14. Un train nommé délire
En mars 2015, j’ai commencé à travailler pour une entreprise suisse en restructuration. Elle vendait des meubles pour les bureaux et son chiffre d’affaires était passé de 200 millions à 150 millions de CHF. Autant vous dire que le bateau tanguait sévèrement. Ce nouvel épisode de ma vie m’a de nouveau entraîné dans un tourbillon de stress incontrôlable. J’avais arrêté mes médicaments en janvier 2015, pensant que j’allais mieux. La vie n’est pas un « ponyhof » (un endroit où les enfants peuvent s’amuser avec des poneys, ce qui signifie : on ne vit pas dans le monde des Bisounours), « du kannst noch gut lachen, du » (tu peux encore bien rire, toi). Ces expressions allemandes m’ont beaucoup envahi mentalement. Je suis, j’étais dans le mauvais film. Ma stratégie de gagner du temps pour valider ma période d’essai eut comme contrepartie un stress sévère. Je vois encore mon chef me dire que tout va bien (« Es geht uns gut »). Moi lui répondre : « si tu en as encore les moyens ».
Analyse du scénario d’entreprise étant la conséquence de ma dernière crise en avril 2015.
Tout commença par un entretien dans une salle avec une personne des ressources humaines, mon futur chef, le responsable du contrôle de gestion et le directeur administratif et financier. L’entretien se déroule bien. On me présente sur un schéma trois pôles de comptabilité, qui doivent subir une transformation et être restructurés en un pôle afin de réduire les risques de fraudes et de mauvaises comptabilisations. Ceci semble économiquement tout à fait louable pour un fonctionnement plus efficace et correct à long terme. Par contre, les retombées humaines sont très mauvaises et bien entendu aussi pour la réputation de l’entreprise.
La difficulté de ce challenge réside dans la protection des informations, la communication et la gestion du replacement des humains employés. Sans compter sur ma fragilité mentale pour tout ce qui touche à l’humain.
Les premiers jours, on me présente le budget prévisionnel du groupe pour 2015, j’apprends le processus pour charger le budget dans SAP (chose que je connaissais déjà de mon ancienne société). Je pars donc le mercredi soir en train pour Lausanne. Je charge le budget le jeudi et le vendredi. Je rencontre Marc Vol, qui me reçoit caché derrière son masque (mine sérieuse et dégoûtée). En effet, il est depuis 1 an dans la société. D’après ses dires, il devait récupérer le poste du responsable de la finance Lausanne, parti en « burn-out ». Il me racontera beaucoup de choses autour d’un repas. Je lui explique que si le processus de recrutement n’a pas commencé par une recherche en interne, c’est, il me semble, une erreur de management ou, après mûre réflexion, une stratégie voulue. Après, je ne sais pas quelle était la vraie vérité. Je peux seulement imaginer tous les scénarios possibles. Je me rends compte après réflexion que toutes les discussions avec Marc Vol étaient comme un jeu de poker menteur. Marc connaissait mon CV, car il s’était renseigné auprès du recruteur externe à Lausanne (David). Georges, le collègue comptable de Marc, était arrivé en novembre 2013 dans la société, il avait travaillé beaucoup pour rattraper toutes les saisies comptables manquantes dans le système (ERP) SAP. Depuis, il venait entre 9 h 30 et 11 h le matin et donc il n’avait pas le respect des autres. Marc me disait que tout le monde était aveugle dans le bureau et ne voyait pas ce qui se tramait. Il parlait de Georges comme d’un fainéant qu’on ne pouvait pas respecter. Il parlait d’Évelyne comme d’une vieille personne qui était à trois ans de la retraite. Laurent était un comptable qui travaillait à 80 %, il était certifié d’un diplôme de comptabilité, pourtant il ne savait même pas activer des actifs corporels tels que des véhicules (la culture de cette société avait pour habitude de dénigrer les incompétents). La dernière personne travaillait à 50 %.
J’ai commencé à travailler d’arrache-pied pour démontrer mon savoir-faire. J’ai eu de bons résultats et feed-back positifs de mon chef. Ils m’ont envoyé à Genève le jour de mes 30 ans pour rencontrer trois directeurs en compagnie de Marc Vol. Ce dernier a tout fait pour dire ou faire croire qu’il était plus compétent que moi. Il voulait, je pense, se vendre comme plus apte à récupérer l’ancienne place du chef de la comptabilité. Un des directeurs à Genève avait derrière son bureau un slogan : « In cash we trust ». Je me suis même permis de faire une blague concernant cette icône en bois. En réalité dans mes délires, il y avait une guerre interne entre les vaisseaux de la même flotte. En effet, le marché se resserrant, chaque petite société cherchait à se protéger et récupérer le chiffre d’affaires du voisin afin de ne pas couler. Guerre interne, peut-être même détournement de fonds. Je me disais même qu’il y avait une guerre entre la culture suisse francophone et suisse allemande. J’ai eu en trois mois à ingurgiter beaucoup trop d’informations, d’heures de travail et de stress. Je ne dormais pas bien la nuit. J’ai eu, il me semble, des hallucinations au bout de trois mois. J’ai cru que l’on avait « hacké » mon ordinateur, dans mon délire, mon mentor était là pour me guider. Je pense aujourd’hui que le but de cette manœuvre était de reconstituer une équipe soudée à Lausanne. Je pense que Marc était un élément perturbateur (tel un loup dans la bergerie).
Le vendredi 18 avril, le jour d’anniversaire de mon père, je me souviens que mon collègue de travail m’avait montré trois tasses à café sur mon bureau. Ce qui ne ressemble pas à mes habitudes. Normalement, je n’utilise qu’une seule tasse à café. Cet indice est pour moi révélateur que quelque chose ne tournait pas rond en moi. Je me perds sur le chemin du retour, j’ai à ce moment-là comme un « black-out », je me réveille à un arrêt de bus où je ne reconnaissais pas les alentours. Je sais seulement que j’ai pris la bonne ligne de bus, suite à cela, je passe la fin de semaine complètement en « burn-out ».
Je m’étais réveillé ce lundi matin suivant, le 21 avril 2015, avec un stress étrange et j’entendais des cloches sonner. Après mûre réflexion, je pense que j’avais le cœur lourd, je me souviens avoir annoncé à Caroline que je l’avais trompée deux fois. Je crois une fois de plus avoir commis un péché. Je me lève et je m’habille. Au moment de prendre mes chaussures, je ne les trouve pas. Je me dis que Jeannette, mon amie, les a cachées, et je commence à douter de la confiance que j’avais en elle. Je perds la confiance en chaque personne lorsque j’ai une « crise de délire », je prends les chaussons de Jeannette et je file au travail en me disant que je trouverai bien des chaussures à acheter sur le chemin. Dans la gare, tout le monde tousse autour de moi (j’ai comme l’impression que tout le monde m’adresse un message). Je comprends que je suis dans le délire, mais en vain, le stress est trop élevé. Je prends le train direction le travail. Je croise une personne qui me parle comme si elle me connaissait et me dit que je peux aller à Paris, à Lyon ou à Lausanne. Je ne lui réponds pas, par contre ceci m’affole d’autant plus. Le mercure de mon stress augmente encore. Quelques minutes plus tard, je suis presque à Degersheim lorsque je regarde autour de moi, des personnes handicapées sont là tout autour de moi, des autistes, je prends cela comme un signe. Je trouve, je l’espère, un sens aux personnes autistes pour lesquelles je me demandais quel était le sens que Dieu donnait à leur vie. Je décide de rebrousser chemin, car je ne peux pas aller au bureau en chaussons (j’ai trop de capital image à entretenir). Dans ma tête, je repense à l’époque où j’étais à l’hôpital, entouré de personnes qui ressemblent à des autistes. Je cherche à savoir où est le bon chemin à prendre, à ce moment précis, j’ai l’impression de rentrer dans la « matrice », une vielle femme m’aborde et me dit de me dépêcher, que je peux encore réussir à l’avoir, « le train voie 3 », il est environ 9 h 15 du matin. Je comprends qu’un projet plus vaste est en chemin. Je me perds en chemin vers Zurich. Mon chef m’appelle et me demande quel était mon plan. Je réponds que je suis comme la souris qu’il avait sauvée de la mort quelques jours auparavant. Mon chef super Mario me dit qu’il jette de l’eau sur le chat. Suite à cela, je lui dis que je prends ma « journée off ». À Zurich, là je fais une pause, car je vois un tableau d’affichage publicitaire, semble-t-il, présentant que le monde va vers sa fin ou que l’on peut le sauver (il défile de haut en bas). Cette dualité m’intrigue, je me dis que c’est sans doute encore dans mon imagination incontrôlable. Je vois des chiens soit libres soit tenus en muselière. Je me rends compte dans mon délire que personne n’a ni Dieu ni maître. Interprétation, beaucoup d’êtres humains se laissent dresser et certains maîtres estiment qu’ils sont quand même dangereux et leur mettent une muselière. Chacun est son propre guide. Pourtant, j’hésite un moment à suivre une bonne sœur qui monte dans un train. En effet, j’ai peur à ce moment-là que tout le monde soit un acteur dans la gare et que l’« habit » ne fasse pas le moine.
Après une pause, je choisis un autre train pour retourner à Degersheim sans mémoire complète, je m’arrête dans un wagon couloir et me pose en face d’un être humain. Celui-ci m’interpelle en parlant d’un article qu’il vient de lire sur la demande des USA de payer les taxes pour les comptes bancaires ouverts en Suisse par des Américains. Il parle ensuite de manière stricte et dit : « qu’as-tu sur le cœur ? » Après des mois de réflexion, je pense que j’avais sur le cœur le secret de la société pour laquelle je travaillais. Cette entreprise qui voulait se « débarrasser » des deux pôles de comptabilité et donc délaisser des êtres humains au chômage. Mais pas seulement, j’avais du mal à savoir si Danut, mon ancien chef, était un espion ou si j’étais responsable du fait qu’il s’est retrouvé au chômage. Cet homme dans le train qui savait que j’étais d’Enghien-les-Bains alors que je ne le connaissais pas, il semblait avoir une fiche détaillée sur ma personne. Forcément, au même moment passe une dame qui s’occupe de me faire régler le billet de train que je n’ai pas payé, car j’étais trop déconcentré par mes troubles de la pensée. Une fois que j’ai payé l’amende (je retrouverai le papier quelques mois plus tard), je file dans le wagon-bar où je me pose à une table. La sourdine du bruit des roues sur les rails est diffuse. À cette table dans le wagon-bar, un homme est posé là, tranquillement. J’entame une conversation : « Bonjour, vous allez bien ? » L’homme se tourne vers moi les yeux confus et tout en tremblant s’exprime : « Je dois aller prendre un avion ». L’homme se lève et disparaît avant que j’aie eu le temps de dire plus de mots. Quelques minutes plus tard, Rosie et sa fille arrivent, surprise incroyable. « Nous revenons de vacances, comment vas-tu Morpheus ?! » Je pense fort que cette visite est orchestrée par mon vieil ami qui veille sur moi. Pourtant, je doute de la confiance que je peux avoir envers Rosie et sa fille. Comme si elles lisaient dans mes yeux à chaque moment de doute de ma personne, Rosie et sa fille détournent le regard. Je me sens incompris. Après quelques brèves discussions, le train s’arrête. Nous sommes déjà à St-Galle. Tout le monde se lève et là, je réalise que je ne trouve plus ma valise. Rosie et sa fille sortent du train et m’attendent sur le quai. Je m’affole, pensant que le train allait vite repartir. En fait, le train était à quai pour un moment avec l’inscription « ne pas monter ». Je fouille les wagons à la recherche de ma valise. Je « tombe » sur un crayon par terre avec l’inscription « made in Japan », pour moi il s’agit d’un indice laissé par mon guide spirituel ou Dieu. La prochaine étape du voyage initiatique passe par le Japon. Le pays du soleil levant. L’attente est longue avant le départ autour du monde. Nous ne sommes que peu de chose sur cette terre. La maladie me fait prendre conscience de ma petite vie enfermée dans un songe, perpétuellement en quête de compréhension du monde. Nous ne sommes rien sans un amour libérateur. Étudier la schizophrénie est devenu une évidence pour moi. Aussi risible soit mon existence, le témoignage de ma vie pourra aider d’autres personnes schizophrènes à se frayer un chemin dans le système qui nous entoure et peut-être rencontrer le bonheur sur cette route exiguë. Copernic héliocentrisme, la terre tourne autour du soleil. Après avoir retrouvé ma valise et dit au revoir à Rosie et sa fille, j’ai fait une pause dans un bar à St-Galle où une femme inconnue est venue me dire le nom d’un médicament que je devais prendre à la pharmacie, ce que j’ai fait. Il s’agissait d’un médicament contre le diabète. Je suis ensuite allé acheter de nouvelles chaussures. Enfin, en fin de journée, j’arrive à Degersheim, là je retrouve mon chef et mes collègues. Ils paraissent un peu surpris de me voir. Je leur dis que « je travaille gratuitement aujourd’hui ». Par contre, impossible de faire fonctionner mon ordinateur, le mot de passe ne marche pas. Pire, je me rappelle un message me disant que mon ordinateur a été piraté. Le mercure du stress augmente une fois de plus. À ce moment-là, je pense que j’en avais assez vu. J’ai fait un meeting avec mon chef, je lui ai demandé s’il était sûr que j’étais la bonne personne pour ce poste. Il m’a répondu que oui. Après m’avoir déposé à la gare, il m’a dit de bien réfléchir et qu’il comprendrait si je devais rejoindre ma famille. Je suis rentré à la maison chez Christian. Le soir, j’ai entendu des cloches une fois de plus. J’étais tellement déboussolé que je ne savais plus quoi faire.
Le lendemain matin, je me réveille et je vois tout plein d’indices dans la chambre de Christian, un message me disant qu’on n’a qu’une chance et qu’on n’a pas le droit à l’erreur. Mon choix se fait, je décide de démissionner. Je ne me drogue pas et j’ai les idées assez claires, je me dis qu’il faut que je parte pour ne pas tomber malade. J’ai vu la directrice des ressources humaines et ensuite toute l’équipe. Je suis enfin parti le cœur léger. Ma carte bancaire pour acheter un billet de train retour n’a pas fonctionné. Je venais juste de démissionner, j’ai donc choisi de partir me balader à pied. J’ai marché de Degersheim à Wil SG (environ 20 kilomètres) à pied en chaussettes. Profitant enfin de ma liberté retrouvée, je ne voulais plus être un chien tenu en laisse par une entreprise. Nous n’avons ni Dieu ni maître. J’ai pris le vent frais et j’ai adoré me balader à l’air libre. Je ne suis qu’un enfant qui ne sait pas où il va, car il ne sait pas d’où il vient. Les policiers suisses m’ont arrêté alors que je marchais en costume cravate sur un trottoir, leur motif : une personne s’est plainte d’avoir vu quelqu’un se balader sur le bord de l’autoroute. De plus, je marchais en chaussettes, car les nouvelles chaussures que je venais d’acheter étaient trop petites. Est-ce une raison pour me mettre nu dans une cellule et me demander mon code de téléphone portable ? Les droits de l’Homme autorisent-ils un tel traitement en Suisse ? Ou ai-je de nouveau halluciné ?
Le temps futur arrive où nous aurons accès directement au web grâce à notre cerveau (lunettes Google modernes). Un danger extrême semble exister, la recherche intérieure est primordiale.
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