourquoi ? Qu’as-tu vu ?

- Laisse. Cela n’arrivera pas. Passons à autre chose. répliqua Karü, lui-même peu convaincu par ses paroles.

Shino savait qu’il mentait, mais il n’en dit rien. Karü se leva s’étira, et, machinalement, comme s’il en avait l’habitude, il tenta vainement d’ouvrir la porte.

- Encore fermée… marmonna-t-il.

- Comment es-tu arrivé ici ? demanda Shino.

- Je n’arrivais pas à dormir, alors je suis sorti faire un tour et…sur la place de l’église, il devait être minuit, je pense, quand je me suis fait assommer…j’ai été enlevé, en fait. Et quand je me suis réveillé, j’étais enchaîné dans une cellule. Durant la première nuit, on m’a déplacé ici et, le lendemain, j’ai essayé d’ouvrir cette porte, en vain. Mes journées se limitaient à tourner en rond ici, tenté d’ouvrir la porte, manger et dormir.

- Et…hurler mon nom… murmura Shino.

- Pardon ? Qu…qui t’a dit ça ? demanda Karü avec un haut le cœur en rougissant.

- Lïunâ. C’est elle qui m’a…enlevé…c’est la descendante d’un exilé de Netu.

- Et c’est elle qui m’a également enlevé.

- Mais…c’est vrai, donc ?

- …si je dis oui, je dois me justifier ?

- Tu n’as pas besoin de…de te justifier, Karü…

- Alors oui. Oui c’est vrai. Oui je n’ai cessé de penser à toi, je n’ai cessé d’avoir peur et de hurler ton nom pour ne pas t’oublier, cela ne servait à rien car je ne le pouvais pas. Je ne pouvais pas t’oublier. Tu m’as terriblement manqué, Shino…tu ne peux pas savoir à quel point j’ai souffert de cette distance… Je ne veux plus jamais être séparé de toi, plus jamais !

- Moi non plus, je ne veux plus…pardon…

- Pardon de quoi ?

- La vieille. Elle m’a fait douter de toi…

Shino se recroquevilla sur le lit, en pleure.

- Elle m’a dit que, si cela se trouve, tu étais parti pour me prouver que je n’étais pas indépendant…elle a dit aussi que tu étais parti parce que tu ne voulais plus de moi, que c’était pour me faire souffrir et…et j’avoue avec honte que…qu’un instant…un instant seulement, j’y ai cru…j’ai douté…

Shino pleurait de plus en plus, anticipant avec peine la réaction de Karü. Mais ce dernier ne réagit pas mal. Il entoura Shino de ses bras, se blottissant contre lui, et dit d’une voix douce :

- Cette vieille harpie n’a que trop vécu ! Je ne t’en veux pas, Shino. Je sais que c’était compliqué, tu étais paniqué, tes nerfs lâchaient, c’est normal de douter, d’accord ?

- Non. Non…non, ce n’est pas…ce n’est pas normal de douter de toi…ce n’est pas normal…je n’aurais pas dû…je m’en veux…je suis lâche !

- Je t’interdis de dire une chose pareille ! pesta soudain Karü.

Il attrapa Shino par les épaules et le secoua d’un coup sec. Karü lui donna une petite tape sur la joue où se trouvait sa brûlure et cria :

- Tu n’es pas en tort, tu comprends ça ? Maintenant, stop. Passons à autre chose.

Shino, sous le choc du changement soudain de comportement de Karü, se figea. Quant à ce dernier, il frappa violement la porte, hurlant qu’on leur ouvre. Karü frappa la porte, continuant même lorsque sa main était en sang. A ce moment-là, Shino se leva et se plaça entre la porte et Karü. Il se prit le coup dans l’épaule, mais resta droit, et dit :

- Arrête…ç…ça ne sert à rien…

- Shino.

Karü regarda sa main meurtrie, puis l’épaule de Shino sur laquelle elle s’était abattue. Il se figea, terrorisé. Il avait levé la main sur lui. Ses pupilles se fendirent en deux traits et il recula jusqu’au bureau où il se laissa tomber.

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