Chapitre IX : Hostilités

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Shino ne parla plus à Haîpé après son réveille. Il l’ignora totalement. Le soir, il avait vu un bateau de pêcheur venir d’Ohfsha. Il avait alors rejoint Haîpé sur un coup de tête pour lui annoncer le retour de Karü.

- Ah bon. Il est de retour…

Haîpé n’avait montré aucune émotion.

Il regarda Shino comme s’il ne le connaissait pas et se replongea dans le livre qu’il lisait. Lorsque Shino s’assit près de l’entrée de la cour, Haîpé l’y rejoint. Shino se leva, sur ses gardes.

Haîpé le bloqua, comme l’autre fois, contre un mur et, en ricanant bêtement, lui dit :

- As-tu réfléchit à ce que je t’ai dit la dernière fois ? Dois-je te le rappeler ? Karü t’a trahi, moi, j’ai toujours été là ! Il n’en saura rien !

- Mais laisse-moi tranquille !

Shino regarda autour de lui : il aurait beau crier, personne ne pouvait l’entendre. Une fois encore, Haîpé tenta de l’embrasser, cette fois, Shino libéra sa main et repoussa son agresseur.

- Espèce d’enflure ! pesta Haîpé.

Shino était terrorisé, il avait cessé de bouger. C’est donc ça, un pays où l’on est libre d’aimer qu’il l’on souhaite ? Haîpé leva une main et le gifla à sang, mais Shino resta de marbre. Deuxième coup. Troisième : Shino se mordit la lèvre inférieure pour ne pas céder, des larmes coulant le long de ses joues.

- Alors ? Toujours décidé à ne pas comprendre ? ricana Haîpé alors qu’il lui donnait un coup dans le ventre.

Shino tomba, la douleur le faisait encore plus souffrir que la veille : comment avait-il pu être aussi naïf ? Haîpé l’attrapa par les cheveux et le souleva à sa hauteur, puis sortit un couteau et lui entailla la poitrine.

- Si Karü vient, je peux t’assurer qu’il ne restera pas, ou du moins qu’il mourra vite ! ricana-t-il.

- G…lâche-moi…tu me fais…mal…

- Je m’en fou, ça ne se voit pas ?

- G…

Haîpé prépara son poing pour lui donner un nouveau coup, et, alors que Shino se préparait à l’encaisser, il entendit la voix lointaine d’un être cher : Karü. Shino tomba dans les pommes.

- Shino !...Shino ! hurla Karü.

Karü vit Haîpé, le poing en l’air, Shino à la main, et il fonça sur Haîpé.

- Tient donc ! Karü ! Tu sais, Shino et moi, c’est une grande histoire ! Il t’a oublié ! ricana Haîpé.

- Il-est-à-moi ! pesta Karü en se jetant sur Haîpé, les yeux voilés la rage.

- Oh, mais c’est qu’il se fâche, le minus !

Lïunâ emmena Shino à l’infirmerie tandis qu’Hângä et Karü tentaient de maîtriser Haîpé. Ce dernier frappa Hângä au milieu de la figure et son nez se mis à saigner, Karü, lui reçut un coup de poing dans le tibia et, n’ayant pas vu le couteau, faillit être éborgné. Lïunâ revint bien assez vite et les aida à maîtriser Haîpé qui fut ensuite envoyer dans la prison du palais.

Hângä et son frère se rendirent, chancelants, à l’infirmerie. Contrairement à sa sœur, Karü refusa d’aller s’allonger dans un lit pour être soigner, il tenait à rester près de Shino.

Le Saîovôuntï de Caski avait des bandages sanglants sur le torse, et d’immenses bleus sur tout le corps. Les paumes de ses mains étaient rouges. Karü, lui, avait une entaille en haut d’un œil et son tibia le faisait souffrir –l’infirmière insista pour lui faire une attelle-. Hângä s’était fracturé le nez et avait un œil au beurre noir. Elle dormait, saoul et épuisée. Shino, lui, était toujours inconscient quant à Karü, il tenait la main de sa moitié, refusant fermement de se reposer. Lorsqu’il s’absentait, c’était pour demander l’accès à l’agresseur de Shino, ce qu’on lui refusait par rationalité.

Il va regretter de s’en être pris à lui ! pensa Karü, sur les nerfs, tandis qu’il regardait Shino. Hângä se réveilla bien assez vite et rejoignit son frère au chevet de Shino.

- C’est vrai qu’il est mignon. approuva-t-elle.

Karü posa sa main sur le front brûlant de Shino, inquiet.

- Il va falloir attendre un peu avant qu’il ne se réveille ; il a plus souffert que nous.

- Je n’aurais jamais dû partir… murmura Karü, consterné.

- Tu n’y es pour rien dans cette histoire.

- Si. Si je n’étais pas partit, Haîpé n’aurais jamais fait ça…

- Shino n’est pas mort. Et ça, c’est grâce à toi.

Hângä le pris dans ses bras, les yeux brillants.

- Repose-toi, maintenant, je te réveille s’il reprend connaissance.

- Jamais !

- Je vais finir par t’assommer ! menaça Hângä.

- D’accord…

Karü s’allongea dans un lit et ferma les yeux. Il ne parvint pas à dormir et se leva, boitant de sa jambe gauche endolorie, puis retourna s’assoir aux côtés d’Hângä et Shino. Karü pris la main de Shino et la caressa lentement, comme à regret.

Il fallut encore une heure pour que Shino s’éveille. Hângä était partit discuter avec la Gouvernante et il n’y avait à l’infirmerie que Karü et Shino.

Ce dernier regarda autour de lui et croisa le regard de Karü. A ce moment-là, il remonta son drap sur lui, gêné. Karü lui sourit, la larme à l’œil :

- Ça va ? demanda-t-il.

- Oui…que…que s’est-il passé ? Haîpé ! Où est-il ?

- Cet enflure d’Haîpé t’a attaqué, il est en prison, c’est tout ce qu’il mérite, de toutes façons ! S’en prendre ainsi à toi, mais quel…mais quel…

- Karü…je suis…je suis tellement content que tu sois là…tu m’as tellement manqué…

Shino l’enlaça. Il émit un grognement lorsqu’il tenta de se lever : il avait mal partout.

- Pourquoi Haîpé t’a-t-il attaqué de la sorte ?

- Cela fait quelque jour qu’il me fait…des avances…dès sa première action, il était étrange…ces bleus, par exemples, datent d’hier…il n’arrêtait pas de dire qu’il m’aimait et que tu m’avais trahi, que tu étais mort. Il est devenu violent au moment où je lui ai dit que je ne l’aimais pas. Il a dit…il a dit que tu n’en saurais rien, que cela resterait entre lui et moi, mais j’ai refusé, alors il s’est fâché…

- L’enflure ! Quand je pourrais aller le voir, je lui ferais avaler son couteau ! pesta Karü. Je n’aurais jamais dû partir ! Tout est de ma faute…

- N’importe quoi ! C’est de la faute d’Haîpé, c’est tout ! Mais…mais tu es blessé !

Shino venait de remarquer sa cicatrice, juste au-dessus de son œil. Il passa son doigt dessus, ce qui fit frissonner Karü, puis ce dernier prit sa main et la colla contre sa joue :

- Tu m’as manqué… murmura Karü en lâchant une larme.

Hângä entra dans la pièce avec, dans les bras, de quoi manger.

- Ça y est ! C’est arrangé, je peux rester ici ! s’exclama-t-elle en parlant à Karü. Tiens ? Il s’est réveillé ! Bonjour, Shino !

C’est qui celle-là ? se demanda Shino, jugeant d’un regard noir la nouvelle venue. Karü lâcha sa main.

- Shino, je te présente Hângä, ma sœur. Elle a été reniée et a insisté pour m’accompagner, il faut croire qu’elle n’a pas eu tort…ça n’aurait tenu qu’à moi, j’aurais tué Haîpé ! –cela aurait été tellement dommage ! - Hângä, Shino.

- B…bonjour… marmonna Shino, honteux de sa réaction, en ramenant son drap plus près de lui.

- Salut. T’es encore plus mignon que ce que j’imaginais !

- Ah…euh…m…merci ?

- Au fait, Karü, Haîpé est entrain de dormir. La Gouvernante nous laisse le voir demain, mais interdiction d’entrer dans la cellule.

- C’est déjà un début… marmonna Karü.

- Tenez, je vous ai pris de quoi reprendre des forces.

Elle distribua à Karü et Shino du pain et de la brioche puis s’ouvrit une bouteille de vin. Elle la but d’une traite.

- Leur vin est meilleur qu’à Ohfsha : ici, c’est le goût de la liberté ! ricana-t-elle.

- Ne fait pas attention à elle. murmura Karü à Shino tandis que sa sœur se mettait à danser et à faire un discours sur l’Empereur d’Ohfsha.

- Elle a quel âge ?

- Dix-sept ans.

- Qu’a-t-elle fait pour être renié ? demanda Shino.

- Elle a tenu tête à nôtre oncle, qui n’est autre que nôtre beau-père, l’Empereur d’Ohfsha juste après la mort de mon père. Tu te souviens, à l’Académie des Maugaâsa, je t’avais dit…que ma mère était morte ?

- Oui ?

- Eh bien ce n’est pas le cas. Elle a épousé mon oncle à la mort de mon père…et depuis, Ohfsha est une dictature. Là-bas, il n’y a plus vraiment de classes sociales…il y a l’Empereur…et les autres. Le peuple pourrait mourir, le dictateur –c’est ainsi que je l’appel- s’en ficherait royalement. Tant qu’il y a les ressources, les vies ne comptent pas…c’est le genre de personne qui t’interdit une chose pour la faire juste après…un personnage des plus détestables.

Hângä avait arrêté de danser. Elle écoutait le monologue de son frère.

- Et n’oublions pas qu’il voulait m’empêcher de t’adresser ne serait-ce qu’un regard ! ajouta-t-elle.

- Je n’ai aucune envie de remettre les pieds là-bas ! s’exclama Karü. C’est pour cela que je ne voulais pas que tu y aille…j’avais peur.

Shino rougit et posa ses mains sur celles de Karü.

- Vous êtes trop mignons, vous deux ! s’écria Hângä d’un ton narquois.

Karü jeta un regard d’excuse à Shino qui sourit.

- Nous ne pouvons pas affirmer que le dictateur ne tentera pas de me retrouver…si cela arrivait, je t’ordonne de partir sans moi, d’accord Shino ?

- Non. Non, je ne veux plus que tu partes ! Je ne veux pas que l’on soit à nouveau séparé ! Plus jamais ! Tu me l’avais promis ! Tu m’en avais fait la promesse ! Et tu l’as déjà brisée une fois, c’était une de trop !

- Oui, moi non plus je ne veux plus être séparé de toi mais…si dans un cas hypothétique il venait…je préfèrerais qu’il ne te fasse pas de mal, tu comprends ?

- …si cela reste une hypothèse, alors c’est d’accord.

- Et si besoin, je le protégerais ! ricana Hângä.

Karü soupira. Hângä quitta la pièce.

- Désolé pour ma sœur…elle…

- Elle t’apprécie énormément.

- Un peu trop à mon goût ! répliqua Karü.

Shino se pencha vers lui. L’entaille dans sa poitrine le faisait souffrir. Il embrassa Karü puis se rallongea. Sa plaie s’était rouverte et il saignait. Paniqué, Karü appela l’infirmière qui vint enlever les bandages de Shino puis en remis des nouveaux après avoir laissé à Karü le soin de mettre de la pommade sur la plaie. Shino toussota et, une fois qu’il eut repris sa respiration, Karü lui dit :

- Tu sais…j’ai eu terriblement peur pour toi quand j’étais à Ohfsha…à cause de ma vision…

- Ah bon ? Et qu’y as-tu vu ?

- Ces visions ont commencés quand je me suis fait enlever. Je t’y voyais toi, le corps couvert de bleus et le torse en sang…par malheur, cela s’est produit…j’aurais dû t’en parler avant mais j’avais peur…j’avais peur d’être la cause de ces cicatrices…

Shino invita d’un regard Karü à s’installer sur le lit. Ce dernier se blottit contre lui et ferma les yeux, passant doucement ses doigts dans les cheveux de Shino.

- Tu m’as tellement manqué… ne cessait de répéter Karü.

Shino finit par se rendormir, épuisé, et Karü resta dans la même position, il rouvrit les yeux, vérifiant que l’endroit était sûr, avant de les refermer pour s’endormir à son tour.

Lorsqu’ils se réveillèrent, Hângä les regardait d’un air amusé. Shino revêtit un t-shirt immaculé et se leva avec difficulté. Karü lui servit d’appui jusqu’au réfectoire du palais où ils mangèrent aux côtés de Lïunâ.

Le lendemain, Shino insista pour accompagner Hângä et Karü aller voir son agresseur. Lorsque les trois jeunes gens arrivèrent en face de la cellule du détenu, ce dernier ne bougea pas. Il ne tenta pas de les voir. Il se contenta de dire :

- Bande d’imbéciles. Vous ne comprenez rien ! Il vaincra, soyez-en sûr !

Karü, sa jambe toujours endolorie, s’assit sur une chaise poussiéreuse et attira doucement Shino contre lui, tentant de se contenir. Hângä s’approcha des barreaux.

- Et de qui parles-tu ? demanda-t-elle.

- Tu le sais, au fond, tu le sais depuis que tu m’as vu. Tu sais qui je suis, Hângä. Tu le sais… murmura Haîpé, soudain changé.

- Que veux-tu dire ? interrogea fébrilement Karü, soudainement tendu.

- Non…non, il est mort… marmonna Hângä. Il est mort ! Tu ne peux pas…il ne peut pas…c’est impossible !

- De quoi… ?

Mais Hângä partait en courant. Haîpé se mis à rire. Karü laissa Shino s’assoir sur la chaise et se leva. Il s’approcha des barreaux et demanda d’une voix froide :

- De quoi parlez-vous ? Qu’est-ce qui te lie à ma sœur ? Que lui as-tu fait, ordure ?! Parle !

Haîpé se contenta de soupirer. Karü voulut entrer dans la cellule mais la porte en était celée. Shino s’approcha avec difficulté des barreaux et pris la main de Karü.

- Nous verrons cela plus tard. Allons retrouver ta sœur.

Karü lança un regard assassin à Haîpé puis suivit Shino.

Ils cherchèrent Hângä et la trouvèrent au bord de la muraille, elle pleurait. Karü ne l’avait jamais vu aussi détruite. Son nez brisé saignait plus que la veille, mais elle ne s’en souciait pas. Elle ne vit pas les deux jeunes adolescents arriver.

- Hângä ? demanda timidement Karü.

- Quoi ? répliqua froidement sa sœur en s’essuyant les joues.

- Je voulais savoir…que voulais dire Haîpé ? Tu le connaissais ?

- Ce ne sont pas tes affaires ! pesta Hângä.

- Je veux juste savoir ! s’exclama Karü en reculant alors que sa sœur s’approchait de lui d’un air sombre.

- Va-t’en ! cria Hângä.

- Mais je veux t’aider !

Hângä s’approcha de lui et tenta de le gifler mais Shino s’interposa et reçu le coup en pleine figure. Il tomba, épuisé par ses anciennes blessures et son torse recommença à saigner.

- Non ! Shino ! cria Karü en s’asseyant à ses côtés.

Il le regarda comme s’il allait encore perdre connaissance, puis releva la tête pour regarder sa sœur d’un air mauvais.

- Comment as-tu osé lever la main sur lui ?! pesta-t-il.

Hângä semblait choquée par son acte, elle regarda sa main, Shino, puis son frère. Elle resta plantée là un instant puis s’excusa d’une voix faible, avant de fondre en larme. Karü ne lui répondit pas, il transporta Shino à l’infirmerie. Une fois là-bas, il ne laissa pas Hângä s’approcher de Shino. Hângä eut beau s’excuser, Karü ne l’écouta pas. Elle sortit de la pièce en courant et disparu sur les remparts. Karü resta au chevet de Shino qui se rétablit en quelques heures.

Lorsqu’Hângä revint, Karü et Shino étaient déjà retournés dans leur chambre. On ne la revit pas jusqu’au jour suivant.

Karü s’assit sur le canapé, Shino blottit contre lui.

- Je suis désolé. murmura Karü.

- Pourquoi ?

- C’est ma faute si tu t’es pris un coup.

- Non, si je ne n’avais pas voulu t’éviter ce coup, ça aurait été toi qui te le serais pris et ça, je le refuse. Déjà qu’à cause de moi, tu as du mal à marcher et tu es affublé de cette cicatrice sur le haut de ton œil…je m’en serais voulu si par ma faute ta sœur t’avait porté ce coup.

- Je l’ai cherché.

- Tais-toi. murmura Shino.

- Pardon ?

- Tais-toi. répéta Shino.

Shino posa sa tête sur les genoux de Karü qui passa sa main sur ses côtes, découvrant de nouveaux bleus sur le corps meurtri de son compagnon qui frissonna au contacte froid de sa main. Au bout d’un court moment, Karü posa doucement la tête de Shino sur un coussin du canapé. Il se leva et alla s’assoir dos à la fenêtre. Il regarda Shino dormir quelques minutes puis sourit, soupira et s’allongea aux pieds du canapé. Un des bras de Shino tombait sur le sol et Karü lui pris la main.

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