Chapitre VII: L'aguicheur
Shino n’avait de cesse de lancer des regards inquiets à sa fenêtre, espérant y voir un quel qu’onc bateau arriver d’Ohfsha. Au bout de deux jours, Shino regagna la bibliothèque où se trouvait Haîpé. Ce dernier lisait un livre.
- Salut ! dit-il en le voyant.
- Bonjour… marmonna Shino.
- Tu es enfin sortit. fit inutilement remarquer Haîpé.
Shino ne répondit pas. Il s’assit aux côtés d’Haîpé et lut par-dessus son épaule.
- Tu comprends ce que tu lis ?
- Pas tout…mais il y a un lexique à la fin.
- Tu sais que cela parle d’enlèvement et de séquestration ? N’est-ce pas ?
- Oui. Et ? C’est juste l’histoire de Fréïa, tu sais ?
- Oui, mais quand même.
Haîpé posa son livre sur ses genoux. C’était un ouvrage magnifique écrit en Langue Ancienne et magnifiquement relié de bleu et d’or avec, pour titre, « Fïrüâou », Fréïa en Aetherine.
Haîpé regarda Shino et lui dit d’une voix mielleuse :
- Veux-tu, à présent, que l’on devienne ami ?
Shino acquiesça d’un signe de tête et se leva pour chercher un livre qu’il reposa sans feuilleter.
Le soir arriva bien vite et, tandis qu’ils parlaient, Shino et Haîpé se rendaient à leurs chambres respectives, l’une était en face de l’autre. Shino souhaita une bonne nuit à Haîpé en souriant mais, lorsqu’il eut refermé la porte derrière-lui, le masque de joie qu’il avait porté durant la journée tomba, laissant place à sa tristesse réelle. Il se laissa choir sur le canapé, las. Son regard se dirigea vers la fenêtre où le soleil fusionnait avec le Shago. De cette fusion naquirent des reflets sur les vagues déchaînées de la mer, et de ses vagues lumineuses survinrent de multiples lueurs fluides et orangés aux formes mouvantes dans la chambre.
Une larme roula sur la joue de Shino, s’écrasant sur le velours du canapé. Il se leva et sanglota, avant de se jeter à la fenêtre et de hurler à plein poumons :
- Karü !
Il hurla jusqu’à ce que sa gorge soit brulante et jusqu’à ce que ses poumons le fassent souffrir. A ce moment-là, on toqua à la porte.
- Oui ? murmura Shino entre deux coulées de larmes.
- Je peux entrer ? demanda Haîpé.
- Non.
- D’accord. Ça va ?
- Non.
- Il te manque ?
- Oui.
Shino sanglotait, assis sur le sol, ruiné. Haîpé semblait vouloir rester là. Il toqua une dernière fois puis ouvrit. Il aperçut Shino et s’assis à ses côtés.
- Il va revenir, tu sais. Il te l’a promis, non ?
- Il m’a aussi promis de ne jamais plus être loin de moi…
- Il t’a protégé.
- Oui. Mais il me manque…
Haîpé sourit. Il laissa Shino et retourna dans sa chambre.
Cinq jours passèrent, et Shino et Haîpé devinrent de bons amis. Ils passaient leurs journées à lire et à parler.
Shino se rendais, comme à son habitude, à la bibliothèque où il devait retrouver Haîpé. Mais ce dernier ne vint pas. Il alla devant sa chambre et toqua : personne. Shino se balada seul dans les couloirs inexplorés du palais, vagabondant parmi les peintures et les miroirs inquiétants positionnés sur les murs. Soudain, alors qu’il entrait dans une salle poussiéreuse, une main se posa sur l’épaule de Shino. Il se crispa. La voix d’Haîpé lui parvint. Il approchait sa bouche de son oreille et murmurait d’une voix suave :
- Que fais-tu ici ? Tout va bien ?
Shino se retourna, et vit le visage souriant d’Haîpé.
- Je…ou…oui, ça va…et toi, que fais-tu ici ? Et pourquoi tu n’étais pas à la bibliothèque ?
- J’avais un truc à finir. On n’a pas le droit d’être ici. Sors et fermes la porte. Viens, si on nous voit là on aura des problèmes.
Shino le suivit, confus. Haîpé et lui se rendirent dans la bibliothèque qui, contrairement aux jours précédents, était vide. Il n’y avait personne.
Haîpé laissa Shino s’assoir puis lui dit :
- Et sinon, tu as des nouvelles de Karü ?
- Non…
Shino aurait juré avoir vu le visage d’Haîpé s’illuminer à cette réponse, mais n’en tint pas compte. La journée se passa, comme les autres. Une semaine plus tard, pourtant, Haîpé redevint étrange. Il tentait de s’approcher de Shino comme si Karü n’avait pas existé. Aux alentours de midi, Haîpé alla à la rencontre de Shino. Il lui prit une de ses mains mais Shino se dégagea.
- Qu’est-ce que tu veux ? Je ne suis pas d’humeur, aujourd’hui.
- J’ai un truc à te dire.
- Hein ? C’est si important que tu dois me détruire la main pour me le dire ?! pesta Shino.
- Rhô, ça va !
- Bon, y a quoi ?
- Viens.
Shino le suivit dans le couloir et Haîpé lui dit en le regardant dans les yeux :
- Je t’aime.
- Pardon ?! C’est une blague, c’est ça ? Non, un pari ? N’est-ce pas ?
- Non. C’est la vérité.
- Alors…euh…non, déjà. Et ensuite, j’aime Karü, et tu le sais. Laisse-moi, maintenant.
- Karü est parti ! Il ne reviendra pas ! pesta Haîpé.
- Arrête tes conneries, laisse-moi passer.
Haîpé lui barrait la route avec son bras.
- Laisse-moi passer. répéta plus fermement Shino.
- Non. Non, tu n’as pas compris. Tu ne comprends pas…
- Bah vas-y, explique-moi.
- Karü est mort ; il t’a abandonné et il t’a trahi. Il est mort comme un criminel ; tu comprends, ça ? Tu comprends ?
- Arrête Haîpé. Tu racontes n’importe quoi ! répliqua Shino.
- Je n’ai pas fini. Reste-là s’il-te-plaît.
- Je crois que je n’ai pas le choix.
- Je t’aime.
- Et alors ? Que veux-tu que j’y fasse ?
- Je t’aime. répéta Haîpé avec plus d’assurance.
- Mais tu ne comprends pas que je suis déjà avec quelqu’un ?! pesta Shino en donnant un coup dans les côtes d’Haîpé pour se dégager et retourner dans sa chambre où il s’enferma.
Haîpé, lui, resta là et se mit à rire d’un rire aigu et sinistre.
J’y ai cru…un instant, un instant seulement, j’y ai cru… pensa Shino. Il s’allongea dans son lit et y resta jusqu’au lendemain.
- Shino ? demanda Haîpé avec une petite voix le jour suivant.
- Oui ?
- Désolé pour hier…
- C’est du passé. On fait quoi aujourd’hui ?
- Rien.
- Pourquoi ?
- Je t’aime.
- Mais tu es idiot ou juste fou ?! J’aime Karü ! Tu comprends, ça ?
- Il n’est pas là, il n’en saura rien ! pesta Haîpé.
- Là n’est pas la question : je ne t’aime pas, d’accord ?
Haîpé sourit et attrapa Shino par la taille.
- Qu’est-ce que tu fais ?! pesta Shino en tentant de se dégager.
Haîpé ne répondit pas et se contenta de l’embrasser, ce à quoi Shino répliqua par une gifle.
- Tu es…tu me dégoûte ! hurla Shino.
C’en était trop pour Haîpé. Il se leva et agrippa Shino par le poignet. Il l’envoya bouler contre le mur et, pendant qu’il se relevait, il s’approcha de lui avec un sourire narquois, la tête penchée sur le côté :
- Tu n’as toujours pas compris. Je me fous de ce que tu penses. Je m’en fou de toi…ton avis ne compte pas.
Incapable de parler à cause de la douleur, Shino recula : il était entre Haîpé et le mur. Le rouquin ricana et poussa Shino sur le mur, positionnant ses mains de sorte que sa cible ne puisse pas s’enfuir. Une ombre de panique se posa sur le visage de Shino, créant un nuage noir autour de lui qui disparut d’un claquement de langue d’Haîpé. Ce dernier sourit et approcha sa tête de celle de Shino pour lui murmurer que Karü était mort et qu’il l’avait trahi. Shino se mit à pleurer, à trembler puis à s’effondrer. C’est à ce moment qu’Haîpé en profita pour lui donner un coup à la tête et l’assommer ; il le transporta ensuite dans l’infirmerie, prétendant une chute du Saîovôuntï. Dans son sommeil, Shino aurait juré entendre la voix d’Haîpé dire qu’il tuerait Karü de ses mains, si cela lui permettait d’accéder à l’affection de Shino.
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