Chapitre XI : Je te déteste

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Un jour plus tard, dans tout le royaume, c’était la panique. Une épaisse couche de neige tapissait le pays pourtant connu pour n’avoir jamais porté le moindre vent froid. Tous les Pauyiens savaient ce que cela signifiait : une guerre approchait à grand pas et Fréïa leur en envoyait un avant-goût.

- Nous ne pouvons pas rester ici. expliqua Karü à Shino.

- Mais pourquoi ? Je veux me battre !

- Je sais, mais nous ne pouvons pas. Nous sommes trop jeunes.

- Pauyô va être détruit ! Et cela par notre faute ! Si nous n’avions pas été ici, cette guerre n’aurait pas lieu d’être !

- Je sais, mais nous devons fuir.

- Je ne veux pas partir d’ici sans combattre.

- Alors je pars sans toi.

- Bon, d’accord, je viens. Mais je te préviens : si on me propose de prendre les armes, je n’hésiterais pas.

- …d’accord. Allons chercher ma sœur, puis partons.

Dans le couloir qui donnait sur la chambre d’Hângä, Lïunâ attendais Shino et lui tendit une lettre en provenance de Caski. Hângä refusa la proposition de Karü et voulut rester au palais.

Karü et Shino quittèrent le palais et s’enfuirent vers l’ouest, à l’opposé de l’Alliance S.C.A.N.O. Quelques heures plus tard, ils s’arrêtèrent dans une plaine immaculée et Shino lut la lettre :

- « cher Shino. Cette lettre continent un traceur, ne t’en fais pas : il n’y a que moi qui le sait. Lina et moi savons ce qui se trame à propos de la guerre. Nous arrivons bientôt à Pauyô, nous nous battrons à tes côtés. J’espère que tu vas bien. Lina a hâte de te revoir, moi également. Ne me réponds pas. Fuis vers l’ouest, nous te retrouverons. A plus tard, Travers. »

- Ces personnes sont au courant pour…notre condition ?

- Ils ne sont pas au courant pour nous...mais pour moi, oui…

Karü donna à Shino quelques fruits pourris qui avaient résisté à la soudaine vague de froid. Alors qu’il mangeait, Shino ressentit une immense douleur dans sa poitrine, comme s’il se reprenait un coup de couteau. Karü, inquiet, insista pour qu’il s’allonge et le recouvra de sa veste. La neige continua de tomber. Shino tenta de se lever mais Karü posa sa main sur sa tête, l’obligeant à rester allongé.

- Espèce d’imbécile… marmonna Karü. Et tu voulais combattre ? As-tu vu ton état ? Tu es blessé. Et moi…c’est tout juste si je marche droit. Repose-toi, nous partirons ensuite.

- Je voulais juste aider… chuchota Shino, honteux.

- Je sais, Shino. Je sais.

- Depuis qu’on est au palais, j’ai l’impression d’être un poids…je ne sers à rien…toi, tu as servi de monnaie d’échange, tu as risqué ta vie, alors que moi…moi j’ai été la cause de tes blessures…

- Shino. Arrête, c’est faux. En vérité, c’est grâce à toi que j’en suis là. Si tu n’étais pas ici, je n’aurais pas eu la force de survivre. Si je ne t’avais pas su en sécurité –même si finalement ce n’était pas le cas- je n’aurais pas été à Ohfsha et on nous y aurait envoyé tous les deux. Si cela avait été le cas, nous serions morts. Mais si tu doutes encore...si tu penses vraiment que tu ne sers à rien, alors dis-moi : pourquoi m’as-tu suivi ? Pourquoi as-tu insisté pour que j’aille parler à Hângä ? Pourquoi m’avoir aidé ?

- …parce que je t’aime…parce que je pourrais…mourir pour toi… murmura Shino.

- Et c’est ce qui fait ta force. Mais évite de mourir, s’il-te-plaît : je ne veux pas avoir à me souvenir de toi au passé.

- K…Karü…

Ce dernier passait son pouce sur la bouche de son partenaire, puis il déposa avec douceur ses lèvres sur les siennes. Ils se levèrent et, après que Karü ai insisté pour que Shino garde sa veste, ils reprirent leur route, main dans la main.

Shino gardait soigneusement la lettre du Général Travers dans une des poches du manteau de Karü. Ce dernier doutait encore de l’honnêteté de cette personne et de sa sœur qui, selon lui, semblaient trop proche de Shino.

Le froid se faisait de plus en plus intense, la neige plus abondante. Le vent soufflait vers l’est, faisant face à Karü et Shino, mais cette difficulté ne les arrêta pas. Ils avancèrent encore quelques heures, puis, au loin derrière eux, il y eu une détonation : la guerre commençait.

Shino se retourna et vit avec horreur la pointe du palais qui tombait, en feu. Karü l’imita et, surpris, hurla :

- Hângä !

- On ne peut pas aller la chercher…

- Hângä…Hângä…

- Rien ne dit qu’elle est morte, elle ne peut pas mourir, elle est forte, elle survivra… murmura Shino, peu convaincu.

- Tu as raison…continuons…elle s’en sortira…

Ils se retournèrent et continuèrent d’avancer ; derrière-eux, des sifflements inquiétants fusèrent, mais Karü et Shino refusèrent de se retourner.

Bien des heures plus tard, ils arrivèrent dans une ville dont les rues désertes lui donnaient une allure lugubre. Les bâtisses bordant les rues étaient pourtant habitées et on y entendait quelques cris d’enfants en bas âge.

Karü et Shino s’engagèrent dans ce qui semblait être l’allée principale de la ville. Il n’y avait là de vivant que des rats qui cherchaient de la nourriture. Quelques volets claquèrent, quelques portes furent fermées avec violence puis le silence se fit.

Les deux tourtereaux traversèrent la ville sans encombre. Ils arpentèrent une immense vallée blanche puis s’engouffrèrent sur les routes sinueuses des montagnes. Lorsqu’ils se retournaient, ils voyaient avec horreur les villes de l’est se consumer et s’écrouler.

Quelques jours passèrent, durant lesquels Karü et Shino franchirent des monts et des vallées gelées, bientôt recouverte d’un tapis de cendres. Lorsque la neige cessa enfin de tomber, alors que le vent emportait dans sa course les cendres des villages meurtris, Karü et Shino dénièrent s’arrêter dans une petite grotte, sous une montagne.

Karü s’allongea sur le sol, épuisé, son compagnon se posta devant l’entrée de la grotte, le regard vague.

- Tout va bien, Shino ?

- Tout ça, c’est ma faute…si des gens meurent, s’il y a la guerre…

- Mais non ! S’il y a des personnes fautives, ceux sont les dirigeants de l’Alliance, et…particulièrement le dictateur.

- Travers et Lina. Ils sont peut-être morts…ou en prison, à cause de moi…

- Arrête, tu racontes n’importe quoi. Rien n’est de ta faute, je t’assure. Ils viendront. Tiens ?

- Qui a-t-il ?

- Ce ne seraient pas eux, là-bas ?

En effet, quelques centaines de mètres plus loin, deux silhouettes marchaient avec difficulté dans l’épaisse couche de neige qui tapissait le sol. Shino, qui portait encore la veste de Karü, en sortit la lettre. Il la posa devant l’entrée de la grotte puis attendit que le duo de silhouettes arrive.

Travers et Lina, car c’étaient bien eux, tombaient de temps à autre dans la neige, faute de vision. Lina s’agrippait à son frère et tentant vainement de le rattraper. Arrivés à mi-chemin entre la grotte et la forêt, ils firent de grands signes de la main à Shino dont la tête dépassait de la paroi. Ils se mirent à courir et s’arrêtèrent devant la cachette, découvrant Karü.

Lina se jeta dans les bras de Shino, Karü amorça un mouvement comme pour protéger Shino mais recula au dernier moment, un peu dégoûté.

- Salut ! fit timidement Lina en s’adressant à Karü après avoir lâché Shino.

- Bonjour. répliqua froidement Karü sans même un regard.

- Karü, je te présente Lina, une amie. Et voici le général Travers.

- Ex Général : j’ai dû démissionner pour venir en aide à Shino.

- Travers, Lina, voici mon…

- Je suis son copain. coupa Karü sur un ton de défi.

- Et bien enchanté. répliqua Travers, amusé.

- De même.

Karü et Travers entamèrent une discussion agitée sur ce qu’il se passait dans l’Alliance, et Shino et Lina se mirent dans un coin de la grotte.

- Ils ne vont pas s’entendre… marmonna Lina, amère.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Karü, ton copain…il n’a pas l’air de porter mon frère dans son cœur. Et la tête qu’il a faite quand je suis arrivée…

- Il est du genre jaloux…et je ne peux pas lui en vouloir…il y a quelques jours, j’ai été agressé par un type qui me faisait des avances…alors tu m’étonne que Karü veuille prendre soin de moi !

- Tu as l’air heureux… murmura Lina en le dévisageant d’un air triste.

- Je le suis. Ce n’est pas compliqué avec Karü. Il est toujours là pour moi, il m’écoute me plaindre…il est tout pour moi, en fait.

- Pardon, mais j’aurais pu faire la même chose si… !

- T’es lourde.

- Je sais. Je vois bien que tu n’as d’yeux que pour lui, tu as trouvé quelqu’un, et c’est génial pour toi, mais… il a l’air un peu trop…protecteur.

- C’est tout lui. Tu verras, un jour, toi aussi tu trouveras quelqu’un de bien. Et tu n’auras d’yeux que pour cette personne. Et cette personne n’aura d’yeux que pour toi.

- Je ne pense pas, je suis trop…étrange disons.

- Nous en reparlerons dans quelques années ! Mais si tu as la mauvaise idée de t’attacher à quelqu’un qui te fait souffrir, je lui ferais avaler une poutre ! assura Shino en levant son poing en signe de protestation.

Lina pouffa. Shino se leva et rejoignit Karü qui discutait avec Travers. Selon Travers, l’Alliance s’était mis en tête que les Pauyiens les avaient kidnappés, Karü et lui, pour demander une rançon qui n’avait pas été donnée. L’Empereur du Sioux, lors d’une réunion de l’Alliance, avait alors proposé d’intervenir de manière à ce que Pauyô redevienne un Empire de l’Alliance : par la force. Il comptait redistribuer les terres de Pauyô aux membres de l’Alliance et mettre en prison, si ce n’était tuer, les opposants à cet acte.

Karü et Shino racontèrent ensuite ce qui leur était arrivé, et les deux nouveaux venus n’en revinrent pas.

Les quatre fugueurs se baladèrent dans la neige, avant de retourner dans la grotte et de se répartir les tâches : Karü et Shino allumeraient un feu, tandis que Travers et Lina chercheraient à manger. Les chasseurs partirent.

Karü alluma un feu, puis se pencha vers Shino, inquiet :

- Tu es trempé. Enlève ça, fais-la sécher, je te donne la mienne.

Shino refusa d’enlever sa chemise sous prétexte que, si Karü n’avait pas la sienne, il tomberait malade. Ce dernier eut un sourire puis haussa les épaules, avant de déboutonner sa chemise et de la tendre au Saîovôuntï de Caski.

- Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu vas attraper froid ! s’exclama Shino.

- Enlève la tienne, je te passe celle-là, elle est sèche.

- Mais…mais tu vas attraper la mort…

- Je vais mettre la tienne.

Shino abdiqua, dubitatif. Il passa à Karü sa chemise trempée. Karü la mit. Shino revêtit la chemise de son soupirant qui était plus grande, plus large et surtout plus sèche que la sienne. Avant qu’ils ne puissent boutonner leurs chemises, Karü se laissa tomber, retenu à quelques centimètres de Shino par ses bras. Ce dernier sourit, gêné. Le Saîovôuntï d’Ohfsha s’allongea sur son compagnon et, après l’avoir embrassé, lui murmura :

- Je t’aime…

Pour toute réponse, Shino l’étreignit timidement.

- Je t’aime… répéta doucement Karü.

- Je t’aime, Karü…

Shino observa le visage de Karü et passa sa main sur la cicatrice que ce dernier portait au-dessus de son œil. Karü repoussa lentement la main de son soupirant et posa sa tête sur le torse nu de Shino, son nez froid fit frissonner le Saîovôuntï de Caski.

- Tu es gelé. fit remarquer Shino.

- Je sais. Toi, par contre tu es brûlant. murmura Karü sans relever la tête.

Shino replaça délicatement une mèche de cheveux de Karü derrière son oreille et entoura fébrilement sa tête de ses mains. Travers revint, les bras ballants, bredouille. Lorsqu’il vit Karü et Shino dans cette position, il se retourna, horriblement gêné, alors que ces derniers desserraient leur étreinte, tout aussi confus. Quand l’ex-Général daigna entrer dans la grotte, il se confondit en excuses :

- Je suis désolé, vraiment, je…euh…veuillez me pardonner…je n’avais pas fait attention…je n’avais pas vu, avant de rentrer…enfin, je n’ai pas regardé, bien sûr, je ne me serais jamais permis de…

- C’est à nous de faire attention, à présent…nous ne sommes plus seuls. répondit Karü tandis que lui et Shino boutonnaient leurs chemises, mal à l’aise.

Karü s’approcha du feu, frigorifié. La chemise qu’il portait, bien que trempée et trop petite, lui convenait. Il y a son odeur dessus… pensa-t-il, comblé.

- Je n’ai rien trouvé… s’excusa inutilement Travers en ne s’adressant à personne en particulier.

Quelques minutes passèrent puis Lina revint avec, dans les bras, un sanglier mort et quelques pommes brunies.

- Je n’ai rien trouvé d’autre… s’excusa-t-elle.

- Cela suffira pour ce soir. assura Shino.

Travers prépara la viande puis la fit cuir, pendant que sa sœur lui demandait pourquoi il avait les joues aussi rouges, ce à quoi il lui répondit qu’il avait froid.

Le lendemain, les quatre fugitifs furent réveillés par des bombardements non-loin d’eux. Lina, inquiète, se dirigea vers l’entrée et déclara dans un murmure :

- D…des soldats…il y a des soldats de Netu dans la plaine !

- Comment ?! pesta Karü en la rejoignant. Il faut partir !

- Nihé ? marmonna Shino, somnolant.

- Il faut qu’on parte sur le champ !

- Je confirme ! ajouta Travers en les rejoignant.

Karü aida Shino à se lever puis ils rejoignirent Travers et Lina pour sortir de la grotte avec discrétion et longer la montagne. Malheureusement pour eux, la troupe de soldats se dirigeaient vers l’endroit où ils venaient de s’arrêter. L’un d’eux, qui semblait être le capitaine de la troupe, hurla :

- Vous, déclinez vos identités !

Travers lança un regard entendu vers Lina, Karü et Shino. Ces derniers ne bougèrent pas tandis que Travers se levait et répliquait :

- Je suis le Général Travers.

- Que fais-tu ici ?

- L’Empereur du Sioux a pourtant été clair : ici, ce sera la zone de Caski. Allez-vous-en.

- Comme c’est étrange : ce même Empereur nous a dit de nous installer ici.

- Voyons, Koho, nous savons bien que, quoi qu’il arrive, nous redécouperons ces terres, alors pourquoi tant de haine ?

- Pourquoi te caches-tu ? répliqua l’autre d’un ton neutre.

- Mission de repérage.

- As-tu repéré les Saîovôuntï ?

- Eh bien oui, ils dirigeaient vers l’est, si tu n’avais pas interrompu ma filature, peut-être les aurais-je attrapés.

- Ce n’est pas du bétail. Je n’ai pas confiance en toi, Travers. Tu le sais. Je te laisse le choix : soit tu viens avec moi, soit je te tue. Tu te souviens de la dernière fois que je m’en suis pris à toi, n’est-ce pas ?

- Comment oublier ? répliqua Travers d’un ton froid en s’approchant de lui.

- En effet. Alors ?

- Je viens avec toi.

- Passe devant je te prie, montre-nous le chemin.

Travers dû partir avec l’armée de Netu et, lorsqu’ils disparurent dans la forêt, Karü et Shino s’adressèrent à Lina :

- Koho, le chef de l’armée de Netu… commença Karü.

- …Il a battu ton frère ? compléta Shino.

- Longue histoire.

- Raconte. insista Karü.

- C’était avant que Shino n’arrive au palais. L’Empereur de Caski et celui de Netu avaient rendez-vous là-bas. Pour s’entrainer, Koho et mon frère se sont battu, et ça à mal fini. Trois mois de plâtre pour mon frère et douze points de sutures. Gustave en garde encore de lourdes séquelles. Contrairement à lui, Koho en est sorti indemne.

Lina, Karü et Shino reprirent leur route vers l’ouest en grimpant en haut de la montagne immaculée sous laquelle ils logeaient quelques heures plus tôt. Ils franchirent un fleuve gelé, traversèrent des vallées enneigées, s’engouffrèrent dans des forêts sombres et arpentèrent des villes animées ; Lina, Karü et Shino firent une halte face à l’est, épuisés.

Alors qu’ils étaient tranquillement assis sur la neige, il y eu derrière eux un cri en provenance de l’ouest. Lorsqu’ils se retournèrent, ils virent un groupe de cinq soldats qui courraient vers eux ; chacun d’entre eux arborait une tenue différente, un pour chaque Empire de l’Alliance. Les trois rescapés, pris d’une soudaine panique, se mirent à courir vers le nord, cherchant désespérément une cachette. Karü et Shino s’allongèrent sous un buisson mais Lina n’eut pas cette chance : un soldat d’Arane l’attrapa par l’épaule et la secoua avec violence.

- Qui es-tu ?! cria-t-il.

- Je…je suis Lina, sœur du Général Travers, de Caski !

- Qu’est-ce qui me prouve ton identité, petite ?

- Je…

- Rien, évidemment ! Viens par-là, je vais te montrer ce qu’on fait aux menteuses dans ton genre ! ricana le soldat de Netu en l’agrippant par le poignet.

- Lâchez-moi !

Le soldat la fit tomber puis leva sa main. Ses quatre compagnons préparèrent leurs arbalètes. Le soldat de Netu baissa sa main et les flèches manquèrent de toucher la jeune fille qui roula sur le côté.

- Ce n’était-là qu’un avant-goût. murmura le soldat de Caski.

- Laissez-moi partir !

Un des soldats l’attrapa par les jambes et la mit sur son dos comme un vulgaire sac de pomme de terre ; il l’attacha à un arbre pour qu’elle ne puisse pas bouger et prépara à nouveau son arbalète mais le soldat d’Ohfsha l’interrompit :

- Faisons ça proprement, veux-tu. Prends mon épée.

L’autre pris l’arme et trancha sans détour la tête de Lina qui roula jusqu’au buisson où Karü et Shino étaient cachés. Shino ferma les yeux, choqué, pleurant en silence, tandis que Karü regardait avec horreur la tête de la jeune fille. Quatre des cinq soldats partirent en ricanant. Le dernier n’était autre que celui qui avait exécuté Lina. Il planta son arme sur le sol puis se mis à prier que Fréïa lui pardonne cet acte.

Karü sortit alors de sa cachette, sous le regard sidéré de Shino. Il s’approcha du soldat et lui donna un coup dans le ventre. L’assassin se releva et prit son épée. Il tenta de toucher Karü. Ce dernier passa entre les jambes de son agresseur et le fit tomber pour récupérer son arme. Le Saîovôuntï d’Ohfsha regarda sa cible qui reculait sur le sol. Il lui lança un regard noir puis le blessa légèrement à l’épaule mais, ayant prévu le coup, son agresseur sortit de sa poche un couteau qu’il enfonça dans la côte de Karü.

- Karü ! cria Shino.

Il se jeta sur le soldat, prenant l’épée à son compagnon, et lui enfonça l’arme dans la poitrine. Shino, apeuré, se retourna vers Karü qui saignait abondement. Il enleva sa veste et la pressa autour de la plaie du Saîovôuntï d’Ohfsha qui gémit de douleur.

- Ça va aller, ça va aller… souffla Shino.

Karü le regarda, puis perdit connaissance. Shino l’emmena tant bien que mal sous le buisson, prenant soin de ne pas croiser le regard mort de Lina.

Lorsque Karü se réveilla, Shino s’était endormit à ses côtés. Sa plaie le faisait souffrir, mais il tenta de se lever, sans succès. Karü réveilla doucement Shino qui se jeta dans ses bras en pleurant :

- J’ai eu la peur de ma vie…Lina qui meurt sous mes yeux, toi qui attaque un soldat…tu aurais pu mourir ! Tu aurais pu finir comme…comme Lina…

- Nous pleurerons sa mort… promis Karü en passant sa main dans le dos de Shino.

- Tout est ma faute, c’est moi qui ai insisté pour passer par là…

- Ce n’est pas ta faute, tu ne pouvais pas savoir qu’il y aurait des soldats.

- Mais j’aurais dû…j’aurais pu…

- Tu n’aurais rien pu faire. Tu n’y es pour rien, je t’assure.

-A cause de moi, Travers va nous détester…et Lina est morte…je ne peux pas y croire ! Ils l’ont…elle…

- Je sais que c’est compliqué, que tu connais Lina depuis longtemps, et je sais aussi que ce sera un deuil particulièrement douloureux mais, si tu ne veux pas que l’un de nous deux soit le prochain, il faut te ressaisir…je t’en prie, Shino. Nous devons rester en sécurité, sinon, le sacrifice de Lina aura été vain…tu comprends ?

- Je te déteste… répondit Shino sans conviction en enfouissant sa tête dans les bras de son soupirant.

- Je sais... chuchota Karü.

Shino releva la tête et regarda celle de Karü. Ce dernier portait toujours la cicatrice qu’Haîpé, Haîpéâ ou qui que ce soit, lui avait fait et sur ses joues perlaient quelques larmes. D’abord ça, ensuite aujourd’hui, quelle sera la prochaine blessure qui lui sera infligé par ma faute ? Va-t-il mourir comme Lina ? pensa Shino.

Il se retourna et regarda avec horreur la tête sanglante de sa défunte amie. Ses yeux étaient vides, ses pupilles dilatées, la détresse que montrait son visage n’était rien comparé à la laideur de son cou mutilé. Son sang se vidait encore sur la neige. Non loin, son corps commençait à geler, le bout de ses doigts devenait rouge, le haut de son buste saignait abondement. Le bas de son cadavre était encore attaché solidement là où le soldat l’avait tuée.

Karü se leva, tremblant, et insista pour que Shino se retourne le temps qu’il enterre les restes de la défunte. Son corps fut enterré sous le buisson, recouvert d’un fin mélange de terre et de neige.

Karü et Shino restèrent quelques minutes face à la tombe de Lina puis se levèrent. Soutenu par son compagnon, Karü se dirigea vers la dépouille du soldat assassin qu’il regarda avec mépris. Il se laissa tomber à côté du cadavre et en retira l’épée.

- Nous devons pouvoir nous battre. fit Karü en donnant à Shino l’épée de l’assassin et en rangeant dans sa veste tâchée de sang le poignard.

- C’est l’épée qui l’a tuée… marmonna Shino, amer.

- Je sais…cela ne me plaît pas plus qu’à toi. Si tu veux, tu peux prendre le poignard.

Shino acquiesça et ils échangèrent leurs armes.

Le cadavre du soldat était allongé sur le sol, teinté de rouge à l’endroit où Shino l’avait frappé. Son torse suintait et ses lèvres gercées commençaient à geler. Son regard, pareil à celui de Lina, était vide, sa tête affichait une expression de haine violente uniquement ridiculisée par son mono sourcille blond.

Karü et Shino descendirent furtivement de la montagne et regagnèrent la forêt, laissant derrière eux la tombe fraichement créée de Lina. Durant le trajet qui suivit, Shino n’eut de cesse de s’excuser et de dire que, si elle était morte et si Karü était blessé, c’était entièrement de sa faute.

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