De la rupture amoureuse

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Elle m'a quitté et je tousse beaucoup. Le cri de la toux me restitue sa présence bruyante dans son vivant (elle parle tant, et rit davantage !). De la sorte, je la maintiens, avec moi, à mes côtés. Pour toujours. Je l'aime, mais non, pour elle, pas réciproque ; je suis tout seul. Ou plutôt, elle ne m'aime plus ; entendant par là qu'elle m'eut quand même aimé. Pendant combien de temps ? Elle ne dit rien. "Peut-être... qu'au final, se décide-t-elle enfin, que l'amour est un mot trompeur et qu'il s'agit d'autre chose". Cette phrase me fait mal, plus encore que son hésitation embarrassée qui la précède. Trompeur, mot que je croyais abstrait, creux dans ma réalité, réservé simplement à la littérature ou à une dissertation philosophique. Mais elle m'a trompé, dans le sens le plus commun, le plus triste, le plus sale qui soit. Un très jeune homme. Si jeune qu'il ne devait la voir que sous le rapport d'une conquête à faire ; lui promettant à lui, une fois sa pudeur humiliée à elle, sa robe levée et ses cheveux tirés, prestige, gloire et éternité !, parmi ses copains, ses collègues, ses ennemis même, son petit microcosme. Elle n'est donc qu'une chair à souiller, puis à jeter et, finalement, à re-souiller, encore. C'est tout. Mais ce tout, sa naïveté — qui la caractérise avant ses yeux qui vous regardent et même avant tout autre chose — l'oblige à se l'imaginer, en sa faveur, comme une partie et qu'il faudrait alors "creuser", chercher, se battre pour révéler les autres parties constituant la "vraie personnalité" de ce jeune homme. Illusoire. Elle n'a jamais rien compris aux hommes. Et c'est peut-être pour cette raison aussi que je l'ai aimée — son innocence. Voilà que je me surprends déjà à utiliser le passé ! Heureusement, finalement, que rien ne dure (et tant pis pour les choses heureuses !) Que même l'éternité a une fin ! Que la beauté du diable est aussi éphémère que les ailes de l'ange ! Heureusement, oui.

Elle dansait il y a encore peu. Je la vois encore avec tout son corps en plein bavardage avec mon corps à moi qui hésitait à danser. Son corps se jouant de la gravité et, entraînant enfin le mien, ne se reprochant plus rien que l'envie de ne faire plus qu'un ! Rire, sauter chanter tous les deux ! Dansons jusqu'à ce que mort s'en suive !... Aujourd'hui, ce soir, elle n'est plus qu'un nom comme pris au hasard, qui ne répond plus comme avant, quand je le nomme. Le silence ne répond jamais. Mon lit double est devenu une provocation, le coucher de soleil aujourd'hui une perte de temps, même pire que ça. Lorsque l'on se retrouve soudainement seul, et probablement encore amoureux, les signes qui nous entouraient nous deviennent tout d'à coup si cruels, horribles, parce qu'on se rappelle les avoir aimés à deux.


La nuit était notre secrétaire ! Tu t'en souviens ??? Ah ! Elle gardait tous nos secrets ! révélés le plus souvent dans nos regards (tu t'en souviens hein !) ; nos mains, nos lèvres et toujours à la lueur d'une bougie complice ! Je ne sais si elle s'en souvient... En tout cas je n'entends plus sa voix ce soir. Elle est loin aujourd'hui et de toute façon, pour elle, elle !, l'amnistie est devenue synonyme d'amnésie, vraiment, oui. Elle se protège, m'a-t-elle dit au téléphone, avant qu'elle m'oblige à lui dire adieu. Voilà pourquoi elle doit me haïr, pourquoi elle doit m'oublier ! Oublier donc tout souvenir, toute promesse, tout tout tout !... Elle le doit. Sinon, sinon comment assumer pour toujours une telle décision ? Me quitter, une évidence à présent ! Elle doit croire à l'évidence. Absolument le croire. Sinon, elle est foutue. Et moi, bien sûr (plus fort que moi) je ris, ris et ris ! après avoir tant pleuré, ris de tout ce système d'explication si compliqué et absurde ! Tout ça pour se persuader que le choix est le bon ! Mon dieu !...


Toute relation amoureuse, réelle, véritable, doit avoir son lot d'illusions, sa cosmogonie, son histoire qui rassure après coup, sa généalogie qui dit son monde et enfin, surtout, son anatomie qui explique tout.

J'ai beaucoup utilisé le mot "devenir", plus encore que "souvenir". Ce mot m'est devenu essentiel depuis qu'elle n'est plus. Essentiel, car je réalise enfin et dans ma chair et avec le temps, que rien ne vient, reste en l'état : tout est en tant que tout devient perpétuellement. Rien ne dure, pas même les yeux de ma mère qui me sourient ce soir... Rien. Et voilà que je pleure en écrivant ! Mais rien à faire : même de telles larmes ne tirent pas Dieu de Son silence. Je suis seul, avec un amour sans emploi.

15/04

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