Chapitre XII : Tïashu

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Lorsqu’ils s’arrêtèrent, une explosion détruisit le village à côté duquel ils étaient arrivés. Karü et Shino se cachèrent près d’une auberge déserte où ils trouvèrent de quoi manger. Une autre explosion retentie et un bâtiment s’effondra.

Pendant que Karü cherchait des vivres, Shino sortit voir l’ampleur des dégâts causés par l’explosion ; l’immeuble qui venait de s’effondrer était un hôtel magnifiquement meublé et heureusement désert. Soudain, alors que Shino s’apprêtait à rejoindre Karü, un projectile de petite taille s’abattit sur les ruines de l’hôtel, et un éclat de verre entailla profondément la jambe du Saîovôuntï de Caski. Il hurla de douleur, puis tomba sur le sol, tenant sa jambe ensanglantée.

Karü se précipita à ses côtés et, voyant sa blessure, il le transporta délicatement dans l’auberge. Le Saîovôuntï d’Ohfsha retira d’un coup sec le verre qui s’était incrusté dans la jambe de Shino puis pressa doucement sa blessure à l’aide de ses mains. Shino ferma les yeux, la douleur le fit sursauter, mais il se mordit avec vigueur la lèvre inférieure pour ne pas crier. Karü resserrait de plus en plus ses mains autour de la blessure de Shino. Ce dernier, à cause de la douleur, versa quelques larmes. Karü enleva sa veste et la noua fermement à la plaie de Shino. Shino tenta de se lever.

- Reste allongé ! s’exclama Karü, paniqué en le retenant par le bras.

Shino le regarda d’un air triste, puis posa ses yeux sur les mains ensanglantées de Karü. Ce dernier les essuya sur sa chemise immaculée et s’approcha de Shino, lui tendant un verre d’eau. Shino bu.

- Je suis désolé…je suis incapable de faire…de faire les choses correctement…je n’aurais pas dû sortir…je ne suis qu’un imbécile… murmura Shino.

- N’importe quoi ! Tu n’as rien fait de mal, tu voulais juste savoir ce qu’il se passait dehors !

- Il n’y a pas que ça…par ma faute, tu es blessé, Lina est morte, on ne sait pas où est Travers, on ne sait pas ce qu’est devenu Hângä, on ne peut pas être libre, nous sommes hors-la-loi…

- Ce n’est pas du tout de ta faute ! Et l’on serait hors-la-loi même si nous n’étions pas ici ! Même pire, nous serions morts.

- Si je ne t’avais pas abordé, ce jour-là…si je ne t’avais pas dit que je t’aimais…alors nous n’aurions pas eu besoin de fuir.

- Je t’aurais fait part de mes sentiments un jour ou l’autre. répliqua fermement Karü.

- Et si toi, tu mourrais ? Qu’est-ce que je deviendrais ? Dis-moi. Qu’est-ce que je deviendrais sans toi ? …et…et si Hângä était morte, que ferais-tu, hein ? Tu ne pourrais pas nier que c’est ma faute…

- Je ne mourrais pas. Hângä…Hângä a choisi d’elle-même de venir ici. Elle restera en vie. Si elle venait à mourir, si n’importe qui venait à mourir, ce ne serait pas de ta faute.

- Et si je meurs, que feras-tu ? Si nous mourrons tous les deux ?

- Tu ne mourras pas, je ne le permettrais pas ! pesta Karü.

- Mais, et si…

Karü le fit taire en posant son doigt sur ses lèvres, avant de l’embrasser. Il regarda longuement les yeux timides de son soupirant et murmura :

- Plutôt mourir que de te faire passer pour le fautif.

Shino soupira tristement et hocha la tête en signe de négation. Il prit Karü par le menton et fit glisser sa main derrière son oreille puis approcha son front du sien. Karü déposa ses lèvres sur le poignet de Shino et susurra :

- Rien n’est de ta faute, Shino, je t’assure. Oublie tout ça, même si c’est difficile. Je serais toujours là en cas de besoin, même s’il m’arrive de m’éloigner de toi…je reviendrais toujours quand tu as besoin de moi.

- Je ne veux pas que tu t’éloignes de moi…j’ai besoin de toi…je ne veux pas… répondit Shino, inquiet, en retirant doucement sa main.

- Je n’ai jamais dit que j’allais le faire. Je ne le veux pas non plus. murmura Karü avec un sourire.

- Tu me promets que nous ne serons plus volontairement séparés ? demanda Shino, les larmes aux yeux tandis que Karü regardait sa jambe d’un air inquiet.

- Je te le jure. Je te le jure sur l’amour que je te porte. répondit Karü en relevant la tête.

Shino, rassuré par la sincérité de son compagnon, lui sourit avant de fermer les yeux. Karü resserra le nœud qui maintenait sa veste attachée à la jambe de Shino puis jeta un regard inquiet dehors. Au loin, il y eu une autre explosion, puis un autre bâtiment s’écroula.

Malgré les soins de Karü, la blessure infligée à Shino par l’explosion continuait de saigner et de lui faire mal. Karü entreprit de chercher de quoi bander la plaie et stabiliser la jambe de son soupirant afin qu’il puisse marcher, mais il ne trouva qu’un bout de fer et des morceaux de tissus. Avec ces deux objets, il confectionna une attelle pour Shino, en lui conseillant de rester assis quelques heures encore afin qu’il se repose.

Au loin sur l’horizon, les nuages rougissaient, le soleil se couchait derrière les montagnes qui encerclaient le village. Le vent soufflait doucement sur les toits, accompagnant quelques flocons dans leur course tardive. Quelques étoiles perçaient les nuages, et la lune éclairait la neige ; cette dernière avait peu à peu recouvert les débris causés par l’explosion, et les pas de Karü et Shino furent bientôt effacés. Ils avaient quitté la petite ville et se dirigeaient, claudiquant, vers un coin plus tranquille.

Karü et Shino s’arrêtèrent au milieu même d’une immense forêt de pins, sillonnée par la neige. L’hémorragie de Shino avait cessée, mais il avait toujours mal. Karü et lui s’assirent sur des rondins de bois qui trainaient là, émoussés et gelés. Frigorifié, Karü soufflait sur ses mains et les frottait ensemble. Shino lui proposa de reprendre sa veste, mais il refusa :

- Elle maintient ton attelle, c’est plus important. répliqua-t-il.

- Et si tu tombes malade, que ferons-nous ? murmura Shino en dénouant la veste de Karü.

- Je ne tomberais pas malade. Remets ça autour de ta jambe !

Karü lui prit sa veste et tenta de l’attacher à l’attelle de Shino, sans succès puisque ce dernier prit ses mains dans les siennes et murmura :

- Tu as les mains gelées. Remets ta veste, s’il-te-plaît.

- Mais, et ton…

- Je pourrais m’en passer. Tu vas finir par attraper un rhume. soupira Shino en lui mettant sa veste sur ses épaules.

Karü enfila le vêtement à contre cœur puis éternua bruyamment.

De peur que cela empire, Karü et Shino se mirent à la recherche d’un logement plus au moins chaud pour la nuit. Ils ne trouvèrent rien d’autre qu’une petite chaumière chaleureusement décorée et lumineuse, abandonnée à la vas-vite et vide aux premiers abords.

Pourtant, lorsqu’ils y entrèrent, une petite fille d’environ cinq ou six ans était allongée sur un des deux uniques lits de la maison. Shino réveilla avec douceur la fillette sous le regard attentif et attendrit de Karü.

Lorsque l’inconnue se réveilla, elle regarda alternativement Karü, puis Shino, avant de dire :

- J’ai faim !

Karü, surpris, s’approcha d’elle et s’assit à sa hauteur :

- Qui es-tu, petite ?

- Et toi t’es qui monsieur ?

- Je suis Karü.

- Bah moi c’est Tïashu, et je suis pas petite ! J’ai comme ça !

Elle montra six doigts et sourit à Shino avant de lui demander :

- Et toi, monsieur, t’es qui ?

- Je m’appelle Shino. Que fais-tu ici, Tïashu ?

- Bonjour chez moi, monsieur Shino ! Bah ma maman et mon papa ils sont partis y a trois ou quatre dodos, quand les gros cailloux en feu ils ont cassés le village...papa il a dit que maman et lui ils reviendraient me chercher, alors moi je suis restée ici ! Et ça fait un dodo que y’a plus à manger ! J’ai faim !

- On va te trouver quelque chose. assura Karü en sortant, muni de l’épée qu’il avait subtilisé quelques jours plus tôt au soldat qui avait tué Lina.

Shino lui jeta un regard inquiet puis Karü sortit. Tïashu s’approcha d’un meuble et le montra du doigt :

- Monsieur Shino ! Il faut mettre la table ! On est…euh…deux et un…euh…on…on est…trois ! On est trois !

Shino sourit, attendrit par l’étrange phénomène qu’était cette enfant, et disposa sur la table poussiéreuse trois assiettes et trois verres. Ensuite, il s’en retourna vers la cuisine qui se trouvait à gauche de la salle à manger et vit une pille d’assiettes et de couverts sales. Il marmonna quelque chose puis se munit d’une éponge gorgée d’eau et de savon, avant de commencer à laver la vaisselle.

- Tu fais quoi, monsieur ? demanda Tïashu.

- La vaisselle.

- Je peux t’aider ?

- Si tu veux.

Il lui donna une autre éponge et la petite fille lava quelques assiettes avant de s’arrêter et de regarder Shino.

- Mais vous pourquoi vous êtes ici, monsieur ?

- Et bien…c’est-à-dire que Karü et moi…on est hors-la-loi…

- Et c’est quoiiii ?

- Comment te dire…en fait, on est parti de chez nous parce qu’on ne pouvait pas vivre librement, tu comprends ?

- Ah c’est comme Théo !

- Qui ?

- Théo ! Il a volé des bonbons à sa mère et bah il a fui le village avant que les gros cailloux en feu ils arrivent. Je sais pas où il est. De toute façon je l’aimais pas. Il était méchant. Il disait tout le temps que j’étais une…euh…une quoi déjà ? Ah oui ! Une f…fayotte ! Je sais pas ce que c’est mais ça a pas l’air très gentil !

Shino sourit à nouveau. Tïashu se remit à laver la vaisselle. Tous deux, après avoir rangé les couverts à leur place, firent du feu dans la cheminée.

Karü revint bien assez vite, charger d’un morceau de viande un peu rassit.

- J’ai drouvé ça au village. Les bâtibents s’y effondrent les uns abrès les autres…

- C’est à cause des gros cailloux que le ciel il envoi ! En fait c’est un dragon qui vomit ! C’est maman qui disait ça ! s’exclama Tïashu en levant les bras.

- Ce sera prêt dans quelques minutes. fit Shino en prenant à Karü la viande qu’il avait trouvée.

Il la posa dans une marmite en cuivre et mit le tout au feu après avoir rajouté quelques herbes. Karü éternua.

- Monsieur, tu es malade !

- Je d’avais bas rebarqué… renifla Karü.

- Tiens, papa disait toujours que le thym c’est bon pour le rhume ! Et c’est rigolo : ça débouche les trous de nez ! s’écria Tïashu en lui tendant une fleur séchée qu’elle lui fit sentir.

- Ah, oui, effectivebent.

- Karü, viens te réchauffer près du feu. murmura Shino.

Tïashu s’allongea sur son lit, un petit livre mal relié dans la main, elle chantonnait. Karü et Shino se regardèrent, amusés, puis Shino chuchota :

- On devrait rester ici, on est bien, là, non ?

- Je de sais bas…beut-on vraibent faire confiance à Dïashu ?

- Elle est inoffensive. assura Shino.

- Si du restes, boi aussi ! murmura Karü.

- Tu es tombé malade, Karü…je t’avais dit de rester au chaud. Restes là je t’amène une couverture.

- Don, berci, ce d’est bas la benne !

- Ta voix dit le contraire. répliqua Shino en lui jetant une épaisse couverture sur la tête.

Il posa sa tête sur ses genoux. Karü le regarda d’un air encore plus attendrit que quand il s’agissait de Tïashu. Shino ferma les yeux et laissa Karü lui effleurer l’oreille. Lorsque la viande fut cuite, Karü repoussa lentement Shino. Ils se levèrent et distribuèrent la nourriture dans les trois assiettes. Tïashu les rejoignit à table :

- Manger !

- Régales-toi ! fit Shino avec un sourire.

- Profites-en, Shido est un bon cordon bleu !

- Je n’ai jamais cuisiné avant. répliqua l’intéressé, embarrassé.

- Oui, bais d’embêche !

- C’est trop booooon ! s’exclama Tïashu, des étoiles pleins les yeux.

- Content que ça te plaise, alors !

- C’est un véritable festin ! s’écria Karü en souriant ouvertement à Shino.

Shino lui rendit son sourire, encore plus gêné, puis goûta lui-même à son plat. Les autres avaient raison : c’était aussi bon qu’un plat au palais de la Gouvernante.

Karü lut ensuite une histoire à Tïashu et elle s’endormit dans son lit. Le Saîovôuntï d’Ohfsha rejoignit Shino dans la deuxième chambre, où ils allaient dormir.

Shino feuilletait un vieux manuscrit qu’il avait trouvé sur la table de chevet. Karü le lui prit et le posa sur le sol. Il enjamba son soupirant pour atteindre l’autre côté du lit, et se blottit contre son ventre. Shino se releva pour reprendre son livre mais Karü, une fois de plus, se laissa tomber sur lui.

- Karü… murmura Shino.

Ce dernier frissonna. Il se souvint alors qu’il était malade et recula violement. Shino le regarda, étonné :

- Qui a-t-il ?

- Je de veux bas que du dombes balade…

- Ce n’est pas un rhume qui va m’empêcher de t’approcher ! répliqua Shino.

- Du es drop bignon…

Il refusa tout de même de l’approcher. Shino dû insister pour se blottir contre lui, puis ils s’endormirent. Le lendemain matin, ils furent réveillés par Tïashu qui demandait à boire. Lorsqu’elle entra dans la chambre, Karü tenait la main de Shino et celui-ci était à moitié sur son compagnon.

- J’ai soif !

- J’arrive… murmura Shino pour ne pas réveiller Karü.

Il se dégagea doucement et remplit un verre d’eau qu’il tendit à Tïashu. L’horloge du salon indiquait sept heures.

- Vas te rendormir.

- Oui monsieur… marmonna Tïashu en se frottant les yeux.

Shino regagna son lit. Lorsqu’il s’y allongea, Karü, toujours endormit, le serra contre lui. Les mains du malade étaient plus chaudes que la veille, mais, lorsque Shino posa sa tête contre la sienne, son front lui parut brûlant. Il s’en remettra. Et puis, ce n’est pas un rhume qui va le tuer ! pensa Shino.

Quelques heures plus tard, Karü prépara le petit-déjeuner et alla réveiller Tïashu. Shino les rejoignit, ensommeillé.

- Monsieur ? demanda la petite fille.

- Oui ? répondirent Karü et Shino d’une même voix.

- Pourquoi vous avez fait dodo dans le même lit ? Vous êtes des marmottes ?

- Hein ? Que…non, nous ne sommes pas des marmottes ! s’exclama Shino, déconcerté.

- Alors vous êtes comme mon papa et ma maman ?

- C’est-à-dire ? interrogea Karü qui avait retrouvé sa voix habituelle.

- Papa il dit que quand on s’aime très fort on dort ensemble !

- Et ton père a raison. Shino et moi, on s’aime.

- D’accord ! Mais pourquoi parfois y a une des deux personnes qui…qui veut pas dormir dans le même lit ? Parce que moi j’aime très fort Lucas mais Lucas il a dit que c’était pas possible parce qu’il est marié…

- Qui est Lucas ? demanda Shino, amusé.

- Et bah Lucas c’est…c’est le maître de l’école ! Il est aussi parti quand le dragon il a vomit ! C’était le dernier à partir ! Y avait plus personne pour s’occuper de Tïashu !

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